Est-ce la bonne santé du piano contemporain qui a amené le pianiste jazz, Édouard Ferlet, à faire ce petit pas de côté ou une simple envie mâtinée de curiosité de sortir (un peu) de son pré carré, brillamment couvert, pour explorer de nouvelles musiques. Toujours est-il que son nouvel album Pianoïd n’est pas « que jazz » mais tourné vers une musique qu’on affectionne et qui emprunte son minimalisme et sa recherche de l’émotion aux Glass et autres Nils Frahm, pour ne citer que ceux-là. On vous épargnera pour une fois la mention de Kosemura ! (oh, non, finalement). Ferlet avait déjà travaillé en mode gospel puis servi avec un brio relatif l’atroce musique baltringue de Lambert Wilson. Entre pop et mainstream, on évolue cette fois dans un espace passionnant où le piano garde sa technique et se montre volubile, un espace où les phrases ne sont pas prononcées à l’économie mais où la recherche de progressions s’établit au long cours, dans la répétition et le tâtonnement. Rien de si différent en somme avec ce que l’immense interprète et compositeur qu’est Ferlet a pu proposer jusqu’ici en format trio dans son habillage de prédilection avec batterie et contrebasse. Le premier extrait de ce nouvel album, Chi, reste une énigme qui s’inscrit dans un travail plus ample et en partie composé pour servir un projet d’art visuel travaillé longuement avec Joachim Olaya du collectif Scale.
Projet moderne donc et pianiste virtuose, voilà qui devrait suffire à intriguer et à attirer l’attention. Est-ce que Ferlet réussira à marier son sens de la composition et la volonté d’improviser, à conjuguer maîtrise de l’instrument et art de l’ellipse ? Figure sur l’album un Prelude N°1 in A Minor, hommage à Moondog qui trahit à peine l’ambition. Le morceau est magnifique, sobre et haletant. Ferlet travaille sur Pianoïd à interroger la matérialité de son instrument comme s’il en découvrait les rouages sur le tard en l’associant à des séquenceurs et à divers ustensiles numériques. Le piano est-il mécanique ou cybernétique ? Est-ce une créature vivante ou quelque chose qui relève de la technologie ? Quel est le statut de la note qui émane d’un instrument constitué de cordes, de touches et d’ivoire ? Que se passe-t-il si on accélère le tout et le passe au tamis des filtres et effets ? Entre le taiseux Archaea et le fringant Anaboly, la recherche est condamnée à n’aboutir nulle part, ce qui est le plus sûr moyen d’arriver à un quelque chose qui ne ressemble à rien de connu. Ferlet allège le propos, soustrait jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Vendry est une pièce de 6 minutes et 20 secondes pour laquelle on vendrait père et mère.
On reviendra sur l’album mais ce sera un compagnon de rentrée précieux.