Meryl Streek / Songs For The Deceased
[Venn Records]

9.7 Note de l'auteur
9.7

Meryl Streek - Songs For The DeceasedMeryl Streek partage son producteur Dan Doherty avec les Fontaines D.C.* Cela fera plaisir à certains et ravira ceux qui trouvent désormais les Irlandais menés par Grian Chatten trop mous ou pop : Meryl Streek donne à son premier album, 796, un successeur survitaminé, punk et radicalement agressif. Songs for The Deceased est à la fois terrifiant, sombre comme la nuit et complètement emballant. La production est grandiose, ambitieuse, diversifiée et pleine de surprises, sublimant l’espèce de spoken word électro-rythmique à la Suicide qui sert de base au travail de Dave Mulvaney (le jeune homme qui mène la barque ici et en solitaire) par des métissages folk, punk irlandais, folk ou électro (le très New Order The Industry). Il émane de ce disque une violence, une honnêteté et une envie d’en découdre qui vous projettent dans un état d’excitation et une volonté de revanche sur la vie, les classes, le sort qui sont extraordinaires et sans équivalent.

Comme sur son précédent disque, Meryl Streek situe son slam punk dans une actualité sociale chargée qui mêle évocation de faits divers (The Stardust, Terence), de faits sociaux (la situation du logement en Irlande sur le prolonge stupéfiant The Beginning), voire de portraits politiques (le politicien Bertie Ahern, leader du Fianna Fáil, en prend pour son grade dans une charge frontale inouïe sur Bertie). Mulvaney agit à la fois comme un chanteur engagé, comme un journaliste et un chroniqueur de la vie des classes populaires. Il peint, plaint et égratigne, en assénant des coups terribles aux propriétaires (les fameux landlords qu’il honnit par dessus tout), aux politiciens corrompus et aux forces de l’ordre. Son message est incendiaire, souvent haineux mais porté par un lyrisme, une qualité d’écriture, un sens de la formule et une puissance évocatrice qui sont aujourd’hui inédits et uniques. Le recours aux guitares électriques, à des arrangements rock sur certains morceaux, vient renforcer le martèlement rythmique des sons synthétiques qui soutient l’édifice. Les accents folk irlandais qui surgissent au gré des pièces contribuent à la solennité des chansons, comme si le compteur prenait un accent légendaire et prophétique.

Par delà ces commentaires extérieurs et esthétiques, chaque titre agit comme un brûlot animé par une rage qui marque et entame la voix. Meryl Streek grogne, rugit et fait passer les Sleaford Mods pour les Petits chanteurs à la croix de bois. Le recours à des samples enrichit la base documentaire et journalistique d’une écriture qui raconte des histoires sombres et cherche aussi à convaincre. On ressent sur chaque seconde le fardeau des existences modestes, le poids de l’oppression (le génial Fine Jail) ainsi que la peine attachée aux existences communes. « Don’t let these pricks stop you. Your life is a work of art. », enjoint-il l’auditeur sur Fine Jail, comme s’il s’agissait d’enclencher une révolte libertaire et de sortir les machettes. On a déjà évoqué If This Is Life qui sert d’emblème au disque et témoigne de toute sa puissance et de sa magie. Le parallèle avec Whipping Boy est facile à établir mais Meryl Streek est encore plus fougueux et indomptable que ces nobles aînés.

wanna never drink again like so many around me failed to do.
It’s a sad state of affairs when this is how you spend your time, realistic morbid thinking followed by FBI Files.
And a 2mg dose of paranoia to get me asleep.
You can’t change what’s not broken, to pass away my blues the most exciting thing I do is have 3 sugars in a decaf tea.
And needless to say, I do feel blessed with what I got a shed out the back and that says a lot.
I wanna live a life over 50 like so many around me failed to do.
And If this is life than I don’t want it

De quelle vie veut-on ? Et de quelle vie ne veut-on pas ? Meryl Streek répond du point de vue des pauvres, des gens de la rue, mais aussi du point de vue des jeunes. Il évoque la routine du travail avilissant sur le superbe Counting Sheep, démarre en douceur une sorte de confession trip-hop sur Dogs avant de revenir sur son obsession des possédants et des menteurs.

Sur One’s Own Hand, l’une des meilleures chansons du disque, il évoque la vie de famille et les atavismes ouvriers, l’alcool, la fatigue qui mènent au suicide. L’émotion est majuscule. L’effet magnifié par un sample à la voix féminine qui vient annoncer la mort du protagoniste principal. On retrouve cette émotion sur Paddy, chanson dédiée à son oncle récemment disparu et qui constitue un magnifique portrait de la classe ouvrière. « Spent everyday reading, over a glass of red wine. He could litterally tell you anything you’d wanted to know about any topic. And he chose not to work because he had too much to learn on his own terms. I respect him because he chose to play on his own rules. Comme ci, comme ça…  » Paddy est une grande chanson, un hommage granitique et émouvant à la libre détermination qui semble être la boussole du jeune homme.

La musique de Meryl Streek contient une force et une énergie qui contaminent l’auditeur. Son énervement est communicatif et électrise l’attention par l’évocation de tragédies individuelles et de scandales sociaux. Gambling Death ou encore Murder (qui dénonce un scandale autour d’une enquête inaboutie) sont des chansons qui remuent et fonctionnent comme de véritables uppercuts. L’auditeur est à la fois sonné et fasciné par un tel déferlement de mots et de décibels. Sur The Stardust, l’artiste égrène les 48 noms et prénoms des irlandais morts dans l’incendie d’une discothèque en 1981. Les propriétaires de l’endroit ont bénéficié d’aides à la reconstruction alors que plusieurs faits laissaient penser que l’incendie avait été volontaire et les pertes amplifiées par des défauts de sécurité leur incombant. Faute de preuves suffisantes, personne n’a été condamné. Terminer Songs for The Deceased par une telle histoire vise autant à nourrir le souvenir qu’à faire en sorte que les responsabilités des uns et des autres ne soient jamais oubliées. Meryl Streek agit comme la mauvaise conscience de l’Irlande, des puissants et des politiques, le bras/la langue vengeresse des personnes qui se taisent ou n’ont pas la parole. La mort de Terence (20 ans) sur la chanson qui porte son nom est tout aussi injuste, cruelle et accusatrice.

Disque de colère et de poésie, Songs For The Deceased est un disque incommode, brutal, âpre et dérangeant. C’est un disque habité et paradoxalement qui abrite une énergie revancharde et non dénuée d’espoir. La violence déchire les coupables mais sert de base à une renaissance qui vient souvent s’incarner dans un pont musical ou un mince espace dont les mots sont absents. Ce deuxième disque est un disque majuscule.

Tracklist
01. the Beginning
02. Fine Jail
03. If This Is Life
04. Bertie
05. Coutning Sheep
06. Dogs
07. By One’s Own Hand
08. Paddy
09. Interlude
10. Gambling Death
11. Terence
12. The Industry
13. Murder
14. The Stardust
Liens

* James Ford a remplacé Dan Doherty sur le dernier album de Fontaines D.C.

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2 Comments

  1. says: Li-An

    Le son est vraiment bien mais j’ai quand même un peu l’impression d’être bloqué dans un embouteillage et de me faire agonir d’injures par le type de la voiture d’à côté.

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