Clément Lemennicier / Mountain Dreamer
[Les Disques Normal / Yellow Mountain]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Clément Lemennicier - Mountain DreamerCommencer une chronique par un vieux slogan publicitaire passé depuis belle lurette dans le langage commun serait, on l’accorde, quelque peu décalé mais pourtant, la simple évocation de la montagne provoque souvent une véritable fascination qui se propage sans peine jusqu’aux plaines et même en bord de mer. La musique n’y coupe pas et même si on est sans doute plus habitués aux ambiances maritimes, de très belles références, françaises en particulier, ont récemment mis la montagne à l’honneur. On pense à l’envoutant duo Grand Veymont ou aux formidables Les Marquises dont le puissant Soleils Noirs sorti l’an passé continue de hanter les esprits. Ça n’est donc sans doute pas un hasard si c’est également le label rennais Les Disques Normal qui sort ce premier album de Clément Lemennicier, Mountain Dreamer, nouveau rocher apporté au pierrier de la face nord des productions indés. Le nom du musicien ne sera sans doute pas inconnu des suiveurs de la scène rennaise, lui l’ingénieur du son formé auprès de la figure islandaise Valgeir Sigurðsson mais qui n’a surtout de cesse de souffler ses cuivres sur la plupart des disques les plus intéressants produits dans la capitale bretonne depuis plus d’une dizaine d’années. Membre des trop rares Bumpkin Island, c’est sur leur deuxième et dernier album en date, All Was Bright, que l’on va le découvrir également claviériste, guitariste mais aussi chanteur, première étape de sa sortie d’une zone de confort cuivrée certes généreuse mais qui semblait enfermer le musicien dans les rôles secondaires.

Mountain Dreamer arrive donc à point pour le mettre en lumière, tel le soleil perçant la crête et illuminant enfin le chemin de la cordée en route depuis un moment déjà. Un monde qu’il connait, lui qui a passé son enfance dans les Alpes, préférant même un temps se consacrer plus à la montagne qu’à la musique qui ne reviendra que plus tard. Logique alors que pour son premier travail d’écriture et d’interprétation solo, il ait choisi ces décors majestueux qui imposent le respect et l’humilité, à l’image de ce disque. Mountain Dreamer est un disque de contemplation influencé par les souvenirs qu’il assemble tel un herbier ainsi que par son parcours de musicien un peu touche à tout, il est vrai essentiellement immergé dans le milieu indépendant, mais également sensible au jazz, à la musique contemporaine et aux diverses rencontres qu’il peut faire lorsqu’il vient poser ses cuivres ou pratiquer son activité d’ingénieur du son. Essentiellement centré autour du couple voix-guitare, l’album s’autorise quelques écarts avec l’aide de deux de ses comparses de Bumpkin Island, Federico Climovich avec qui il tourne sur scène, ici au tom basse et Jérémy Rouault qui signe quelques effets électroniques. S’ajoutent quelques notes du piano de son propre frère Matthieu Lemennicier ainsi que quelques rares cordes de Lise Péchenart et bien entendu quelques souffles de bugle mais on est loin au final d’un disque très orchestré. L’ascétisme est de mise et Clément Lemennicier, en fin connaisseur de la musique et des courses en montagne n’embarque que le minimum requis.

L’album est marqué par un très joli travail en profondeur sur le son, cette façon dont il peut, comme en montagne encore, s’envoler d’un pan à l’autre de la vallée pour finir étouffé par l’immensité et son silence. Il emprunte des sentiers plutôt bien balisés tout en s’autorisant quelques pas de côté et les amateurs de folk épuré que peut suggérer la présentation du projet n’auront guère que The Line à se mettre sous la dent, et encore… En réalité, Mountain Dreamer fait la part belle à l’électricité et à l’inventivité d’un Clément Lemennicier qui ne choisit jamais la facilité. Yellow On The Sea aux accents bossa nova est une version sensiblement plus personnelle et intense d’un titre déjà paru sur le second album de Bumpkin Island tandis que Lost Song For P. mutique et ascétique met en valeur tout le travail minutieux sur la temporalité dans le jeu de guitare. Si S-Tree et son texte en français, le seul, ravive des cuivres virevoltants comme une bande de bouquetins foufous, The Host impose en guise de conclusion absolument contemplative ce sentiment de plénitude que l’on éprouve en parvenant au sommet, lorsque s’ouvre un panorama à la hauteur des efforts consentis. Car au fond, quoi de plus normal quand on randonne en montagne que de chercher à atteindre les cimes ? On se tourne donc vers Mountain Dreamer, morceau d’une incroyable intensité, tentant un pas de côté vers des aspects plus expérimentaux (bandes inversées, piano préparé) qui ne va pas sans rappeler certains travaux de Jim O’Rourke tandis que sur Silver Night Skin, superbe morceau à la construction ambitieuse, plane ni plus ni moins que l’esprit de l’immense et regretté Nick Talbot de Gravenhurst dont on commémorait il y a quelques jours à peine les dix ans de la disparition.

Le moins que l’on puisse dire alors, c’est que Mountain Dreamer, disque de toute fin d’année, pourrait bien bousculer les certitudes des amateurs de bilans annuels dans leur hiérarchie souvent déjà établie. Bien entendu, on lui trouvera peut-être quelques défauts comme une certaine austérité mais qui ne pèse finalement pas bien lourd face à l’élégance de l’ensemble. C’est un premier album, certes, mais qui bénéficie dans son architecture de la grande expérience de son auteur, musicien et technicien aguerri, membre d’un groupe aujourd’hui un peu perdu mais que l’on espère toujours en activité et dont les deux albums Ten Thousand Nights en 2013 et All Was Bright en 2017 regorgeaient eux aussi d’ambition et cherchant à tout prix à éviter la facilité. C’est que rêver de montagne est une chose, mais cette prétention implique savoir-faire et exigence face aux défis que l’on s’impose, mais aussi humilité et modestie face aux éléments qui se dressent sur le sentier ; précisément tout ce dont Clément Lemennicier fait indéniablement preuve sur ce premier album.

Tracklist
01. The Line
02. Silver Night Skin
03. S-Tree
04. Yellow On The Sea
05. Mountain Dreamer
06. Lost Song For P.
07. The Host
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