C’est peu dire que le confinement planétaire marquera durablement nos vies et que d’un point de vue artistique, il est probable que d’ici quelques temps, il en ressortira autre chose que cette pléthore de live Facebook au piano dans un vaste salon bourgeois ou à la guitare acoustique dans un coin de cuisine alors qu’il est l’heure de faire la soupe, productions qui ne brilleront pour la plupart que par leur éphémérité.
S’il est quelqu’un que l’on pouvait attendre sur la question, c’est peut-être Jérôme Minière. Pas avare depuis belle lurette de ce regard si touchant et pertinent qu’il jette sur lui-même, ses semblables et le monde qui nous entoure, on l’imaginait bien décrire les rues de Montréal désertes, évoquer l’ambiguïté du repli sur soi et de l’attention à porter aux autres ou poser son regard pince-sans-rire et quelque peu acide sur les multiples contradictions de ces congénères artistes. Raté. Jérôme Minière a bien décidé de nous rassurer de sa délicate présence en cette période troublée, mais sans doute abasourdi comme beaucoup, il préfère pour l’instant se taire.
L’œuvre au drôle de nom, Cancionero de Palacios, instrumentale donc, est en fait un corpus de chansons créées au XVIème siècle par des compositeurs anonymes de la cour du Roi d’Espagne que Jérôme Minière s’est approprié pour les adapter. « Ces créations ont à la fois le goût de l’ancien et du nouveau, de la tristesse et de la joie, ainsi qu’une couleur à la fois traditionnelle et électronique » dit il. Cinq titres aux sonorités plutôt électroniques quoiqu’hybride, comme le montréalais a souvent montré et particulièrement sur ses deux derniers albums jumeaux qu’il savait si bien le faire. Contemplatives, mélancoliques, un peu hypnotiques même par moment, ces chansons de troubadours de la renaissance perdent assez vite leur cachet manchego-andalou pour devenir surtout de jolies pièces contemporaines qui semblent convenir parfaitement à ce moment particulier. Le temps s’étire au rythme mesuré d’une journée confinée généralement traversée d’humeurs diverses. L’esprit divague comme les guitares planantes infiniment délayées sur En El Servicto de Vos, profite des êtres aimés (Amor Que Grande Porfia), s’assombrit sur le plus inquiétant Harto de Tanto Porfia ou s’émerveille à la redécouverte de petits plaisirs simples qui embellissent nos vies finalement pas si exigeantes que ça (le très cinématographique Al Alba Venid). Demain sera une journée en tout point identique, mais la berceuse électro Tres Morillas nous y prépare de la plus belle des façons.
Offert à l’écoute ou au téléchargement sur le Bandcamp et le Soundcloud de Jérôme Minière, (on peut toujours faire un don), cet EP est bien plus qu’une pastille confinée, une nouvelle preuve du talent d’un artiste essentiel.