Cela faisait quelques années qu’on n’avait pas croisé la route de Jean-Louis Murat sur scène. Le chanteur nous avait offert tant de visages différents par le passé qu’on ne s’attendait cette fois-ci à rien de précis, si ce n’est à mesurer de quelle manière il avait vieilli et nous avec lui. Murat a eu 70 ans en janvier. La salle Carmet d’Allonnes est aménagée en configuration assise et bien remplie d’une grosse centaine de personnes, masculine aux trois quarts et avec une moyenne d’âge qui frise les 55 ans. L’ambiance est décontractée, sereine mais tout de même soucieuse devant la gravité de la situation, ces ventres et ces cheveux gris, cette mauvaise vue et toutes ces rides. On ne va pas revenir sur nos interrogations quant au devenir du genre. Murat s’en contrefout et n’est pas ou plus là pour se morfondre. La mort du rock et de ses spectateurs attendra. Le spectacle frappe à la porte.
On avait négligé son dernier disque, La Vraie Vie de Buck John, tout en s’emballant pour le précédent, Baby Love, en sachant que notre Murat éternel se nichait inconsciemment quelque part entre Taormina (2006) et Cheyenne Autumn (1989). A quoi s’attendre alors ? On a connu Murat muet et désagréable, bavard et satirique, caustique et scandaleux, on l’a connu poétique et romantique. Le Murat du jour est peu causant mais jamais taciturne, soucieux d’œuvrer comme un artisan-chanteur en représentation plutôt que de proposer une performance mémorable ou relevant de l’exceptionnel. La voix semble timide et usée pendant les deux ou trois premières minutes, avant de gagner en assurance et de s’offrir quelques jolies démonstrations. Le groupe (3 musiciens et l’Auvergnat mi-assis, mi-debout à la guitare) est solide et appliqué. Il se dégage dès les premiers morceaux une volonté de jouer sérieusement et de produire une musique de qualité et ordonnée qui rappelle l’approche de ces groupes adultes, noirs et vaguement cérébraux qu’on aime bien comme Swell (avant) ou dEUS, le tout dans un format (setlist, interprétation) très maîtrisé et beaucoup moins libre que par le passé. Ceux qui se souviennent des sets un peu bordéliques d’antan regretteront peut-être l’enthousiasme désordonné d’alors mais Murat se préserve toujours de l’académisme en variant les dispositifs. Celui-ci se tient mais manque de fantaisie.
On pensait que les chansons de Buck John allaient nous valoir un son folk et country, voire western, mais le ton est plutôt rock carré, section rythmique à la précision et à la décontraction quasi jazzy, un Murat qui joue de la guitare de manière plutôt offensive, et conduit le groupe à la baguette. Le clavier apporte une petite touche pop dans un set qui est marqué par sa concision et son homogénéité, bien qu’il pioche un peu partout dans le répertoire de ces dernières années.
La setlist est à peu près identique à celle qui accompagne Murat cette année, autant dire qu’on y trouve assez peu de nos chansons préférées (jeunes comme anciennes) mais suffisamment de matière pour qu’on ne s’ennuie pas et se rappelle à quel point Murat écrit bien. Malgré la présence de morceaux soniques et d’éclats électriques tout au long du set, on a la sensation tout de même que l’ensemble manque de « sommets » et de « moments culte » qui transforment les bons concerts en concerts inoubliables. Manque-t-il un petit quelque chose ? Le retour d’un tube ou d’une chanson à entonner, d’une émotion qu’on aurait déjà vécue il y a dix ou vingt ans ? Le reproche est sûrement injustifié mais il en manque un peu malgré la consistance des titres joués ce soir.
La chanson mystère Hello You, qu’on ne connaissait pas, en témoigne et emballe le public avec facilité. Le dernier album est bien représenté avec des morceaux dont on ne raffolait pas sur le disque et qui, ici, ont une belle allure. Le badin Marylin et Marianne est joueur comme il faut. Ma Babe fait penser à du Nino Ferrer électrique et rockab en même temps qu’à du rock patrimonial, tandis qu’on peut apprécier toute la modernité d’un Chacun Sa Façon, enlevé et critique. Battlefield nous avait tapé dans l’oreille à l’écoute du disque. Sa version live est bien meilleure encore. On ne raffole pas des choeurs donnés par le groupe mais le jeu des vocalises sur le titre et les ouhs ouhs de Murat l’emportent pour conférer au morceau une belle puissance.
Mais c’est ailleurs et un peu plus loin qu’on trouve notre compte d’émotions. Assez tôt dans le set, Murat s’offre un instant charmant avec le sublime Princess of Cool (sur Baby Love). On prend beaucoup de plaisir aussi avec une version énergique et augmentée d’un Frankie (album Morituri) que le groupe emmène dans un univers menaçant hanté par le brigandage et la solidarité criminelle. Le groupe abandonne un instant le chanteur pour une version acoustique magnifiquement chantée (clavier/voix) de la Pharmacienne d’Yvetot que Murat sera amené à recommencer après un démarrage raté. On a la vague sensation que les meilleures chansons ont été écrites par le passé. Pas la peine d’être grand clerc pour s’apercevoir que le Chemin des Poneys (2006) figure parmi les plus belles créations qui sont interprétées ce soir.
L’album Taormina (très en phase avec le climat musical du soir) se rappellera d’ailleurs à notre bon souvenir au moment du rappel avec une version musclée et hypnotique de son morceau titre. La soirée s’achève après 1H30 de jeu. Le salut est sobre et efficace. Murat fait un signe de la main et se retire avec le sentiment du devoir accompli. La soirée est belle, chaleureuse et à hauteur d’homme. Elle n’a rien d’extraordinaire, ni de démesurée, préférant aux paillettes se concentrer sur la justesse et l’authenticité. Murat nous a offert tant d’émotions et de bouleversements qu’on ne pourra pas lui reprocher de fonctionner cette fois un peu plus au savoir-faire.
Photos : SBO/Benjamin Berton
Vidéo : youtube Concert au Botanique (Bruxelles) 4 avril 2022