Starbuster, le premier single tiré de Romance et sorti mi-avril, trois mois avant l’arrivée de l’album, marquait rétrospectivement une forme d’adieu au groupe post punk et « prolétaire » que les Irlandais avaient essayé (avec pas mal de succès) d’être et de rester depuis leur premier disque, Dogrel, il y a seulement cinq ans. Starbuster, avec sa rythmique hip-hop et sa scansion agitée, se rattachait assez directement à l’ancienne veine artistique dans laquelle le groupe de Grian Chatten semblait puiser jusqu’ici, même si l’évident affadissement du sens (que signifiait ce morceau au juste ?), pouvait laisser penser que le propos d’hier s’était dilué ou avait été remplacé par autre chose. Toutes proportions gardées, il faut désormais aller voir du côté de Meryl Streek si on veut retrouver le Fontaines D.C. d’il y a quatre ou cinq ans… en mieux.
Romance est sans conteste un disque de réinvention. L’embauche de James Ford, producteur anglais qui a accompagné plusieurs groupes dans leur « transition »/progression vers le mainstream, en lieu et place de Dan Carey, dont le travail de Fews à Squid, en passant par… Kylie Minogue ou Chairlift n’a jamais dérogé aux sonorités et à l’intensité indie, était un signe qui ne trompe pas : Romance est un disque qui est aujourd’hui plus proche de ce que fait Coldplay que de ce que Fontaines D.C. a réalisé jusqu’ici. Est-ce à dire que le disque est mauvais ou dispensable ?
Les clips étaient exagérément modernes et branchouilles, provocants visuellement pour un contenu musical qui n’en méritait pas tant. Il y a sur ce disque des chansons qui sont « gênantes » comme le très médiocre Here’s The Thing et son refrain un peu naze :
So here’s the thing
I need commotion
I know your thoughts
They’re mine as well
I know you’re right
I know you’re right, girl
On a beau aimer la voix de Chatten, cette pièce est particulièrement faiblarde et un exemple de tout ce qu’on peut détester dans le rock mainstream : la fausse convocation de guitares rugissantes, les faux emballements de la rythmique qui masquent un rock de pacotille. Desire n’est pas beaucoup mieux, paré d’une dignité ennuyeuse qui fait ressembler le morceau à du Whipping Boy sans énergie ni direction. Que dire de In The Modern World dont la pauvreté du texte et des images époustoufle à ce niveau ? On préfère encore aller se pendre avec honneur en écoutant le dernier Editors que d’écouter ce genre de trucs. Vous vous souvenez de ce que faisait The National il y a encore quelques années ? Ok, on a moins d’émotions dans le monde moderne. On se sent bien en ville. Et ensuite ? Sans se lancer dans des comparaisons sans queue, ni tête, un demi-vers sur la ville de… Joy Division, voire un demi-couplet d’Interpol sur Turn On The Bright Lights, valent mille fois ce type de poésie.
Tout n’est pas aussi désastreux sur ce disque. On peut trouver un certain charme à un titre comme Bug, bien mené, avec un joli refrain mais sans aucune once d’originalité. Lorsque le romantisme d’une image l’emporte (Motorcycle Boy), on se dit qu’il pourrait bien se passer quelque chose mais rien n’arrive. On est incapable de dire si l’album est gai ou triste, s’il se contente de se rouler dans sa propre comédie des sentiments ou renvoie à de réelles émotions. Tout s’étale, ainsi, devant nous, en gros aplats fuyants et pâteux à la fois. La production est grossière, sans choix forts, et fait passer ce qu’on tenait jusqu’ici pour un excellent groupe comme une sorte d’accompagnement surimi sans âme.
On peut chercher de la profondeur sur Sundowner, trouver que Horseness Is A Whatness est vraiment une chanson touchante qui aurait fait une jolie face B chez Radiohead, ou encore faire de Favourite, le parfait petit tube pop qui referme l’album et qui nous montre que le groupe sait tout faire, s’éclate à faire ce mélange de pop et de folk acoustique… mais tout ceci ne tient pas à l’analyse. Death Kink est peut-être bien notre morceau préféré, propre et sans aucune ambition. Il y a trop de ratés sur ce disque, trop de chansons médiocres et sans intérêt, pour qu’on fasse autre chose que s’en détourner.
N’importe quel disque de Whipping Boy, groupe irlandais disparu il y a plus de vingt ans, vaut mieux que cet album qui regarde dans toutes les directions et ne va nulle part. Si ce truc est l’avenir du rock indé, on veut bien se mettre au RnB.
PS : vous voulez vraiment qu’on parle de la pochette ?
Fontaines D.C. / Romance
A quand faut-il remonter, de mémoire, pour retrouver une progression aussi bien huilée ? Les Arctic Monkeys sans doute. Il suffit de se replonger le temps d’une écoute dans Dogrel, le premier album de Fontaines D.C. sorti en 2019 pour mesurer le chemin jusque-là rectiligne parcouru en seulement 5 ans et 4 albums. Les irlandais sont des jeunes gens pressés et en même temps, il se dégage de leur parcours une espèce d’incroyable sérénité, comme si tout cela était complétement normal, mesuré et maitrisé. Pourtant, dans les faits, Romance semble véritablement marquer un tournant. Un changement de label d’abord ; oh pas le pont d’or tendu par une quelconque major sentant le bon filon mais un indé plus gros, plus expérimenté, plus a-même de les accompagner dans leur progression. Un changement de vie ensuite, les membres du groupe ayant quitté Dublin depuis quelques années pour explorer l’Europe et découvrir de nouvelles influences. Un changement d’image aussi dont chacun fera au final ce qu’il voudra, comme une nécessité de dépasser le côté un peu so(m)bre et post-punk en se vautrant dans une forme d’excès (de couleur notamment) pour ne pas passer inaperçu. Pas dit pour autant que cela ait été nécessaire mais puisqu’il en est ainsi, désignons d’ores et déjà la pochette de Romance comme la plus laide de ces dernières années ; pour le reste, la ligne rouge du respect demeurera infranchissable. On se moque bien au fond qu’ils aient dorénavant des cheveux rouges et soient habillés par la ligne baggy d’Adidas. Mais le plus important à tout point de vue de ces changements est bien celui qui affecte le principal, ce que le groupe a à nous offrir.
Il y a un peu plus de deux ans, Skinty Fia se présentait déjà avec le costume bien taillé d’album de l’année pour un grand nombre d’observateurs. Cet album massif taillé dans la roche, au son puissant et relativement uniforme qui façonnait des chansons en constante progression disque après disque, offrait déjà de sacrés sommets et laissait présager, sauf accident de parcours, un avenir majeur. Les dérapages sont fréquents et prévisibles et, reconnaissons-le, on imaginait assez bien alors sans le leur souhaiter bien sûr, Fontaines D.C. s’y vautrer dans les grandes largeurs. Sauf que force est de constater que les irlandais semblent décidément avoir la tête bien ancrée sur les épaules et l’album solo de Grian Chatten était, loin d’un égo-trip prémices d’une envie de vaquer seul à ses occupations musicales, une parenthèse salutaire saluée par les membres du groupe. La mécanique Fontaines D.C. semble ainsi bien rodée : chacun apporte des morceaux, un tri se fait et Romance traduit parfaitement ce melting pot de compositions et d’influences qui sortent le groupe de sa zone de confort.
Le plan est bien conçu et ne souffrira pas beaucoup d’accrocs. L’oppressant Starbuster il y a quelques semaines laissait bien penser que le groupe allait ouvrir de nouvelles pistes et c’est effectivement le cas, mais pas forcément celles que l’on attendait. La crise de panique reste bien circonscrite à ce seul titre qui ne souffre pas de la présence d’un jumeau mal cloné : l’expérience est unique et ne se répétera pas, du moins ici, pour le moment. Mais alors quoi ? La pop pardi répondaient dans un élan d’infinis « papa-pa-papa » les irlandais avec en guise de second extrait leur Just Like Heaven à eux, ce Favourite absolument parfait ayant touché dès la première écoute (des prestations live youtubées avant même la sortie en single) des milliers de cœurs d’artichaut qui ne demandaient qu’à mettre sur ce titre annoncé, Romance, un son emblématique pour regarder ensemble dans la même direction avec sa moitié. Placés en presque début et toute fin d’album, ces deux titres symbolisent ce Fontaines D.C. aspirant à troquer ses oripeaux post-punk, se défaire de cette image de rock gouailleur qui lui colle à la peau depuis ses débuts et qui aspire ouvertement à franchir une étape vers une plus grande reconnaissance.
Sans rien sacrifier ? C’est toujours le risque d’autant que la production XXL de James Ford à qui l’on doit le remarqué Memento Mori de Depeche Mode l’an passé ou la plupart des albums de, tient tient, Arctic Monkeys, porte le groupe dans un univers clairement calibré pour le succès et la transposition live. Mais les irlandais savent d’où ils viennent, visiblement où ils vont et, rétrospectivement, Skinty Fia sonne comme le testament d’une première trilogie, celle des débuts, de l’accès à la reconnaissance critique en trimant lors de tournées sans fin, de pubs miteux en salles mythiques avant que ne s’ouvre aujourd’hui l’ère des méga-festivals et des arenas ; en attendant celle des stades. Impossible alors d’échapper aux déceptions qu’éprouveront certains fans de la première heure, sentiment vieux comme le rock, parfois légitime (« ils ont perdu -ou vendu- leur âme »), souvent moins (« c’est devenu commercial ») qui resteront sur le bord du chemin en câlinant un cerf compréhensif, le regard triste porté vers le groupe qui s’éloigne en direction de sa destinée.
Ceux là se priveront alors d’un album d’une remarquable diversité, qui n’hésite pas à plusieurs reprises à lorgner vers le rock américain des années 90, réminiscences si peu enfouies mais hautement jouissives de guitares Pixies (Death Kink), du faux j’m’en-foutisme de Pavement (le redoutable Here’s The Thing) ou même, ça coute de le dire mais la référence est parfois si évidente qu’on ne peut la nier, d’un soupçon de grandiloquence rock circus façon Smashing Pumpkins, on va dire de la bonne époque car il semblerait qu’il y en ait eu une pas trop mal ; admettons. Mais Romance ne porterait pas aussi bien son nom si, à plusieurs reprises, Fontaines D.C. ne descendait pas d’un ton, ne ralentissait pas le tempo pour se laisser aller, mais ils l’avaient déjà fait, à des compositions chatoyantes, sortant les violons et les frissons qui vont avec sur In The Modern World ou Horseness Is The Whatness, peut-être au final le plus beau morceau du disque avec un remarquable travail de production sur la batterie et les guitares. Un honneur qu’il pourrait facilement partager avec le très beau Sundower, ce mid-tempo chaloupé sur lequel le groupe se découvre androgyne, adoptant les codes de compositions et de jeux des plus grands groupes 100% féminins de ces dernières années, Electrelane ou plus encore Warpaint.
C’est aussi parce que la voix de Grian Chatten, plus chantante et moins gouailleuse qu’à l’accoutumée, qui va souvent sur les morceaux les plus relevés trainer sur les plates-bandes des grandes personnalités du rock anglais des années 1990, de Ian Brown à Liam Gallagher (Motorcycle Boy) a aussi perfectionné son sens de la retenue en ne reniant rien de son timbre désormais parfaitement identifié. D’autant que cette évolution assez nette s’accompagne d’une présence accrue des chœurs du mâle groupe et notamment de la voix plus pop du bassiste Conor Deegan qui apporte à la quasi-totalité des morceaux un surcroit de douceur et de légèreté qui rend l’ensemble souvent particulièrement harmonieux culminant donc sur ce final aussi inattendu que réussi, ce Favourite complétement délicieux.
Romance est indubitablement un virage serré pour Fontaines D.C., marqué dans la forme, dans l’esprit un peu aussi, mais que le groupe semble aborder avec contrôle. La posture est néanmoins clivante : certains y verront le début de l’inexorable déclin quand d’autres se réjouiront qu’un nouveau groupe porte haut, de plus en plus haut, les couleurs d’un rock qui conserve malgré les oripeaux toute son authenticité. On peste trop sur l’immobilisme pour en vouloir à un groupe de faire évoluer par touches, plus ou moins marquées, l’idée qu’il se fait de son art et de sa représentation. On peste trop sur un public sourd qui se refuse à des artistes formidables qui eux peinent à vendre leurs poignées de disques pour s’offusquer du succès grandissant d’un groupe qui récolte enfin les fruits de son talent et de son investissement personnel et artistique dans cette aventure. Après les années sombres et monochromes, Romance, disque lumineux et solaire éclate au grand jour en mille couleurs et fait entrer les irlandais dans une nouvelle dimension dans laquelle on va continuer de les suivre bien volontiers.
02. Starburster
03. Here’s The Thing
04. Desire
05. In The Modern World
06. Bug
07. Motorcycle Boy
08. Sundowner
09. Horseness is the Whatness
10. Death Kink
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Fontaines D.C. / A Hero’s Death
Bon, moi je suis entre les deux. Il y a deux/trois chansons que j’aime beaucoup et le reste m’est assez indifférent.