L’univers des BO de films d’horreur ne connaît pas la crise. Nouveaux enregistrements, rééditions de classiques, à l’image des labels Death Waltz ou du distributeur spécialisé Mondo qui multiplie les disques et objets d’art en hommage aux films gore ou de série Z, le marché de l’horreur est l’un des moteurs, avec la musique électronique, du renouveau du vinyle dont on nous rabat les oreilles depuis quelques années. Les rééditions sont intelligentes, somptueuses et entrent souvent en résonance avec un public qui aime se frotter à la musique classique d’une manière souvent timide et déviante, à partir d’œuvres splendides mais dont la complexité (supposée) est bien inférieure à celles de pièces orchestrales plus traditionnelles. La musique de films d’horreur serait ainsi à la grande musique une extension permettant d’accéder librement au grand frisson sans tout le tralala et la culture empesée qui vont avec. On a parlé, il y a quelques mois, du maître électronicien Umberto mais aussi du revival des Italiens de Goblin ou encore des rééditions du formidable Fulci. Ces derniers n’auraient pas existé sans les pionniers du genre.
Cette fois-ci, et toujours pour le meilleur, c’est plus profond et plus loin dans le temps que les archéologues sont allés chercher pour rééditer, en accompagnement de deux beaux livres publiés chez Akileos (un éditeur de BD et de beaux livres de genre très recommandable) consacrés à cette prestigieuse maison, les scores (comme on dit maintenant en lieu et place de bande originale ou de soundtrack) de la Hammer. Pour ceux qui n’ont justement jamais vécu dans une tombe (sic), la Hammer est une société britannique de production née dans les années 30 et qui prospérera principalement après la seconde guerre mondiale en produisant les films d’horreur les plus célèbres et les plus grandioses du XXème siècle entre 1955 et 1970. C’est justement à cette période considérée comme l’âge d’or du genre que s’intéresse la compilation publiée par Akileos et Bordeaux Rock et qui s’incarne dans un superbe LP d’une vingtaine de pistes, présenté en série limitée de 300 exemplaires. Les noms des compositeurs qui composent cette sélection ne sont pas forcément tous passés à la postérité mais quelques uns comme James Bernard (Dracula, la Gorgone, Frankenstein), Roy Philips (Le Monde Perdu) ou David Whitaker (Dr Jekyll et Sister Hyde) ont pu accéder grâce à ces travaux à une certaine renommée. Parmi eux, et qui signe un bon tiers des compositions retenues ici, James Bernard est évidemment le plus remarquable et le plus doué. L’homme était le compagnon de travail (et de coeur) du compositeur Benjamin Britten (durant une bonne partie de sa jeunesse). Il a retranscrit certains de ses opéras les plus célèbres et partageait, dans ses compositions, pas mal de qualités de Britten : le romantisme, le sens (économe) de l’emphase et une forme de lyrisme et d’élégance que l’on retrouve dans la plupart des morceaux réunis ici.
Qu’on parle de la série des Dracula ou de Frankenstein, Bernard était un maître des effets de manche, incroyablement doué pour manier les percussions, et disséminer des harmonies concurrentes. Sa grande spécialité (qu’on retrouve ici bien entendu) était de doubler les thèmes en les jouant deux fois en même temps, dont une fois un ton plus haut. Cette technique qu’il usa jusqu’à la corde était souvent à la naissance de cette impression de dérangement qu’il faisait régner dans la plus anodine des scènes. C’est ainsi qu’une balade bucolique dans la campagne anglaise se changeait en prélude à un dérèglement des moeurs et des sens. Bernard excellait aussi bien dans les tempos paisibles et inquiétants que dans les scènes d’action ou de délires surréalistes qui accompagnaient souvent l’arrivée des monstres. C’est ce mélange de planantes montées d’angoisse, de déambulations crépusculaires dans des campagnes habitées et de scènes d’acmé terrifiantes qui fait tout le charme de cette compilation remarquable.
Bernard ou pas Bernard, le pouvoir immersif de ces musiques est, à des décennies de distance, resté intact et aussi puissant que le sont la plupart des films qu’elles illustraient. On crève souvent de trouille à l’idée que Christopher Lee nous saute à la gorge. Mais heureusement, Peter Cushing jaillit et nous sauve la mise. Bon sang, c’était tout de même le bon temps quand on pouvait se faire peur pour deux shillings et sans avoir à massacrer à la pelle des jeunes étudiantes en string. Autres temps, autres mœurs, ces thèmes classiques de la Hammer (déjà réunis, mais plus chichement, Outre Manche) sont incontournables pour tous ceux qui aiment la musique, le cinéma, le frisson, les filles égorgées, les nichons à l’air et les manoirs poussiéreux. On a pas fait d’étude là-dessus, mais ça fait un certain nombre.
A l’heure pour Noël, le vinyle et les deux livres associés, l’un sur l’histoire du studio et l’autre sur les affiches, sortent simultanément le 23 novembre.
01 – Dracula
02 – Captain Kronos : Vampire Hunter
03 – Twins of Evil
04 – The Kiss of the Vampire
05 – The Mummy
06 – Quatermass and the Pit
07 – The Legend of the Seven Golden Vampires
08 – The Lost Continent
09 – Dracula AD 72
FACE B
10 – The Devil Rides Out
11 – Countess Dracula
12 – The Gorgon
13 – Hands of the Ripper
14 – Dr. Jekyll and Sister Hyde
15 – She
16 – The Satanic Rites of Dracula
17 – Taste the Blood of Dracula
18 – Frankenstein and the Monster from Hell