Sorti en novembre dernier en format digital, le nouvel album de NONSTOP sort ces jours-ci en format physique, CD et vinyle. Difficile de ne pas y voir un signe du destin, à quelques encâblures d’une Présidentielle, qui pourrait bien précipiter le monde dans lequel on vit, et de manière définitive, dans le champ des visions crépusculaires et socialement défaitistes de Frédo Roman, l’homme qui se cache derrière le projet.
NONSTOP n’avait rien signé depuis douze ans. Son œuvre tient sur deux (trois désormais) disques sortis respectivement en 2005 (Road Movie en Béquilles) et 2009 (J’ai Rien Compris et Je suis d’Accord). Pour ceux qui ne connaissent pas, les titres évoquent un rock français à l’ancienne et presque classique, nourri de l’humour cynique, noir mais un brin léger des Charlots et du Bérurier Noir. La réalité est à des années lumière de ça : NONSTOP est une sorte d’héritier trash et poétique de Diabologum, un cousin par alliance un peu âpre d’Arnaud Michniak (présent sur le premier album), voisin intermittent de Serge Tessot-Gay (présent sur le deuxième), le tonton sec et moins joueur d’un Bleu Russe radicalisé, le voisin antipop d’un Gontard sans visage…. La liste des influences potentielles (authentiques ou imaginaires) de NONSTOP est assez longue mais ne dit pas tout à fait la force et l’intensité d’un disque qui, par ses mises en place et ses textes/poèmes inspirés, dépasse sûrement en impact les deux précédents.
Zyklon Bio, titre provocateur mais qui désigne un produit qui a vraiment existé et que la France a homologué jusqu’en 1997 pour désinfecter certains locaux, est composé de deux longues plages d’un quart d’heure qui alternent samples et spoken words alignés par la voix colorée d’un Fredo Roman à la parade. Le tout a été enregistré en une nuit, en avril 2021. Renan Guilcher assure la musique avec Roman, et sert au propos un tapis tantôt ambient, trip-hop, industriel ou plus rarement électro-pop. Décrire le travail de NONSTOP est quelque chose d’assez ardu. Le travail de Roman fait parfois penser à la radicalité d’un Throbbing Gristle. L’effet immersif de la parole et de la musique est immédiat, plongeant l’auditeur/spectateur dans un univers à la fois familier et très peu sécurisant. Le verbe décrit le monde tel qu’il est et propulse notre imaginaire dans une sorte de cauchemar analytique et anticapitaliste. Les séquences les plus fortes sont captées dans la rue : paroles définitives et à nu tirées de reportages ou d’enregistrements de gilets jaunes.
Il émane de ces extraits, de ces collages, une force exceptionnelle, les arrangements faisant résonner ces paroles d’une authenticité épique et redoutable.
Chaque virgule un coup de hache
Chaque point une tête tranchée
On appelle ça le dialogue social
Un violon à cordes vocales
Le stradivarius des trompettes
Les paroles s’envolent
Les enclumes restent
L’Homme de cœur vise la tête
L’Homme de tête tire dans le tas
La situation est sous contrôle
Restons amis / Restez chez vous
On pense parfois à Costes, mis en sons par le RZA. L’espace entre le hip-hop et cette chanson française est mince : c’est le son de la rue, la musique d’un inframonde qu’on entend pas ou peu. On peut s’amuser à passer ça puis à écouter le discours confiné et confit d’un Macron : l’effet de saisissement est terrible. La parole de Frédo Roman a la sécheresse poétique du monde réel. Elle disqualifie les mensonges et les contre-feux oratoires qu’on entend à la télévision et à la radio depuis quelques mois. Faut-il voter ? Faut-il en être ? C’est ce qu’on peut se demander après ça. Zyklon Bio ne relève pourtant pas tant que ça du champ politique. C’est de l’art brut, fondamental, de l’art qui dévoile et qui renvoie au rapport qu’on entretient au réel et à sa violence. NONSTOP exprime cette dernière pour ce qu’elle est malgré ce qu’on veut nous faire croire : la matière des rapports sociaux, le composé fondamental du vivant.
Gens du Voyage (sur le final de la partie 1), matérialisme, Macronisme, hypocrisie écologique, Mathieu Burnel : tout y passe dans un désordre et un tumulte assourdissant. Les punchlines sont souvent irrésistibles, alignées comme des épiphanies qui, à chaque fois, dévoilent un pan de la réalité, splendide et affligeant. Il faut se frotter à cette poésie là et puis ouvrir les yeux. Les vers sont souvent splendides, formidablement équilibrés et balancés, hermétiques et limpides.
Cancer du cœur
Massé par des karchers
Opéra cancer
La relève est parterre
On s’est inventé une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé
Le temps ne s’est pas vraiment écoulé, on a juste vieilli
Un désert dans un sablier
Où on apprend à tenir debout
A marcher sur les mains
A peindre avec les pieds
A gâcher du papier
A la télé un migrant boit un Coca sur un blockhaus
On aurait dit un Banksy
J’ai un peu pensé à la mort et je me suis endormi
J’ai dormi comme un esclave
NONSTOP fait rire aussi. Il danse et amuse sur une ligne de synthés puis glace les sangs. On est bouleversé par un sample du documentaire Avec le Sang des Autres qui parle de la condition ouvrière et de l’usure du corps.
On se dit que la musique est faite pour ça, que la voix ne sert qu’à ça. Un début de vacances raté. Elle a découvert un cadavre sur la plage….
Allez voter après ça. Aller voter après ça.