S’il fallait rendre de nouveau branché un artiste (déviant) du patrimoine français, sur la foi de ce nouvel album, on signerait volontiers pour que ce soit Jean Guidoni. A 74 ans, le natif de Toulon signe avec Eldorado(s) un disque (le trentième peut-être) de chanson française, de pop et de ce qu’on voudra, remarquablement arrangé et écrit.
Le précédent était sorti il y a trois ans et on ne connait pas suffisamment l’œuvre du chanteur qui a démarré sa carrière au milieu des années 70 pour affirmer qu’Eldorado(s) a un statut particulier ou testamentaire dans sa discographie. Son écoute, désintéressée et attentive, ne peut mener qu’à la conclusion qu’on tient avec Guidoni le chaînon manquant entre Brel, Aznavour et… Bashung, un chanteur de charme charmant et outsider qui a traversé au fil des années des déserts commerciaux plus vastes et arides que celui de Gobi et qui lui ont permis de cultiver une posture quasi clandestine faite d’humilité et d’une liberté absolue. Le disque est issu du travail d’un trio composé d’Arnaud Bousquet pour les textes (co-écrits souvent avec Guidoni), de Romain Didier aux musiques et de Guidoni pour le chant et quelques tâches d’écriture. La voix est agile, à l’aise pour chanter la nostalgie et évoquer des endroits et des amitiés disparues. La tonalité est un peu triste (c’était sûrement mieux avant), souvent désabusée mais agit avec merveille pour ressusciter la liberté morale, sexuelle et relationnelle d’une période révolue. Eldorado désigne du reste un club gay qui a, semble-t-il, existé dans le Berlin d’antan et qui a été remplacé aujourd’hui par une épicerie bio. Si l’ensemble fait son âge et se déploie sur un territoire chanson plutôt classique, c’est-à-dire accompagné au piano et à la guitare avec une simplicité efficace, Guidoni n’embrasse jamais une nostalgie régressive ou conservatrice. La plupart des titres sont remarquables et portent un jugement dépréciatif sur le chanteur lui-même et quelque peu critique sur l’évolution de son environnement.
C’est le cas de l’amer, Quand j’étais riche, qui évoque les amitiés qui fuient avec les revers de fortune ou encore du malicieux Je M’évite qui évoque avec humour les effets de la vieillesse sur le corps défaillant du chanteur. L’introspection et le jugement critique sont poussés encore plus loin sur le bouleversant, Je N’existe pas, un titre somptueux et qui figure parmi les plus profonds et sombres du disque. Ici et Maintenant n’est pas beaucoup plus optimiste mais est soutenu par une mélodie plus claire et de faux airs de légèreté. Guidoni regarde les bateaux qui quittent le port (Sailor Man) et se rémémore des souvenirs qui renvoient à son amour pour Fassbinder, proposant une version queer du Amsterdam de Brel, apaisée et allusive. Il traîne dans une gare pour une Brève Rencontre, plus convenue, avant de faire le portrait cocasse d’un mythomane de haut standing sur un Mytho pittoresque mais quelque peu daté. Les enfants de la nuit évoque sur des arrangements idoines la dérive des enfants migrants et évoque les chansons de Bernard Lavilliers. Le disque s’achève sur une série de trois belles chansons : le curieux Trivial Killer, portrait cruel et plein de malice d’un homme manipulateur, le magnifique et énigmatique Ton Silence et enfin le décisif et amoureux Regarde Mon Amour, LA grande chanson baladeuse et sentimentale du disque. Au cœur de Paris, entre danse et restaurant, Guidoni fait l’éloge de son mari et d’un amour l’emplissant de réconfort et de bonheur.
Sans recherche excessive d’originalité, le chanteur septuagénaire signe un disque majuscule, intelligent, poétique et d’une élégance sans pareille. Des textes aux arrangements soyeux, on se balade le cœur attendri par l’expression d’une certaine idée de la France, généreuse, humaine et progressiste. Pas si mal pour un vieux de la vieille.
02. Eldorado
03. Je m’évite
04. Ici Maintenant
05. Je n’existe pas
06. Sailor Man
07. Brève Rencontre
08. Mytho
09. Les Enfants de La Nuit
10. Trivial Killer
11. Ton Silence
12. Regarde Mon Amour

