Renaud / Métèque
[Parlophone France]

6.9 Note de l'auteur
6.9

Renaud - MétèqueMétèque est le premier volet d’un diptyque annoncé de Renaud pour Parlophone, comprenant un disque de reprises et un autre de nouvelles compositions. C’est un disque à la réception douloureuse qui coïncide, peu ou prou, avec le 70ème anniversaire de l’artiste et s’inscrit dans un contexte où la disparition (proche) intime et artistique de Renaud est annoncée et mise en scène sur les réseaux et ailleurs avec autant d’humour que de cruauté. Y a-t-il encore quelque chose à tirer d’un type dont la santé décline et qui a perdu, avec sa voix, l’un de ses plus solides attributs ? Assiste-t-on, après celle du Belge Arno, à l’agonie d’un autre monument de la chanson ?

De Métèque, étonnamment, on ne dira pas tant de mal que ça. Les arrangements sont soignés et la production relève d’une approche mainstream qui n’a rien d’outrée et de repoussante. Les guitares sont parfois balourdes sur la reprise du Métèque qui ouvre le disque mais il y a plusieurs plages qui sont habillées avec soin et qui sonnent particulièrement respectueuses des originaux. La production est attentive à ne pas éteindre la voix et à lui ménager, à chaque fois, une place qui, tout en la laissant au premier plan, ne la rende pas ridicule. Car il y a bien entendu cet écueil qui limite et finit par être utile au disque en lui conférant une forme de légèreté désinvolte et d’authenticité : la voix de Renaud évolue dans un registre extrêmement limité et ne repose plus que sur son timbre inimitable.

On se souvient de la calamiteuse chanson de Renaud pendant la crise sanitaire. Le disque évite au maximum les moments de malaise qui alimentent l’ironie et le cynisme sur l’artiste. A quelques exceptions près (des notes qui dégringolent en tremblant sur le Temps des Cerises, la scansion maladroite sur la Folle Complainte de Trénet), le chanteur se débrouille plutôt bien avec le matériau qu’il a choisi et livre des interprétations, évidemment vacillantes, qui laissent passer l’émotion. La sélection est assez remarquable par sa variété et sa qualité. On croise Moustaki (pas la meilleure reprise), Françoise Hardy (magnifique l’Amitié que Renaud  interprète avec beaucoup de subtilité) puis Ferrat, Reggiani, Bourvil, Brassens et Montand. Renaud ne choisit pas nécessairement les titres les plus connus et prend un plaisir évident à ressusciter des textes souvent magnifiques et qu’on n’avait où jamais entendus ou qu’on avait oubliés. L’entreprise est fragile mais digne et réellement émouvante. Métèque est marqué par une dimension crépusculaire et souvent mélancolique mais préserve la capacité de Renaud à amuser et à faire sourire, tout en dénonçant les puissants, l’ordre policier et le conservatisme. La reprise de Ca va, ça vient de Bobby Lapointe est joueuse même au ralenti et offre un réel bon moment. Le Nuit et Brouillard de Jean Ferrat est déchirante et formidablement mise en sons, le résultat transcendant avec une belle facilité le chant tremblotant du chanteur. Ceux qui se seront arrêtés au single caricatural, Si Tu Me Payes un Verre (Reggiani), et à son clip vieille France, ne savent pas ce qu’ils perdent. La reprise elle-même est évidemment pleine de sens et Brelienne dans son approche.

On mettra en avant, parmi les 13 morceaux, la sublime Tendresse de Bourvil et l’enlevé Le Jour où le Bateau Viendra, chanson de mort signée par Hugues Auffray. Renaud s’y ébroue avec une vivacité presque retrouvée, amusé et fringant. Le chanteur n’est jamais aussi précieux et à l’aise que lorsqu’il s’amuse à inscrire ses pas dans la tradition de la chanson française en lui insufflant son esprit rebelle et d’insoumission. On l’entend ricaner et considérer les figures imposées avec distance et la jubilation de celui qui met le bazar par sa modernité. C’est ce Renaud là qui ressuscite sur ce disque de vieilleries, le Renaud qui fait vivre les mots avec délectation et agite le vieil édifice moisi et bourgeois des chanteurs giscardiens. On pardonnera alors le moyen Hollywood et la reprise de Bonhomme (Brassens) qui n’apporte pas grand-chose.

Métèque est un chouette disque de résistance au temps, à la tise et à la mort. L’ombre de Renaud ou quoi qu’il en reste est encore belle et sûrement plus grande que celle crottée des Vianney et autres chanteurs à la sauvette. A 70 ans, il reste un beau souvenir.

Tracklist
01. Le Métèque (Georges Moustaki)
02. L’amitié (Françoise Hardy)
03. Ça va, ça vient (Bobby Lapointe)
04. Le temps des cerises (Yves Montand)
05. Nuit et brouillard (Jean Ferrat)
06. Si tu me pays un verre (Serge Reggiani)
07. La Tendresse (Bourvil)
08. Hollywood (David Mc Neil)
09. Bonhomme (Georges Brassens)
10. La folle complainte (Charles Trénet)
11. Le jour où le bateau viendra (Hugues Auffray)
12. La complainte de Mandrin (Yves Montand)
13. Je suis mort, qui dit mieux (Jacques Higelin)
Écouter Renaud - Métèque

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