On a découvert Jane Weaver comme à peu près tout le monde il y a une dizaine d’années. Son album d’alors, The Fallen By Watchbird, en avait scotché plus d’un, augurant d’un des parcours féminins et électroniques les plus riches et singuliers de l’ère moderne. La compositrice de Liverpool officie désormais depuis quasiment vingt ans, dans un registre qu’elle recompose et décentre au gré de ses expériences en studio. Jane Weaver est tantôt folk, psychédélique, rock. Elle habite un territoire électro où on a le sentiment souvent d’évoluer dans un futur proche, Est européen, une succession de bandes son exotiques et passionnantes où affleure toujours une féminité sensuelle et en permanente recherche de vérité.
Loops In The Secret Society est venu d’une série de lives que l’artiste a donnée en s’imposant la contrainte de ne pas utiliser de bandes et donc de tout jouer en direct. Le défi est immense quand on connaît un peu sa manière de composer qui consiste à empiler les couches de musique et à assembler une structure monstrueusement compliquée et éphémère, autour d’un squelette ou d’une mélodie à deux doigts. Jane Weaver a profité de ces concerts pour revisiter des morceaux venus de toute sa discographie. C’est cette expérience que prolonge Loops In The Secret Society, un album aussi déroutant que somptueux.
La recomposition des morceaux leur donne une saveur nouvelle. Le ton est spatial à l’entame avec les grandioses Element et Milk Loop. Mais c’est l’incroyable Arrows qui donne le ton et la mesure du dépouillement à l’œuvre. La chanson est ramenée à sa plus simple expression : une voix d’ange, posée sur une pulsation élémentaire. Jane Weaver met un reverb sur sa voix et nous propulse dans une sorte d’outre-monde futuriste, nébuleux et nuageux. On a clairement ici le sentiment d’évoluer en apesanteur. Jane Weaver expérimente sur HAK au point d’effrayer. On pense à Can et aux grands expérimentateurs. Le krautrock cotoye le spacerock mais aussi la synthpop (Did you see butterflies) sans aucune trace d’effort. Avec ses 22 titres qui alternent les instrumentaux et les pièces chantées, mais évoluent aussi dans des genres très différents, Loops in the Secret Society est un album roboratif mais aussi étonnamment homogène. Mission Desire fait office de tube à la Kraftwerk et fait le grand écart avec le quasi gothique et sépulcral Found Birds. La balade est prodigieuse et hypnotique. Il y a dans cette électro une vie propre, des parfums naturels (Majic Milk, par exemple, qui est à tomber) et biologiques qui émeuvent et transforment ce qui est d’essence technologique en un monument de sensibilité organique. Jane Weaver continue après quasiment deux décennies de musique à surprendre et à fasciner par sa capacité à animer des structures électroniques qui relèvent à la fois de la pop et de la musique classique. On marche dans les pas de Debussy, en même temps qu’on entend les machines qui respirent et discutent entre elles.
La musique de Jane Weaver s’adresse autant à ses fans de longue date qu’à ceux et surtout celles qui veulent découvrir une nouvelle facette des musiques électro, féminine et habitée. La musique de Jane Weaver donne parfois l’impression d’une culture scientifique, comme si on avait prélevé quelques cellules d’une partie de son corps et qu’on avait laissé le soin à des machines d’en assurer la croissance et l’éducation. La femme électronique. L’enfant louve, nourrie par des synthétiseurs. C’est d’une beauté sidérante et d’un charme troublant.
02. Milk Loop
03. Arrows
04. Found Birds
05. HAK
06. Did You see butterflies
07. Sun House
08. I Wish
09. Mission Desire
10. Battle Ropes
11. Found Birds
12. Slow Motion
13. Margins
14. Cells
15. Code
16. Signs Are Rising
17. Ravenspoint
18. Sous le même soleil, vie disparu dans le ciel
19. Majic Milk
20. Conduit
21. Ivana Vessel
22. Battle Ropes