Mogwai / The Bad Fire
[Rock Action Records]

9.2 Note de l'auteur
9.2

Mogwai - The Bad FirePlus les années passent et plus on aime Mogwai, et moins on sait pourquoi. Au contraire d”autres groupes qu’on suit depuis 30 ans, la chose n’a jamais été forcée, pas plus qu’elle ne relève du confort ou de l’habitude. On éprouve toujours la même sensation de plaisir, de fraîcheur et de vertige au contact de leurs compositions. On a, avec le temps, nos préférences, nos morceaux préférés, voire nos “minutes” préférées, adorées au coeur d’un développement plus long, nos emballements doux ou super soniques, nos attachements poétiques, nos souvenirs, nos images mentales, bâties écoute après écoute et il y en a une telle variété, une telle diversité, depuis Young Team et jusqu’à As The Love Continues, qu’il faut bien se rendre à l’évidence et reconnaître que les Ecossais (muets, sans aucun texte) font partie des groupes de… tous les temps qu’on préfère et qu’on écoute le plus souvent.

The Bad Fire ne fait pas exception. On a pris connaissance distraitement de l’argumentaire promo qui entoure la sortie de ce onzième album studio qui serait donc plus sombre et marqué par la mort/les coups du sort que les précédents. Les héros vieillissent et il leur arrive comme à nous quelques tuiles. Mais il n’y a personne vraiment pour se soucier de ce que la musique de Mogwai raconte… sur leur vie, pas plus qu’on ne soucie des émotions et des états d’âme de ceux qui la produisent. On s’est habitué au leadership de Stuart Braithwaite et aux membres du groupe qu’on connaît depuis longtemps mais Mogwai n’a pas besoin de visages pour exister. C’est un groupe de fantômes humains, de pure musique et de pur son : un groupe qui a réalisé, à sa façon, le prodige ultime (fantasmé par toute l’ère shoegaze, indé, techno aussi) de disparaître derrière son œuvre et de ne renvoyer aucune sorte de personnalité propre si ce n’est la modestie, la précision, la force et la poésie parfois. The Bad Fire est un disque d’aventure et d’exploration qu’on prend un plaisir infini à découvrir. Comme à notre habitude, on sourit à la lecture de titres qu’on ne retiendra pas et qui ne racontent rien de précis mais qui ne sont pas tout à fait là pour faire joli. On pourrait considérer que l’excellent Hi Chaos souligne ce qu’on trouve sur la pièce qui porte ce nom : 5 minutes et 24 secondes de bruit progressif et organisé dans la plus belle tradition du groupe… autour d’un crescendo signature à l’ancienne. Mais le titre n’a rien de chaotique. What Kind of Mix Is This ? ne renvoie à rien. Après un début un peu plus synthétique que… d’autres fois avec un God Gets You Back qui évoque plus Rave Tapes que Rock Action, Mogwai pousse quelques belles pièces proches de son ADN originel, si tant est qu’il existe.

Guitares, aplats soniques, progressions millimétrées et ultra précises qui donnent le sentiment (confirmé par ce qu’on sait de leur travail en studio) que le groupe agit toujours avec préméditation et une détermination hors norme. On adore penser que Braithwaite comme Brian Wilson a entendu les morceaux dans sa tête avant de placer ses musiciens comme des joueurs de foot ou des pions dans les cabines d’enregistrement pour tenter de les reproduire. Le résultat est ici toujours épatant. On aime comment le robotique Fanzine Made of Flesh est découpé par les guitares, comment il défie les tubes pop sur leur propre terrain sans jamais sombrer dans l’évidence et la facilité. Pale Vegan Hip Pain est aérien et mélancolique, beau comme du Sergio Leone, et agit comme un baume apaisant avant que ne rugisse le classique instantané et bastonneur If You Find This World Bad, You Should See Some Of The Others. D’aucuns en feront facilement le morceau le plus marquant, le plus efficace, le plus Mogwai du disque : ils auront raison. Tout ce qu’on recherche chez les Ecossais est réuni ici : le fameux crescendo, la tonicité, la manière de tenir le sommet sonique en haleine, de le faire durer, de le faire durer et durer encore. C’est du grand art, si simple et répétitif en apparence mais aussi si intelligent et incroyable dans l’application des techniques de jeu qu’on ne se lassera jamais d’être pris/prisonnier au cœur de ces doubles hélices qu’on côtoie maintenant depuis trente ans.

La version 2025 est aussi sublime à nos oreilles à la première écoute que par exemple Like Herod. Elle nous transporte, nous embrasse, nous concasse, tout en nous élevant au dessus des nuages. La métaphore volcanique, celle du feu (des enfers, de la souffrance, ciblée par le titre The Bad Fire), est filée avec habileté sur un 18 Volcanoes lui aussi remarquable et exceptionnellement chanté. Mogwai est une réplique sans chanteur de Joy Division (parfois) et de The Cure (souvent). 18 Volcanoes en est la réplique anonyme, une image miroir, au texte qui évoque The Eternal ou Seventeen Seconds.

All is overThe future unfoldingOpen eyes hold still againEternity inside my hand
All is overThe future unfoldingOpen eyes hold still againEternity inside my hand

Il est assez rare que Mogwai évoque aussi ouvertement la fin de toute chose, la mort et la finitude. Leurs morceaux échappent souvent à la tristesse manifeste mais pas cette fois. La sensation est étrange et inhabituelle, comme si, pour une fois, le groupe acceptait de mettre son coeur sur la table et de se dévoiler. Cela ne dure qu’un temps. Hammer Room et le reste du disque repoussent ce soudain expressionnisme pour nous ramener à nos propres émotions. Mogwai n’est pas là pour parler de lui mais pour nous amener à mieux nous connaître. On surfe sur Hammer Room en pensant à l’univers infini des jeux vidéos qu’il suggère (?), et puis on rejoint les fondamentaux sur un Lion Rumpus dont on ne se lasse pas d’entendre gronder les rugissements. Les fauves sont lâchés et ils déferlent comme une nuée ardente jusqu’à faire cracher les robots de plaisir et de honte. Le final Fact Boy conclut l’escapade en beauté et en mondovision, avec sa perspective cinématographique et sa fausse sérénité.

Avec ses morceaux amples qui naviguent entre classicisme et audace, ce The Bad Fire est un excellent cru qui pourrait s’imposer, d’ici quelques dizaines d’écoute, comme un très grand cru et un disque simplement majeur pour le groupe. La formule Mogwai est si aboutie et fructueuse qu’elle réussit le prodige, presque inédit à cette échelle de temps, de ne jamais apparaître comme cédant à la redite, tout en nous ravissant par ses faux airs de déjà entendu et de toujours désiré. Mogwai nous comble de bonheur en nous laissant ce qu’il faut de frustration et d’envie pour les suivre aujourd’hui, demain et après-demain.

Tracklist
01. God Gets You Back
02. Hi Chaos
03. What Kind of Mix is This?
04. Fanzine Made Of Flesh
05. Pale Vegan Hip Pain
06. If You Find This World Bad, You Should See Some Of The Others
07. 18 Volcanoes
08. Hammer Room
09. Lion Rumpus
10.Fact Boy
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