La question du succès, sans être obsédante, revient régulièrement comme l’indicateur de ce qui ressemble parfois à un complexe douloureux qui renverrait le rock français et, disons le plus largement européen au statut d’éternels et aimables faire-valoir face aux monstres anglo-britanniques et américains qui trustent depuis toujours le devant de la scène, en tout cas de celle qui nous intéresse le plus ici, celle du rock dit « indépendant ». La question de la langue demeure sans doute centrale et les exemples de succès internationaux autrement qu’en anglais ne sont pas non plus légion, Yann Tiersen ou Sigur Ros ne parvenant pas à cacher la moindre forêt. Dans ce contexte, la musique anglophile, ambitieuse et taillée pour la scène des Bantam Lyons aurait tout pour fonctionner. Fort de 3 EP et d’un album tous aussi brillants et percutant les uns que les autres, le groupe alors sur le label nantais Ksanthu avait vu sa musique se déployer, électrique et torturée, entre lyrisme noir et électricité tapageuse que rien ne semblait pouvoir arrêter. Un groupe HPM, à Haut Potentiel Musical dont la régularité, studieuse et appliquée, un disque par an en 4 ans de 2014 à 2017, laissait entendre qu’il mettait tous les atouts dans la même main dans l’espoir de décoller. En vain, pour l’instant.
Aujourd’hui que sort Mardell, le second album de Bantam Lyons, c’est presque comme si rien de tout cela n’avait existé et qu’il fallait tout reprendre à zéro, notamment en opérant une relocalisation symbolique sur ses terres d’origines. C’est donc le label brestois Music From The Masses qui accueille du côté de la place Guérin un Bantam Lyons devenu quintet pour un album illustré d’une façon presqu’étonnamment sobre par l’un des monuments emblématiques du port du Ponant, célébrant le débarquement américain de 1917. Américain comme Gezellig, label de Knoxville, Tennessee, qui sort cet album outre-Atlantique comme une promesse aussi au pays d’Interpol. Rien n’a changé, mais tout est différent. En bons bretons qui se respectent, les membres du groupe voyagent, se disséminent, vont et viennent, mais surtout reviennent ; géographiquement et musicalement. La pause qu’ils se sont imposés depuis Oh, Cordelia!, leur dernier EP en date, leur a permis d’explorer une multitude d’autres projets, de côtoyer dans un axe nanto-rennais lorgnant désormais vers la capitale une scène foisonnante, ultra dynamique et inventive, de participer de près ou de loin à l’éclosion de Lesneu mais surtout de revoir l’esthétique qu’ils voudraient donner à leur musique à leur retour qui ne faisait aucun doute.
Moins lyrique et plus percutant, le Bantam Lyons nouveau se retranche plus que jamais derrière une rythmique sans ambages menée par Maëlan Carquet, l’un des piliers du groupe à la basse et Samuel Rolland à la batterie sur ce disque avant de se mettre en retrait du groupe, les guitares rêches omniprésentes de Benoît Guchet mais aussi des claviers plus discrets mais bien implantés grâce notamment au retour de Nicolas Soulatre, déjà présent sur les premiers ep du groupe. Si la voix de Loïc Le Cam qui a dès les débuts été centrale dans l’univers de Bantam Lyons demeure toujours aussi grave, toujours aussi évocatrice, véhiculant au fil des morceaux des émotions contrastées, elle a perdu de son emphase auparavant parfois un rien encombrante pour gagner en sobriété et se mettre au service des morceaux plutôt que de les porter dans un univers devenu résolument post-punk qui convient si bien à l’énergie que le groupe dégage, sur scène comme sur Mardell.
Entrer dans Mardell et ses huit titres, sombres, gris comme un ciel pesant sur les Monts d’Arrée, à peine traversé par quelques rayons de soleil qui percent péniblement, c’est la promesse d’une dynamique ballade introspective et sportive, humide et vivifiante sous la bruine armoricaine du GR 380. Entre landes sauvages, roches saillantes et futaies sombres, Bantam Lyons ne brûle aucune étape et laisse à chaque fois le temps à ses morceaux de se déployer en dehors de tout carcan. Court, long, sans refrain, alambiqué, hyper mélodieux, tendu, le chemin que balise les bretons est sinueux, tout sauf ennuyeux. Ils manient comme peu l’art du contre-pied, du faux rythme et du dépistage : se perdre pour mieux se retrouver. Tel semble être le crédo sur ce nouveau disque passionnant de bout en bout.
Ces huit titres sont comme les enfants de la même famille Mardell : tous différents mais liés à la vie à la mort par le même adn, le même sang. Il y a Christopher Champagne, l’hyperactif qui court partout, se rêve au grand air, en bord de mer ou au fond des bois, peu importe tant que personne ne cherche à l’enfermer. Wilhelmine l’introvertie passe ses soirées à la fenêtre à converser avec la lune, à lui confier ses projets secrets, rêveuse et admirative devant Philatélie Frontale, sa grande sœur déjà femme qui se prépare avec soin pour rejoindre son amoureux auquel elle tient tant à plaire. Pintor est le fêtard qui connait tous les troquets, rades et caf’conc’ du coin, jamais le dernier à partir en riboule pour faire la jaille. Il y entraine souvent St Dô, le musicien de la famille, celui qui a tout appris des disques des Chameleons de ses parents et se rêve en rock star intègre et populaire. Ar Stêr, la petite dernière un peu turbulente qui s’est mise au breton pour retrouver la source de la culture qui coule en elle vit sous l’aile de son grand-frère Branque, tendu et angoissé, ivre de lectures sombres et de musiques robotiques, androgyne dans son long manteau noir. Enfin, véritable ciment, The Lass Of Brecon est la sagesse incarnée, celle sur qui repose toute la fratrie, méticuleuse et organisée, sensible et dévouée mais derrière laquelle se cache une personnalité complexe et profondément attachante.
Complexe et profondément attachant, voilà ce qu’est le Bantam Lyons de Mardell qui a troqué son esthétique ample et plutôt produite pour des compositions plus travaillées, conçues comme un tout difficilement dissociable, au plus près de l’os, mais non dénuées de quelques fioritures discrètes et efficaces. Le second album d’un groupe qui marque son territoire d’une présence ambitieuse qui, dans un autre monde où il importerait moins que l’on soit né de tel ou tel côté de la mer ou de l’océan, lui ouvrirait les portes d’un succès largement à sa portée. Le veulent-ils vraiment ? Eux seuls en ont la réponse. Ils en ont déjà l’album pour.