Bitchin Bajas & Bonnie Prince Billy / Epic Jammers and Fortunate Little Ditties
[Drag City]

2 La note de l'auteur
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Bitchin Bajas & Bonnie Prince Billy - Epic Jammers and Fortunate Little DittiesMettez Mark E. Smith avec n’importe quel groupe ou n’importe quel musicien et vous aurez un morceau ou un album de The Fall. La chose vaut pour Bonnie Prince Billy qui, quel que soit le contexte ou l’environnement dans lequel il évolue, la formation dont il s’entoure, a une présence telle que tout ce qu’il touche se transforme instantanément en une simple variation sur sa personne et son univers de référence. Sa facilité à produire, lui-même ou accompagné, contribue à donner de son œuvre l’idée d’un robinet qui ne cesserait de couler et dont des types plus ou moins doués se contenteraient en contrebas de colorer l’eau du bain ou de changer la température. Mettez y ce que vous voulez, semble dire Oldham, cela restera toujours de l’eau ! Si je suis dans un bon jour, j’en ferai du pinard, du whisky ou du jus de goyave.
Dans les mauvais, ce sera plutôt SiropSport ou pisse de chameau.

Bonnie Prince Billy fait toujours peu ou prou la même chose : il chante avec la voix qu’on lui a donnée et qui est la quintessence du blues et, par extension, de l’Amérique. C’est une voix qui est maudite et bénite à la fois pour ne savoir faire que cela, comme si chaque chanson était assujettie au même but qui est de dévoiler, en même temps que l’âme d’un homme celle d’une nation et de son genre musical de référence : le blues rock. Enregistré en une seule journée, ce disque est vraiment une bizarrerie car pour ce qui pourrait bien être la première fois, Bonnie Prince Billy s’y fait voler son mojo. Bitchin Bajas est un trio ambiant de Chicago qui se caractérise par son message new-age post-ère spatiale et sa musique répétitive et contemplative. Le machin se conçoit à la guitare, avec quelques timides percussions au fond à droite, et vise à produire, ce qu’on suppose être une sorte d’élévation de l’âme et une fusion avec la nature (voire la galaxie entière moins les planètes hostiles), sur la base d’une répétition de motifs musicaux, quasi infinie, en mantra ou lamentations plus ou moins fumeux. Cette litanie new age enveloppe Bonnie Prince Billy au point de lui faire perdre son latin et son expressivité. Sur le pénible Nature Makes Us For Ourselves, il chante des âneries genre « développement personnel » pendant 8 minutes comme si on l’avait laissé pendu sur une seule note. C’est à la fois terrifiant et… curieux. Mais tout n’est pas aussi étrange et castrateur. May Life Throw You A Pleasant Curve est tout aussi inept mais un brin plus relevé. On se situe bien dans la veine sacrée du bonhomme mais sans la complexité et la profondeur mélancolique de ses meilleurs travaux. La rédemption ne repose pas sur la souffrance ou l’épreuve, sur la philosophie ou un quelconque parcours mais juste sur le fait d’être assis en tailleur et de regarder son prochain dans les yeux. Ici, l’âme est juste une bonne pâte emmiellée qui cherche à faire amie amie avec le système monde. C’est à la fois court et horripilant. Rebelote sur Your Heart is Pure, Your Mind Is Clear, You Soul Devout qui est à peu près la même chose mais avec des instruments de marché tibétain, le tout étiré sur plus de huit minutes.

Sans doute est-ce qu’on aborde cet album avec une conscience empêtrée dans le matérialisme et le quotidien. Je parie que c’est le cas de beaucoup par les temps qui courent. Difficile de faire semblant. Il est très probable qu’on peut trouver des qualités de suggestion et de stimulation à un tel album dans un environnement propice : un tapis persan sous les fesses, de l’encens, de l’herbe à foison et une partouze avec des nymphettes pré-pubères en perspective. Si vous n’avez pas ça à disposition, il est assez probable que vous vous en tiendrez à ce que vos oreilles ramènent de ce voyage. Un message sympathique : Your Whole Family Are Well. On est content pour elle. Parce qu’il y avait des problèmes ? Peu de bruit pour rien et une belle arnaque à la conscience claire, à l’exception du dernier morceau, Your Hard Work Is About To Pay Off, qui ressemble enfin à un vrai titre avec son petit brin de dynamique.

Pour dire la vérité, on a presque marché sur l’avant dernière sauterie, Show Your Love and Your Love Will Be Returned et ses 8 minutes d’aplats neurasthéniques. On ne sait pas trop pourquoi mais on a eu la sensation que si peut-être, on arrivait à se trouver huit ou dix heures pour écouter ce bazar en boucle, on pourrait peut-être en tirer un sentiment d’ivresse ou l’envie d’en finir enfin. En attendant, Bonnie Prince Billy a proposé tellement de trucs décisifs depuis vingt ans qu’on peut en laisser quelques uns de côté de temps à autre. Celui-ci en fait partie.

Tracklist
01. May Life Throw You A Pleasant Curve
02. Nature Makes Us For Ourselves
03. Your Heart Is Pure, Your Mind Is Clear, Your Sould Devout
04. Your Whole Family Are Well
05. Despair Is Criminal
06. You Are Not Superman
07. Show Your Love and Your Love Will Be Returned
08. You Will Soon Discover How Truly Fortunante You Really Are
09. Your Hard Work Is About To Pay Off
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