Dans le royaume de la sainte pop (ou synth-pop) au Danemark, il y a des rois et des reines avec encore toute leur tête, mais peu d’élus ou de prétendants ont droit de cité. Il y a forcément aussi de belles princesses prêtes à chanter l’amour pour gagner celui d’un virtuose et preux chevalier musicien qui, lui, les auditionne patiemment et écoute chacune d’elles à la cool avant d’élire sa dulcinée. Les candidates s’alignent et chaque belle voix s’élance lors du prestigieux cérémonial annuel du royaume : chiant ! Mais chiant quoi ! Comme dans un conte de fées d’Andersen, avec cette belle et formidable musique féérique en toile de fond qui dégouline des gosiers tendus donnant le meilleur d’eux-mêmes. L’élue ne sera pas forcément la plus belle. Seule la voix compte. Le chevalier ferme les yeux de toute façon, nul besoin de la regarder. Il attend le frisson qui parcourt son corps jusqu’à l’insoupçonnable envie de s’arracher la peau, comme une mortification. La peau se détache souvent d’elle-même ondulante sous les coups de butoir des nerfs dans leur extrême tension. Au son de cette alliance musicale et vocale unique, la peau et l’épiderme vibrent à l’unisson, et cette chair mise à nu se libère, vivante, hors des organes comme prête à cuire. (miam !)
C’est seulement à ce moment là qu’il la choisit reine ou déesse, comme en son temps la belle voix de Hanne Winterberg plébiscitée sans ambages par ces instrumentistes solistes Marco Andreis (Guitare, Basse) et Ingolf Brown (Synthétiseurs…) et portée aux nues. Les pauvres perdantes s’en iront crever de désespoir en se jetant d’une falaise ou, pire, en s’alignant au bal de l’Eurovision. Cruelle désillusion. Mais bien fait ! Il faut bien que la cruauté prenne parfois sa revanche sur la beauté.
La genèse de Moral en 1981, aux confins de ce pays nordique, pourrait se résumer ainsi comme une légende des basses plaines, où seule portée par le vent des mers froides, la voix d’or d’Hanne enchante de toute sa virtuosité. Soeur Hanne réchauffe les cœurs, pareille à un astre solaire, qui ne se prend pas pour une lumière justement, mais, sûre de son humble habit de muse, croit chanter seulement pour ses compagnons musiciens. Voix d’ambre, qui transforme, sans le savoir, l’air pulsé en nectar divin pour un Dieu antique qui semble renaître à chaque occasion. Princes et princesse en leur royaume, les membres de Moral ne connaitront pas l’exil et les longues tournées, jouant épisodiquement, en première partie de Monochrome Set et de Nico. Le groupe s’expose peu. Le Royaume préfère garder le mystère intact de ce joyau danois. Attendre le renouvellement peut-être de la dynastie qui libèrera les vieux secrets et leur offrira, post mortem, comme les artistes peintres triomphent après la mort, une gloire à la hauteur de leur valeur.
Pas besoin non plus d’œuvre à profusion pour promouvoir leur talent, juste 2 albums, une K7 Dance of the Doll sortie en 1981, un LP And Life Is … en 1984, dont une fameuse réédition en 2007 And Life Is …And More sur le label Karma Music qui rassemble la discographie du groupe, remastérisée juste comme il faut.
Moral – Slottet I Luften
A lui seul, le morceau Whispering Sons remplit tout l’espace comme un long morceau ambient et étincelant d’Archive. Le son d’orgue cheesy genre string-ensemble distille ses accords comme des coups de laser fendant l’air ambiant, tandis que la guitare tricote ses arpèges pareils à des cocottes rythmiques et s’enflamme peu a peu réchauffée par la distorsion. Nul besoin de batterie, le morceau se suffit à lui-même et prend son envol lorsque la chanteuse déclame ses textes là-haut très loin, d’une pureté stratosphérique, à mille lieues de toute terre connue, proche du royaume de Thor. Le morceau Frosty Nights ressuscite à lui seul l’atmosphère magique des morceaux de Young Marble Giants et de sa chanteuse inspirante Alison Statton. Slottet I Luften croise au large une certaine mélodie grisante d’un bon morceau de Tuxedomoon. Juice vient tout droit d’un album de Björk monocorde et électronique. New Experiments caresse doucereusement un morceau de Goldfrapp du meilleur sentiment. Il semble qu’ à l’écoute de toute ces chanteuses, avec encore Elisa Waut et Mazzy Star, elles ont toutes côtoyé le même secret : Moral. Moral, qui devient, par la transfiguration de la voix en son, et de la mystique en histoire, le chaînon manquant et la pierre de rosette ayant inspiré et permis à toutes ces chanteuses d’exception d’exister (et d’exciter).
Bien qu’il soit impossible de faire le tour des années 80 et de tout ce qui a pu y être produit, même avec du recul, on peut honorablement penser que Moral fait partie des groupes ayant réussi à faire oublier la vacuité et les affres du monde. Aussi captivant qu’intemporel, indétrônable et revivifiant, Moral sonne comme un bon bol d’air frais, puissant et pur comme la Baltique. Moral vous apaise, comme le ressac de la mer, infatigable, et vous redonne du baume au cœur comme au… moral (Pouah ! on l’attendait celle-là, et alors?). N’ayons honte de rien.
Hej !