Bono Rex : dans les pas du Surrender Tour avec Eric Flitti
(volet 2)

Bono Grand Rex 2022Eric Flitti, fan au long cours du groupe phare de la scène rock internationale, poursuit son récit intime et rapproché de la performance donnée par Bono au Grand Rex à Paris, le 25 novembre. Sans le dispositif gigantesque et habituel des concerts de U2, Bono venu présenter son livre autobiographique, Surrender, a offert aux 2800 spectateurs présents un spectacle inédit et exceptionnel. Immersion 2. 

Les années 80 glorieuses et l’engagement philanthropique

Dans la deuxième partie du spectacle, Bono revient sur les années 80 glorieuses du groupe en racontant la genèse de Sunday Bloody Sunday dont les paroles font toujours l’objet de beaucoup d’interprétations.  “ Il y a beaucoup de perdus », mais dites-moi qui a gagné / Les tranchées creusées dans nos cœurs / Et les mères, les enfants, les frères, les sœurs déchirés, Sunday Bloody Sunday. » 

Chanson phare de l’album War sortie en 1983, Sunday Bloody Sunday réussit ce soir à nous emporter et à monter en puissance malgré l’absence de Larry à la batterie. Dans ses mémoires,  Bono décrit la batterie comme fournissant l’accroche de la chanson et nous ramène à la réalité de la guerre civile qui a sévi en l’Irlande pendant près de trente ans. Il nous rappelle ce funeste dimanche 30 juin 1972 où une manifestation pacifique fut déchirée par la violence, le meurtre et les effusions de sang.

Bono chante ensuite Where The Streets Have No Name, Pride In The Name Of Love puis Desire dans des versions semi acoustiques inédites. Bono parle de engagement philanthropique grâce à Ali et de son voyage en Éthiopie en 1984. Il nous parle de sa rencontre avec Bob Geldof, “l’homme le plus éloquent qu’il a jamais rencontré”. Bono, qui  a failli à plusieurs reprises avoir le prix le Nobel de la Paix nous remémore ses différentes campagnes d’activisme notamment celle menée pour convaincre les nations riches d’abandonner la dette vis à vis des pays du tiers monde. ll nous raconte la genèse des campagnes ONE et RED. Selon lui, RED est une histoire de marchandage et de rencontre avec des hommes puissants. A travers une petite plaidoirie, il rappelle les milliards d’aide de la France qui ont permis à des dizaines millions d’enfants d’être soignés et de pouvoir aller à l’école.  Il remercie la France pour cela.

Bono nous rappelle qu’il n’est pas seulement un artiste mais aussi un philanthrope engagé depuis près de quarante ans dans de grandes grandes causes humanitaires et politiques telles que la paix dans le monde, la lutte contre la pauvreté et la faim, la lutte contre SIDA…

La relation complexe de Bono avec son père

Pendant la deuxième partie du spectacle, Bono nous conte sa relation complexe et l’affection contrariée avec son père décédé en 2001. Cette reconstitution du duo nous révèle les talents d’imitateur du chanteur.  Le père de Bono, Bob, est un des fils conducteurs du spectacle. Le leader du groupe U2 nous partage les moments où il a essayé sans succès d’attirer l’attention de son père et de l’impressionner. Mais Bob Hewson a toujours pensé que Bono n’était pas fait pour chanter et ne comprenait pas ce qu’une fille aussi bien que Ali faisait avec lui. Son père lui apprenait que « rêver, c’était prendre le risque d’être déçu »

Ces conversations récurrentes entre Bob et Paul sont les moments les plus forts du spectacle. Leur incapacité mutuelle à montrer leur affection l’un envers l’autre, le besoin inassouvi de reconnaissance paternelle du fils,  permettent des moments comiques mais aussi dramatiques.

Dans le décor de la salle “Sorrento Lounge” du pub Finnegan’s dans le quartier de Dalkey à DUBLIN où le duo avait pris l’habitude de se retrouver presque toutes les semaines, Bono commence à boire une pinte de bière de Bushmill (boisson protestante pas très appropriée pour un catholique romain comme lui et son père). A propos de cette incongruité, l’artiste nous rappelle que la meilleure façon de comprendre la complexité de l’esprit irlandais est de l’imaginer comme un pub.

Les plaisanteries entre le duo sont revisitées à plusieurs reprises tout au long de la représentation dans le décor du Sorrento Lounge. Bono reconstitue ses conversations avec son père jusqu’à imiter la voix de son aîné.  Ses conversations avec son père vont se poursuivre bien après le succès du groupe. La conversation commençait toujours par la même question comme un rituel “ « Quelque chose d’étrange ou de surprenant ?”  Bono est très drôle lorsqu’il imite son père se moquant de lui alors qu’il devient peu à peu une star planétaire. A propos de son père,  l’artiste nous évoque un grand chanteur, passionné d’opéra mais qui avait peu d’égard pour son fils jusqu’à lui reprocher “d’être un baryton qui se prend pour un ténor”.

Le chanteur nous fait rire lorsqu’il évoque le moment où son père est invité à dire bonjour à la princesse Diana. “En quelques secondes, mon père s’est transformé en adolescent et 800 années d’oppressions ont été oubliées. J’ai compris à quoi servait la famille royale ” nous confie un Bono hilare. Il nous fait pleurer lors du choc de l’annonce du cancer paternel à l’occasion d’une conversation dans le Sorrento Lounge. Cette émotion traverse toute la salle alors que Bono commence à chanter le titre Beautiful Day écrit l’année de la mort de son père (2001). La chanson apparaît pour la première fois écorchée et se révèle sous une toute autre dimension.

Un duo avec Luciano Pavarotti pour impressionner son père et se transformer en ténor. Le père de Bono était un grand fan de Luciano Pavarotti. Bono nous remémore le moment où son père incrédule a appris que son fils allait chanter avec « le plus grand chanteur de tous les temps » et l’avait invité à le voir lors d’un concert à Modena. L’évocation de Luciano Pavarotti permet à Bono de nous offrir une brillante imitation du ténor italien alors que celui-ci essaie de le persuader ainsi que les autres membres du groupe de jouer à Modène en Italie pour soutenir l’association War Child. Les imitations du ténoir italien répétant plusieurs fois “Bono, Bono, Bono” avec un accent italien sont très réussies. Bono peut aussi se révéler un brillant comédien. L’évocation du moment où M. Pavarotti se présente à l’improviste dans un studio d’enregistrement de U2 pendant qu’ Adam et Larry partent se cacher fait rire toute la salle.

Bono boucle l’histoire compliquée avec son père et revient sur le reproche paternel du fils baryton qui se prend pour un ténor. Tel un conteur, il nous partage une théorie surnaturelle. Peu avant la mort de son père, Luciano Pavarotti se présente au domicile du chanteur et lui remet un cadeau (un gigantesque nounours)  pour la naissance du dernier fils d’Ali et Bono, John Abraham.

Dans les mois qui suivirent cette visite et la mort de son père en mai 2001, Bono aurait senti sa voix changer. Le baryton s’est mué tout doucement en ténor et sa voix est devenue plus puissante. Il a commencé à ressembler à son père. Lors d’une dernière séquence du spectacle où le chanteur est au chevet de son père à l’hôpital sur son lit de mort, Bono nous livre son interrogation : « Je ne sais pas si je l’ai pardonné et je ne sais pas s’il m’a pardonné non plus ».

Le spectacle se termine par une interprétation magistrale de Bono de l’air d’opéra intitulé Torna a Surriento. Torna a Surriento est une mélodie napolitaine adorée par Bob Hewson. Elle a été enregistrée des dizaines de fois, notamment par Enrico Caruso, José Carreras, Frank Sinatra, Dean Martin, Placido Domingo et Luciano Pavarotti.

Cette interprétation finale a capella est époustouflante. Elle permet à Bono de nous montrer qu’après plus de 40 ans de carrière, le baryton s’était mué en un vrai ténor. Par cette interprétation, Bono  semble accepter l’héritage compliqué de sa relation avec son père.

Une prestation magistrale qui vous hante même après le concert

Bono Grand Rex 2022

Bono nous a offert le 25 novembre 2022 une très belle soirée un peu comme un ami qui nous raconte les moments de sa vie, de son adolescence à la naissance puis la gloire du groupe.  C’est un véritable cadeau de noël offert au public parisien, une expérience puissante tout en sincérité où l’artiste nous raconte son histoire à sa façon à travers les meilleures chansons jamais écrites par le groupe.

Il nous a montré qu’il avait une voix extraordinaire et qu’il était un artiste complet à la fois rockstar, showman, acteur, chanteur d’opéra, imitateur. Finalement Bono nous a permis de le redécouvrir dans un contexte dans lequel on ne ne connaissait pas du tout.  Bono nous a fait voyager à travers sa vie de joies,  de tristesses, de rires et de larmes. Malgré une mise en scène épurée et des versions chantées intimistes presque a capella, Bono réussit à transmettre une grande émotion au public.  Loin des communions géantes qu’il maîtrise depuis près de quarante ans avec ses trois comparses, le chanteur a présenté au Grand Rex, un spectacle digne de l’intimité des meilleurs récits de théâtre

A ce propos, Niall Stokes écrivait le 7 novembre dans Hot Press que Bono nous propulse  “dans l’orbite d’une excavation psychologique, émotionnelle et musicale puissamment personnelle qui, à la fin de la nuit, a atteint des profondeurs et des sommets auxquels très peu de spectacles de ce genre peuvent même aspirer. “ Finalement, c’est cela qui rend Bono si spécial. Pas sa voix chantée, pas son charisme, pas le showman, pas le philanthrope ou le militant mais son humilité et sa simplicité. Bono nous rappelle  que nous sommes tous pareils et nous invite à sa manière à trouver notre chemin même dans les ténèbres.

Eric FLITTI – décembre 2022

Setlist

01. City of Blinding Lights
02. Vertigo
03. Miracle Drug (extrait) / With or Without You
04. Glad To See You Go (extrait) / Out of Control
05. Stories for Boys
06. I Will Follow
07. Iris (Hold Me Close)
08. Sunday Bloody Sunday
09. Pride (In the Name of Love)
10. Where the Streets Have No Name
11. Desire / Money, Money (extrait)
12. Beautiful Day
13. Torna A Surriento

Photographies : Eric Flitti pour SBO

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