A quelques éclats et ruades électriques près, on croirait tenir là l’une des bande-son les plus réussies de Mogwai. Autant dire que les chefs-d’œuvres arrivent toujours quand on ne les attend pas. Le premier film de Michael Sarnoski nous a pris par surprise, parce qu’on ne misait pas tripette sur son pitch, malgré notre foi infinie en Nicolas Cage.
Un fermier du fin fond de l’Oregon vit à l’écart du monde et subsiste grâce à la visite hebdomadaire d’un négociant en truffes. Un jour, on lui dérobe son cochon truffier. Le fermier (Cage donc) se lance en compagnie du négociant dans une virée à Portland pour retrouver son cochon. Il renoue ainsi avec les souvenirs d’un passé qu’il voulait oublier. Robin Feld, avant d’être un ermite quasi mutique, a été un chef extraordinaire inspirant et respecté.
Avec Nicolas Cage au casting, un budget très modeste, on pouvait s’attendre à un film assez cheap et moche. Il n’en est rien. Pig est un grand « petit film », l’errance magnifique d’un type qui a vu la vérité en face et ne compte plus s’en détourner. Brisé et à la fois investi d’un savoir sur les choses (une éthique de guerre contre le show off et les forces capitalistes), Nicolas Cage hante le film de sa silhouette fatiguée, épaissi, cheveux longs, sans prendre la peine d’essuyer les traces de sang sur son front. On pourrait croire que seul l’intéresse son cochon, mais c’est évidemment à lui-même que l’homme n’arrive plus vraiment à croire. Le film est lent, mais passionnant de bout en bout, ponctué de scènes parfois émouvantes et souvent magnifiquement mises en scène (la scène du restaurant notamment). Pig n’évolue pas non plus à des hauteurs insoupçonnées mais constitue, dans son registre quasi artisanal et intimiste, l’une des plus belles découvertes de l’année.
La bande originale d’Alexis Grapsas et Philip Klein n’est pas en reste. Du premier, on n’avait jamais rien entendu à part peut-être la BO de la série 11/22/63 pour Hulu en son temps qu’on avait pas spécialement remarquée. Grapsas a œuvré principalement dans le champ des séries TV sur Empire, Big Shot ou Dietland, qu’on n’a ni vues ni entendues. Philip Klein est quant à lui un compositeur de musiques de film légèrement plus expérimenté mais qui n’a signé en tant que compositeur principal qu’une poignée de bandes sons, la plus connue étant celle du Captain Fantastic de Viggo Mortensen. On ne sait pas trop comment les deux hommes ont été réunis, ni qui a fait quoi sur ce travail mais le résultat est magistral. La BO de Pig épouse complètement le faux rythme bringuebalant et les aspirations de clochard céleste du film par un recours économe aux cordes (dépouillées) et aux effets. Elle s’appuie sur des effets country folk pour soutenir l’errance d’un Cage à la fois décidé et fragilisé parce qu’évoluant en dehors de ses bases.
Hunting, la première pièce, est paisible, mélancolique et pastorale. On y entend la forêt qui respire et l’excitation liée à la recherche/ la chasse de la… truffe, soit une petite idée du bonheur avant la chute. Les deux hommes amènent un peu de tension avec une rythmique ultra-simple et une ligne de guitares sur un Out of The Woods qui renvoie à l’univers du western et offre une parfaite illustration sonore de ce qu’est un héros solitaire. En jouant ainsi sur les stéréotypes de la musique de genre, Grapsas et Klein proposent un travail qui sonne à la fois très traditionnel (et nourri de musique américaine) et en même temps plus avant-gardiste, en s’appuyant aussi sur des sonorités synthétiques (on l’imagine faute de budget). L’utilisation des rythmiques, quasi tribales, amène de l’étrangeté à bas prix et produit un effet de suspense que les musiciens utilisent à chaque fois que Cage est mis en difficulté. Mais les moments les plus intéressants de la BO sont lorsque le temps est comme suspendu et que le film se paie des instants de grâce. Le regard de Cage est alors tourné vers ailleurs, explorant cet intérieur/extérieur de lui-même qui est habité par les souvenirs et les fantômes. Bottom of the Ocean est une pièce superbe qui, pour le coup, fait penser à du Mogwai sur sa première partie, avant de se déverser sur un Salted Baguette délicat et attendrissant. Take Me To The City est joueur et maladroit à l’image du fermier qui entre en ville et doit se réadapter à un nouvel écosystème.
Il y a dans cette BO une vraie justesse d’intention qui se traduit par des recours éclairés et parcimonieux aux instruments. Il n’y a quasiment pas de claviers/piano avant l’instant de vérité de Tell Him Who You Are. Cette absence/ invitation tardive confère à l’usage de l’instrument une importance remarquable, d’autant qu’elle ne s’exprime que durant quelques secondes. La BO de Pig fait partie de ces musiques qui accompagnent pas à pas le récit et lui font écho très directement, en soulignant les émotions du personnage principal. Cette méthode a ses avantages (elle est facile à lire), mais aussi ses inconvénients (elle est techniquement redondante, dans son rôle amplificateur). Grapsas et Klein en tirent toutefois un avantage véritable puisque leur musique peut s’adosser à l’immense prestation d’un Nicolas Cage en état de grâce. On assiste donc (de manière subliminale) à de fabuleux renvois entre les regards de l’acteur et les motifs musicaux, la bande-son nourrissant le jeu de l’acteur qui augmente la puissance du score en échange. On peut ainsi, et au final, réécouter la BO de manière isolée comme si elle bénéficiait de l’imprégnation du grand homme. Elle reproduit les hésitations, les fêlures et aussi la force de ce personnage mi-Shakespearien mi-Cantonesque qui l’espace d’une heure et demie nous enchante.
A rebours des BOs hollywoodiennes, sans aucun décroché spectaculaire, ni quasi aucune envolée, Pig est une belle BO, mais aussi un très solide disque de musique contemporaine. On peut donc s’en emparer sans craindre de devoir le rapporter sans cesse au film. Le résultat traduit une situation pas si fréquente : l’alignement parfait des planètes autour d’un projet. C’est le cas ici et on aurait tort de s’en priver.
02. Out Of The Woods
03. Turquoise
04. Bottom Of The Ocean
05. Salted Baguette
06. Take Me To The City
07. The Trees Tell You Where To Look
08. Tell Him Who You Are
09. Things To Really Care About
10. Hotel Portland
11. Wasted Space
12. Pignapping
13. See You Thursday