Depuis 2010, Jérôme Minière a beaucoup travaillé. D’abord sur les projets des autres : la conception sonore d’une pièce de théâtre en 2012 et la réalisation de l’album de Grenadine, une jeune chanteuse montréalaise, début 2014. Aussi sur ses projets alternatifs avec la sortie d’un troisième album sous le nom de Herri Kopter, qui reçoit en 2013 le prix d’album de musique électronique de l’année aux Félix, l’équivalent de nos Victoires de la musique.
Mais comme tout cela ne suffisait pas – la liste étant par ailleurs loin d’être exhaustive – Jérôme a également publié son premier roman L’Enfance De L’Art en janvier 2015. Hélas, comme pour le nouvel album, le livre n’est pas distribué en France et doit donc être commandé en import. Il est pourtant grand temps que la France se ré-approprie l’œuvre de l’exilé d’Orléans.
Cinq ans donc après Le Vrai Le Faux, Jérôme Minière reprend là où les choses s’étaient arrêtées. L’introduction de Je Ne Suis Pas Pressé semble d’ailleurs vouloir brouiller les pistes avec ses arrangements électroniques. Car finalement d’électronique il n’en sera quasiment pas question sur le reste de l’album.
Une Île (écouter ci-dessous) est peut-être le disque qui semble, à la première écoute, le plus léger de Jérôme, comme en opposition au précédent disque, assez noir. Les arrangements sont ici plus lumineux et porteurs d’un optimisme rare chez l’auteur. On sent d’ailleurs la décontraction de l’ensemble dès le premier titre avec lequel Jérôme nous invite à prendre notre temps, à nous poser pour suivre ses aventures.
Sur le fond, les paroles restent globalement très justes, qu’elles soient imagées ou plus crues, parfois cyniques pour parler de son époque Postmoderne, fricotant avec des ambiances qui rappellent Stereolab. L’ensemble du disque évoque aussi tour à tour le temps qui passe, l’espace qui nous entoure et la difficulté d’aimer et d’être aimé. On retrouve également un propos plutôt acerbe sur Ego Lego, quand Jérôme rappe ses désillusions sur un air de basse qu’on croirait sorti tout droit du générique de K2000.
Vient alors le single L’Amour Ça S’apprend Pas Par Cœur, une bluette au refrain qui reste coincé en tête toute la journée « ça change sans cesse de couleur, ça change sans cesse de douleur« . Des arrangements de violons somptueux, réellement écrits et réfléchis, à mille lieux des orchestres symphoniques ineptes qu’on peut entendre sur certains disques français actuels. Jérôme démontre encore une fois avec cet album qu’il est un arrangeur hors pair.
Une Île Au Stylo Bille pourrait être un titre de son premier album, un peu décalé, décousu, très programmé. Bric A Brac, sans doute un des meilleurs morceaux du disque, devrait tourner en rotation sur France Inter, dans un monde idéal et Albin de la Simone ne renierait sûrement pas cette chanson.
Plus loin, Ressources Minières (on se demandait si un jour il ferait la blague) est plus classique dans sa forme (une bossa nova à la guitare sèche que Jérôme affectionne particulièrement depuis ses débuts). Arrive alors l’ovni Thérapie, le morceau dub du disque. On n’a jamais entendu le chanteur dans ce registre, le morceau étant d’ailleurs plus près de l’univers d’Herri Kopter. Personnellement je passe…
Puis Appuyer Sur Stop, encore du jamais vu dans une nouvelle atmosphère, la chanson minimaliste qui évoque l’envie de faire une pause. On retrouve ici le concept du début du disque sur le temps et nos vies qui vont trop vite.
Cœur En Néon Bleu, un de mes textes favoris, comme seul Jérôme sait les écrire : une chanson sur l’enseigne d’un magasin, qui serait peut être le cœur de la ville, de Montréal, « Ce métronome sans personne pour l’aimer, ici tout seul il clignote, en été il suffoque, l’hiver il grelotte, ce beau cœur oublié ». Sublime.
Troisième grand morceau du disque L’Ennui, ici aussi texte magnifique et son ambiance 80’s assumée, proche de Gainsbourg (Le Requiem Pour Un Con ou I’m The Boy). On rit beaucoup à écouter le chanteur nous raconter son histoire, en prose, le débit est différent du reste du disque, quasiment parlé.
Pour terminer, retour au minimal Dans La Cuisine Du Phare, comme pour nous signifier, si nécessaire, que l’île est bien gardée et que chaque chose reste à sa place, l’horizon et les frontières comprises.
Une Île est une réussite, un vrai tour du propriétaire, et si vous ne connaissez pas l’univers de Jérôme Minière, ce disque aux mille facettes vous permettra d’avoir un aperçu de toute l’étendue de son talent en 14 nouvelles chansons. Ça ne se refuse vraiment pas.
02. Postmoderne
03. Jardin sauvage
04. Ego Lego
05. L’amour ça s’apprend pas par cœur
06. Une île au stylo bille
07. Bric à brac
08. Le tatouage sur le dos de tes pensées
09. Ressources minières
10. Thérapie
11. Appuyer sur stop
12. Coeur en néon bleu
13. L’ennui
14. Dans la cuisine du phare