« Je n’ai plus peur, seul reste un haut le cœur ». Ma foi, il y a quand même quelques vers pas piqués des hannetons sur ce nouveau single de Mylène Farmer sorti hier. Parmi les 1300 et quelques commentaires qui figurent sous la vidéo YouTube (précédée par une pub pour les canapés en cuir sauvage et doux comme la chair humaine Poltronesofà), aucun ne se hasarde à commenter de quoi il s’agit. Car en effet, A Tout Jamais, même écouté quatre fois de suite reste une énigme… à l’entendement, une chanson « consolatrice », « qui parle formidablement aux gens », mais dont on comprend à peu près aussi bien le texte que lorsque Mark E Smith entonnait disons Prole Art Threat après avoir brûlé du speed dans son bol de céréales.
Le succès de Mylène Farmer reste après toutes ces années une vraie curiosité. Le single est sorti à l’occasion de son 61ème anniversaire et préfigure un album annoncé pour la fin d’année. Le nouveau morceau a été composé par Woodkid et sera accompagné sur le disque de contribution du groupe Archive et de Moby. Le clip, révélé hier, montre une Mylène Farmer, mi-fantôme, mi-pantin, en créature imaginaire, livrée à une pelote organique de fils et de soucis. Le texte assez hermétique (et ridicule) s’en prend à « tout » qui n’est qu’un « jeu de masques, poussière d’anthrax qui s’insinue dans nos blessures ». Traité de démon, cette force qu’on pourrait assimiler au destin ou à la mauvaise fortune est rejetée (on lui dit Fuck you) au profit d’un grand recommencement qui n’a rien avoir avec les rêves de nouveau départ de Jean-Luc Mélenchon. L’Être Mylène semble ensuite dire Fuck You à un gars peu recommandable et menteur qui ne l’aurait pas épargnée. La dernière phase du clip la voit affronter ce recommencement appelé de ses vœux en solitaire, façon chrysalide/bain amniotique, en réduction fibromyalgique. Le clip est visuellement assez… bizarre à défaut d’être vraiment stimulant, empruntant aux codes de l’époque bien entendu (lumière blanche, couleurs vives, organique, faussement sensuel) mais sans que l’intention du réalisateur soit vraiment transparente. Au final, la chanson laisse comme souvent avec Mylène Farmer l’impression de pendre un peu dans le vide et de ne rien exprimer d’autre qu’un cri du coeur indéchiffrable et vaguement souffreteux, une sorte de mal-être existentiel non structuré et dont les causes, les conséquences et les enjeux restent obscurs.
C’est dans la projection qu’il permet que Mylène Farmer bâtit son succès. Après tout, ce Fuck You adressé à un « tout » qu’on ne décrit pas, est suffisamment universel pour qu’on puisse y glisser une saine colère contre le monde, la maladie, ses parents, son/sa copain/copine, l’acné ou son patron. L’action étant située au bout du bout de l’intime, on est à peu près certain que personne ne nous entendra crier…C’est l’autre dénominateur commun du monde de Mylène Farmer : cette idée qu’on crie/baise/aime/souffre toujours dans le désert d’un entre-soi avec les femmes, intime, inviolable et hanté par nos fantaisies. En d’autres temps, on aurait appelé cela un univers gothique. Le terme n’a plus vraiment les faveurs du public mais c’est tout de même de ça dont il est question. Mylène Farmer est à la pop ce qu’Alfred Kubin est à la littérature européenne, une curiosité tordue, artistique, désuète, magique et un peu flippante sur les bords.
Crédit photo : capture d’écran du clip.