Sebadoh est de retour après six années et l’album Defend Yourself, qui avait été une petite déception à l’époque. Lou Barlow est toujours flanqué ici de son comparse Jason Loewenstein et et du batteur Bob d’Amico, ancien des Fiery Furnaces. Le trio signe un Act Surprised qui, justement, en manque un peu de surprise mais reste de très bon niveau et témoigne de l’évolution sereine du groupe. On aimait jadis Sebadoh pour sa complémentarité avec Dinosaur Jr dont il constituait le prolongement et l’antithèse. Le groupe se posait, pour nous, comme le chaînon manquant entre le travail de Jay Mascis et celui de Pavement. Il était punk et folk à la fois, ouvrant la voie pour un rock indé agité et bringuebalant mais aussi plus mâture et à sa façon responsable. D’un point de vue thématique, Sebadoh était avant tout le groupe de Barlow qui y trouvait un terrain d’expression pour raconter sa vie et notamment ses amours avec sa première épouse Kathleen. Defend Yourself refermait d’ailleurs le couvercle sur cette histoire en annonçant la séparation du couple dont on avait suivi, comme dans un feuilleton, la rencontre et la romance.
Act Surprised ne comprend pas cette part intime. C’est un album un brin plus impersonnel et qui est tourné vers ce qu’on pourrait appeler caricaturalement l’observation du monde. Sebadoh y perd en émotion, ce qu’il gagne en densité. Barlow et Loewenstein s’y expriment en quadras moyens, ballotés comme des fétus de paille dans l’agitation et l’illisibilité d’un univers dont ils ont peu à peu perdu les clés. Cette dimension presque politique est assez nouvelle, sous cette expression, chez Sebadoh et nous vaut les meilleures chansons ici. Phantom à l’ouverture est excellent. « What’s that noise ? Who is in the kitchen ? Out of the dark, your mind is on mission… creating phantoms. » On se croirait chez Lynch ou dans un film japonais. Toute la paranoïa américaine s’exprime ici tandis que le chanteur fouille ses placards partout à la recherche d’une menace invisible. Il y a dans ce titre tout l’esprit du disque : une inquiétude, l’idée que ces rockeurs bien établis ont perdu leurs repères et errent dans un monde sans boussole. « You’re never been so scared. » On retrouve l’entrain légendaire de Sebadoh sur l’incisif et mélodique Follow The Breath. La guitare est ultra-dynamique et la batterie d’une rare efficacité. Le résultat est un tube instantané de 2 minutes et 13 secondes. Il faut souligner cette qualité essentielle du groupe qui est de ne pas faire durer les morceaux. On est souvent (et notamment au début) sous les trois minutes ce qui est une bénédiction et permet à l’album de se développer avec une vigueur peu fréquente de nos jours. Medicate confirme les débuts en fanfare avec un Barlow qui évoque les addictions aux opioïdes et l’état de dépendance d’une part croissante de la population. Son personnage exprime un bien-être si artificiel qu’il regrette l’état de souffrance dont les anti-dépresseurs l’ont soustrait. « Oh, I Miss it when the sorrow tempts me again. How can I live unforgiven ? » Il y a souvent une justesse et une profondeur dans les évocations et les textes qui renforcent l’intérêt du disque. On pourra arguer que Barlow et Loewenstein évoluent souvent dans leur zone de confort et n’ont pas ou presque pas fait évoluer leur formule musicale. Les deux hommes alternent les compositions et le chant de manière à peu près équitable. Barlow affiche, comme par le passé, des qualités de songwriter assez supérieures à celles de son collègue dont les morceaux de facture classique et quasi alt.rock constituent cependant une alternance harmonieuse aux propositions plus pop et mélodiques de Barlow.
Loewenstein remue dans les brancards avec le hard rock Vacation et l’agité Stunned. Barlow lui répond avec la petite pépite Fool, une chanson joueuse et aux accents folk qui fonctionne parfaitement. On a déjà parlé de Raging River, l’un des premiers morceaux dévoilés par le groupe, et de son sous-texte complotiste. On ajoutera que le titre, dans le contexte de l’album, est solide et constitue la clé de voûte (en 9ème position sur 15 titres) de Act Surprised. Sebadoh s’y présente dans toute son unité et son efficacité. Le groupe joue serré avec une cohésion qui épate et le sentiment d’avoir identifié clairement où il voulait aller. La détermination et la maîtrise qui se dégagent de l’album sont à la fois une qualité et un défaut en ce qui concerne Sebadoh qu’on aimait aussi désinvolte et tâtonnant. Sunshine est un autre tube en puissance, aérien et élégant. Barlow excelle dans ce registre mid-tempo et « entre deux émotions ». Le chanteur évoque cette angoisse, très présente ici, d’être hors d’usage ou dépassé. L’âge venant, on sent cette fatigue qui s’installe et qui vient contaminer le dernier tiers de l’album. La résistance s’organise avec le médiocre Act Surprised qui ressemble à une chanson ratée de Mascis mais emporte une bataille avec le fringant Battery. Sebadoh boucle son affaire sur une autoroute de connaissance, enchaînant avec Belief, Leap Year et Reykjavic, un trio de chansons « académiques » (à l’échelle du groupe) et parfaitement exécutées. Belief est un des plus beaux titres ici, sensible et empli d’humanité. « Now i can see the changes that cause you pain. Now i can see the anger in your eyes. » La musique de Sebadoh a appris à contrôler ses sautes d’humeur et s’érige aujourd’hui en force d’apaisement en réponse aux véritables tourments apportés par le monde et la politique. Il est assez amusant d’imaginer que le rock est aujourd’hui obligé de s’installer en tant qu’instrument de sagesse et de paix, alors qu’il incarnait le contraire il y a trente ou quarante ans. « I still love you when you’re fat », chante Loewenstein sur Leap Year. L’esprit de raison l’a apporté jusque dans la chambre à coucher. Il est possible de trouver cela ennuyeux mais on peut au contraire s’émerveiller devant cette nouvelle philosophie. Reykjavic figure le paradis d’une vie choisie et d’un endroit rêvé où l’on peut « cultivate the rules » et se comporter comme un père, lutter contre sa propre innocence. « You need a place to look at all the space in you » Entre épanouissement et développement personnel, il faut choisir.
Sebadoh est devenu un groupe-philosophe, un groupe conscient de ses richesses intérieures et de la meilleure manière de les arranger. Act surprised montre qu’on peut assumer ce virage sans rien perdre de sa pertinence musicale et surtout sans devenir une bande de vieux cons. C’est un album à la fois subtil et intelligent qui ouvre une nouvelle direction plus intellectuelle et moraliste pour le groupe, qu’on pourra comparer à ce qu’est devenu Bob Mould au sortir du Hüsker Dü. Celebrate the void.
A noter que le groupe sera en concert le 7 octobre à Paris (Petit Bain).
02. Celebrate The Void
03. Follow The Breath
04. Medicate
05. See-saw
06. Vacation
07. Stunned
08. Fool
09. Raging River
10. Sunshine
11. Act Surprised
12. Battery
13. Belief
14. Leap Year
15. Reykjavic