Pour la pochette de son quatrième album, Kevin Morby pose devant un miroir, affublé comme un dandy, avec un air pensif et vaguement tourmenté. La photo pourrait paraître anodine mais cette mise en abîme fixe en image le propos de City Music.
A tous ceux qui n’ont vu dans l’échappée en solitaire de l’ancien bassiste de Woods et moitié de The Babies (avec Cassie Ramone de Vivian Girls) qu’une passade pour évacuer ses aspirations folk mélancolique couchées sur le magnifique Harlem River (Woodsist – 2013), Morby n’a cessé d’offrir un électrique démenti sur scène. Le jeune homme n’a pas trente ans mais ceux qui auront écouté Still Life (2014) et a fortiori le gigantesque Singing Saw (Dead Oceans – 2016) savent que le bonhomme est déjà un maître du songwriting.
Mais chez lui les apparences sont toujours brouillées. Il ouvre ainsi ce quatrième album par le crépusculaire, Come To Me Now, l’une de ces chansons intemporelles qui illuminent sa déjà riche discographie, pour, deux pas plus loin, se lancer dans une galopade rock’n’roll régressive qui fait référence aux Ramones jusque dans son titre (1234). Il est aussi capable de métamorphoser Caught In My Eyes des vieux punks The Germs en ballade mid-tempo acoustique. Ce gars n’est jamais là au moment où on l’attend, il est toujours barré ailleurs, un peu plus loin, enfonçant des clous pour écrire « no future » sur le costume de troubadour pastoral qu’on voudrait lui faire enfiler. Kevin n’est ni Leonard Cohen ni Nick Drake. Il n’est pas non plus l’entertainer qu’il s’amuse à jouer dans ses poussées d’optimisme lorsqu’il s’échauffe sous les spot-lights de la scène.
Ce nouvel album pousse un peu plus loin encore que son prédécesseur cette dichotomie, cette singularité. Un peu déroutant de prime abord et pourtant d’une cohérence parfaite, City Music s’organise autour de la chanson-titre qui, en presque sept minutes, synthétise plusieurs courants d’inspiration chez lui et, dans le même mouvement, ouvre vers d’autres horizons. Après la première écoute absolument jouissive par sa progression mutante, on aime à y revenir encore et encore jusqu’à l’étourdissement. C’est à la fois incroyablement optimiste et une source de spleen confortable. Night Time est des autres grands moments de ce disque : au-delà de l’écriture très classique, c’est la solitude et le vague à l’âme qui transpirent. Et il serait réducteur de résumer ce nouveau chapitre à ces quelques fulgurances.
C’est l’ensemble qui forme l’œuvre, car City Music est un disque éblouissant de lumière en pleine nuit, un album pour espérer et pleurer, pour se réconforter et s’enfuir dans son jardin secret.
Kevin Morby – Aboard My Train
02. Crybaby
03. 1234
04. Aboard my train
05. Dry your eyes
06. Flannery
07. City Music
08. Tin Can
09. Caught in my eyes (The Germs)
10. Night time
11. Pearly gates
12. Downtown’s lights