Chris Bacon / Heretic (Original Soundtrack)
[A24 Music]

7.2 Note de l'auteur
7.2

Chris Bacon - Heretic (Original Soundtrack)Une fois n’est pas coutume, on fera un peu n’importe quoi autour de cette chronique de bande originale de film.

La BO (l’originale, la vraie) est signée Chris Bacon, jeune compositeur américain (47 ans), dont on a croisé la route pour la première fois sur Source Code, le film de Duncan Jones (le fils de), et qu’on a négligé sur Men In Black International (vu, mais pas écouté) et 65 : La terre d’avant (pas vu jusqu’au bout car vraiment trop mauvais mais déjà réalisé par le tandem Scott Beck et Bryan Woods). Bref, un compositeur de moyenne gamme pour un film remarquable et bien supérieur qualitativement à son budget, transcendé par la performance à « contre-emploi » d’un Hugh Grant très inspiré et celle non moins marquante de la sublime Sophie Thatcher (24 ans, et dont c’est pour ainsi dire le premier grand rôle) en missionnaire mormone libre d’esprit et un brin désobéissante. Son alter ego, sœur Paxton, est jouée par une autre actrice en devenir, Chloe East (vue dans The Fabelmans notamment) mais qui a un peu moins de place à l’écran ici. On y revient juste après.

On a d’abord pris une image reconstituée puisque la couverture de la vraie BO de Bacon est plus sobre que sobre et surtout ne laisse pas apparaître la photo de Hugh Grant, ce qui, commercialement, même pour nous, s’apparente à du suicide. On la reproduit néanmoins ci-après car elle est très jolie, boisée et dans le style de l’intérieur du personnage incarné par Grant, à savoir le mystérieux Mr Reed. L’histoire du film est assez vite résumée : deux jeunes et jolies missionnaires mormones vont sonner, une fin d’après-midi.. pendant une tempête de neige, à la porte d’un type (Grant) qui a sollicité un rendez-vous débat auprès de leur Église.

Poster Heretic Hugh Grant

Poussées par le mauvais temps, elles répondent à sa proposition d’entrer pour échapper à la neige et partager une supposée tarte aux myrtilles qui mettra très longtemps à arriver. Mr Reed/Grant se lance alors dans une joute verbale fascinante autour de la religion, de ses abus et de ses systèmes de contrôle. On ne va pas raconter le film puisqu’il s’agit de critiquer avant tout la musique mais arrive assez tôt dans l’échange une première controverse (on vous passe ici la comparaison Monopoly, pour ne pas la divulgâcher) qui porte sur ce que Reed appelle les « itérations » qui sont des sortes de répliques ou plagiats plus ou moins dégradés, à des fins de vulgarisation/démocratisation, de créations (religieuses ou musicales) plus avancées. Reed prend ainsi l’exemple bien connu du Creep de Radiohead qui a été pompé sur The Air That I Breathe de The Hollies (plagiat authentifié par la justice au profit des auteurs originaux Hazelwood/Hammond), puis de sa re-déclinaison (juridiquement non tranchée, nous semble-t-il) par Lana Del Rey sur son single Get Free. Ces morceaux figurent dans l’autre bande-son du film, avec également une remarquable reprise par Sophie Thatcher, qui a décidément tous les talents (on l’avait repérée dans le re-clip du Harness Your Hopes de Pavement), du Knockin’ On Heaven’s Door de Bob Dylan (chantée comme si elle était une réplique à l’envers du Fade Into You de Mazzy Star). Tout cela pour dire que la musique populaire ou pop est centrale dans Heretic qui est de facto une réflexion sur ce qu’est la pop, à travers une interrogation très poussée sur ce qui fait le succès d’une chanson ou d’une religion. Reed/Grant va vite basculer sur la théorie des proto-schémas, faisant des religions/chansons modernes un écho dégradé et nettoyé de sa rusticité de productions primitives souvent plus brutes et violentes. C’est bien entendu la religion qui va être l’objet de sa démonstration et pas la pop mais la théorie est intéressante pour tous ceux qui se sont amusés à rechercher les racines du punk ou du rock tout court. Il y a donc dans cette BO, la fausse, celle qui regroupe les pièces variétés/pop de la soundtrack de quoi s’amuser.

Mais nous étions partis avec la BO et Chris Bacon et on s’y tiendra désormais. Ce qui est bien dans le score de l’Américain, c’est qu’on peut le reparcourir et se souvenir pas à pas du film. Les titres des pièces sont limpides et transparents et racontent vraiment le film : Opening, Sisters, Polygamy, One True Religion….. etc. On dirait un résumé du scénario avec des « mots-valise ». La BO apparaît telle qu’elle et dans l’ordre : cela arrive mais pas si souvent avec cette précision et cette exhaustivité. C’est à la fois bien quand le film est bon mais souvent une limite qui ne permet pas à la musique de gagner son autonomie par rapport au récit. Et c’est bien sûr ce qui arrive ici.

Lorsque la musique tient les images par la main, on a le sentiment intéressant en la réécoutant de revivre précisément les émotions ressenties en regardant le film. Le début (Opening, Sisters) est plutôt léger et chaleureux, consacré à la présentation du duo missionnaire et à leurs débats savoureux (la scène d’ouverture est impeccable). La musique est claire, avec cordes et synthés à l’appui. Elle bascule assez rapidement dans le registre de la tension et de la bizarrerie pour entrer chez Grant/Reed. Le tempo ralentit. Les sons électroniques prennent le pas sur les sons organiques et les cordes/violons commencent à dérailler subtilement. Chris Bacon s’en tient au plan : descendre les échelons de tension au même rythme que le film et que les protagonistes vont s’infiltrer dans les étages de la maison-labyrinthe. Il faut avouer que ça marche bien, même si ça donne une partition un peu terne et morne, faite à ce stade (jusqu’à Two Doors) de questions et de silences, plus que de réponses et de crescendos. A Lesson In Theology, le thème principal du film, est le premier morceau qu’on rencontre qui ait une certaine amplitude et du souffle. On aurait aimé que Bacon prenne plus de risques dans ce registre et ne se contente pas de jouer avec la peur d’en dire trop au ventre. Le morceau est pour le coup assez marquant et très réussi. Il restera quasi le seul du genre.

Avec la descente au sous-sol, les cordes dissonantes prennent le contrôle. La BO est plus vive car il n’y a plus besoin de garder le secret sur les intentions de Reed. Ça gronde sur The Prophet avec une volonté de faire archaïque et terrifiant et ça s’excite lorsque le Mormon en chef sonne à la porte (The Doorbell). La BO assure le minimum syndical : elle fait monter l’angoisse, soutient le suspense mais ne fait guère plus qu’illustrer le propos. Bacon ne propose aucun thème, aucune subtilité. C’est de la belle paraphrase qu’il déroule ainsi sur une heure de programme. On aime quand ça déraille sévère sur Not A Miracle (enfin, de la brutalité) mais ça ne dure vraiment pas très longtemps (Run!, bien sûr, mais le film touche à sa fin). Si musicalement la réécoute est un peu frustrante, il ne faut pas oublier non plus que la BO a pour rôle premier de servir l’intrigue et le film et pas de… s’installer à son compte. Il faut être un compositeur doué pour pouvoir faire les deux. Bacon s’en tient au premier rôle et le fait très bien à l’image du très poétique et léger, Butterfly, qui vient conclure l’affaire.

Toute cette affaire nous divise. On est partagés entre considérer qu’on perd un peu son temps à écouter cela sans revoir le film, mais on peut aussi dire que c’est tout aussi intéressant de revoir le film juste par le truchement de sa réplique musicale. La BO de Chris Bacon n’est jamais rien d’autre qu’une itération au sens de Mr Reed du film Heretic. Elle le précède et le suit pour agir comme son reflet, non pas muet, mais aveugle, une façon de dire la même chose par d’autres biais. Et c’est bien suffisant pour nous faire quelques nœuds toujours bienvenus au cerveau.

Tracklist
01. Opening
02. Sisters
03. Polygamy
04. One True Religion
05. Trapped
06. Two Doors
07. Stairs
08. A Lesson In Theology (Heretic Original Soundtrack)
09. Dis/belief
10. Choosing Belief
11. The Prophet
12. Doorbell
13. I Can Show You God
14. Not A Miracle
15. Hatch
16. Control
17. Run !
18. Pray For Us
19. Butterfly

Face D de la version vinyle

20. The Air That I Breathe (The Hollies)
21. Creep (Radiohead)
22. Knockin On Heaven’s Door (Sophie Thatcher)

Écouter Chris Bacon - Heretic

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