[L’Album Idéal #5] – Morrissey / England Was Mine

Morrissey

C’est là que l’exercice prend tout son intérêt. Des douze albums studio de l’ancien chanteur de The Smiths (on n’a pas compté California Son), de toutes les compilations et best of assemblés, tirer un nouveau disque de 15 titres et faire en sorte qu’il dise quelque chose de la formidable carrière solo de Morrissey est une aventure exaltante et presque une mission impossible. Bizarrement et à l’heure de faire la sélection, England Was Mine, notre album idéal, n’est pas dominé par les meilleurs LPs du chanteur, comme si Vauxhall and I (un titre), Your Arsenal (un titre) et même Southpaw Grammar (rien du tout, dans sa version originale), se défilaient et refusaient d’être démantelés. L’ambiance est telle parfois, l’unité si bien tenue qu’isoler un ou deux titres ne présente aucun intérêt émotionnel et est susceptible de désamorcer la force d’autres morceaux. A l’inverse, on a aussi tenu de côté certaines des meilleures pièces du canon (Boxers, par exemple, ou encore Sunny, Tomorrow ou Now My Heart Is Full) parce qu’elles s’inscrivaient en redondance avec d’autres (First of The Gang To Die), n’amenaient pas suffisamment de variété dans les rythmes ou donnaient une place trop importante à la figure de l’outsider, récurrente ici. On a tout de même placé un ou deux morceaux légèrement plus obscurs mais révérés des puristes comme Lost ou Nobody Loves Us, auxquels on a adjoints, pour l’ambiance le mésestimé Michael’s Bones, évocation juvénile et spirite d’une amitié lycéenne. Au rang des « grandes chansons », pour des raisons d’équilibre, on a du choisir et éliminer quelques merveilles telles que I’m Ok By Myself ou Late Night, Maudlin Street pour ne garder que Life Is A Pigsty, indépassable, et Home Is A Question Mark, l’une des énigmes les plus récentes.

England Was Mine présente une faiblesse importante, et on l’espère unique, qui est de sous-représenter le Morrissey politique des dernières années. Ce n’est pas un parti pris ou une réaction à quoi que ce soit mais de tout ça, on n’a gardé qu’Irish Blood, English Heart, chanson du retour magistral circa 2002, puissante et intime, empreinte d’un esprit de résistance qui n’avait alors rien de poujadiste, et qui est de surcroît bien mieux écrite que celles qui suivront. Ne pas laisser trop d’espace au Morrissey qui a sauvé nos vies de prendre plus de place dans nos coeurs.

1. Maladjusted (1997, album du même nom)

La meilleure chanson de ce disque sous-côté, lancée à merveille par un dialogue tiré de The Cockleshell Heroes (1955), et soutenue par un texte foisonnant et rempli de références au Londres souterrain.

2. First of The Gang To Die (2004, album You Are The Quarry)

Hector et la vie des gangs : parfait single pop, romantique et héroïque, du Morrissey californien qui plaît tant aux Sud-Américains. Jusqu’au récent Spent The Day In Bed, la carrière de Morrissey en solo regorge de tubes imparables. Encore mieux sur scène qu’en version studio.

3. Nobody Loves Us (face B de Dagenham Dave, réintégrée en 2009 dans Southpaw Grammar)

A l’échelle du Moz solo, ce titre vaut Hand In Glove. Un peu plus pompier, un peu plus musclé, mais grégaire, aérien et amoureux à en pleurer. Se serrer l’un contre l’autre pour défier tous les autres : c’est l’histoire d’une vie.

4. I Wish You Lonely (album Low In High School, 2017)

Seul et contre tous, on y retourne. La production est curieuse. Le chant est splendide et le final formidable. La partie est perdue mais pas pour tout le monde. Morrissey chante les victimes expiatoires, les sacrifiés et les innocents.

5. Last of The Famous International Playboys (album Bona Drag, 1990)

La classe incarnée, les brigands, le glam. Et un refrain qu’on reprend en chœur. What else ?

6. Driving Your Girlfriend Home (album Kill Uncle, 1991)

La pop est une question de millimètre en trop ou en moins. Cette chanson est remarquable au moment où elle s’arrête, et géniale pour ce qu’elle refuse de dire.

7. We Have It When Your Friend Become Successful (album Your Arsenal, 1992)

L’amitié et la solitude sont les deux grands thèmes qui irriguent Your Arsenal. Ni trop rockab, ni trop rock, cette chanson est la seule de ce disque majeur qu’on a pu caser sans qu’elle emporte tout sur son passage. Le titre EST la chanson. Cela arrive parfois.

8. Lost (titre d’abord écarté de Maladjusted, 1997, mais intégré à l’édition de 2009)

Morrissey passe son temps à Las Vegas. C’est un crooner et Lost le prouve. On est tous paumés et on prétend que non. Ne riez pas. Paumé, paumé.

9. Life Is A Pigsty (album Ringleader of The Tormentors, 2006)

« Après ça, on peut mourir tranquille », Thierry Roland. Pas mieux. Morricone n’y est pour rien et pourtant….

10. Jim Jim Falls (album I Am Not A Dog On A Chain, 2020)

Le dernier album est meilleur comme souvent en vieillissant. Cette chanson avec son incitation à se jeter dans les chutes d’eau plutôt que de gémir ou de se plaindre est à la fois une curiosité dans le canon morrisséen mais aussi une version acceptable de son idéologie actuelle. Il n’y a pas de solitude sans misanthropie. Il fallait bien y venir.

11. Home Is A Question Mark (album Low In High School, 2017)

On a déjà dit à plusieurs reprises ce qui nous fascinait dans cette chanson. Cette histoire de « jambes serrées autour du cou pour dire bonjour » qui intervient vers la fin. A part ça, c’est une longue master class de Morrissey sur l’errance, le domestique et le retour chez soi, soit une synthèse entre l’Odysée et les travaux de Lévinas mais en chansons.

12. Michael’s Bones (album Viva Hate, 1988)

Ce n’est pas qu’une coquetterie. Morrissey n’a pas attendu Low In High School, son plus mauvais album solo, pour parler de l’école, de l’adolescent et des copains. Michael’s Bones est la synthèse parfaite des films de collège US, des écoles anglaises et des travaux macabres de Dona Tartt. Pourquoi Michael est étendu sur le terrain de sport ? Pourquoi il est mort ? On n’a jamais trouvé de réponse à cette question et c’est pour ça que la chanson mérite d’être écoutée et réécoutée.

13. Irish Blood, English Heart (album You Are The Quarry, 2004)

Impossible de ne pas évoquer le Morrissey politique dans un album nouveau. Cette chanson marque le début du début et celui-ci est mieux que la fin du fin. Chanson marquante du retour après 7 ou 8 ans d’absence intervenu en 2002. La musique est signée Alain Whyte, l’un des (regrettés) meilleurs compositeurs ayant collaboré avec l’artiste.

14. Everyday Is Like Sunday (album Viva Hate, 1988)

Quand le titre d’une chanson passe dans la langue courante, ce n’est jamais mauvais signe.

15. Speedway (album Vauxhall and I, 1994)

Toutes les rumeurs étaient vraies. On l’aime en version studio, live, espagnol. Speedway. Tout était vrai.

Crédit photo : Morrissey par Charlie Llewellin via Wikimedia

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2 Comments

  1. says: Alaphasant

    Excellente sélection. Je ne connaissais pas life is a pigsty qui est magnifique. J’aurais bien vu un ou deux titres de plus du dernier album (love is on its way out, once I saw the river clean) qui est vraiment bien

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