Jockstrap / I Love You Jennifer B
[Rough Trade Records]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Jockstrap - I Love You Jennifer BLa chose est dite : on passe trop de temps à décrire et à commenter des vieilleries. Nos goûts de quadra avancés menacent chaque jour de ressembler à un mausolée où on expose les vieilles gloires de notre adolescence et ce qu’il reste de leur génie. Jockstrap n’est pas à proprement parler un jeune groupe puisqu’il existe sous cette forme depuis 3 ou 4 ans maintenant mais ce I Love You Jennifer B est tout de même son premier album et, à sa manière, LE TRUC DU MOMENT qui rend l’année 2022 excitante et digne d’être vécue.

Pour ceux qui avaient raté le groupe et son si joli nom, Jockstrap désigne un mini-slip, pour hommes, façon string, constitué d’une bande, de deux élastiques et d’un suspensoir pour les boules. L’article en soi n’est pas génial mais a ses fans. Jockstrap, le groupe, est originaire de Londres, constitué d’une fille (chant) et d’un gars (musiques), Giorgia Ellery et Taylor Sky vaguement arty qui mélangent vocaux sussurés et arrangements électro. Les Jockstrap ont assez vite attiré l’attention sur eux, signé chez Warp pour en EP, avant d’être récupérés par Rough Trade qui a sorti leurs morceaux suivants et donc ce premier album studio, baptisé I Love You Jennifer B. Pour les plus observateurs, Giorgia Ellery est aussi membre de l’agaçante formation Black Country, New Road, ce qui contribue à faire du duo un point d’attention majeur de l’industrie du spectacle.

Avant de parler musique, il reste évidemment une réponse à donner : qui est donc la Jennifer B du titre et de la chanson du même nom ? A vrai dire et après recherche, on  parie sur une référence cryptée à Jennifer Beals de Flashdance puisqu’il est question de danse et de strip-tease dans le morceau, mais on en est pas certains du tout. Ceci étant dit, et maintenant qu’on a évacué (longuement) le contexte et les divers éléments de branchitude du disque, voyons ce qu’il en reste.

A l’instar du premier album de Cleaning Up qui nous avait enthousiasmé, il y a dans ce premier album de Jockstrap un vrai sentiment de curiosité et de nouveauté qui se dégage. C’est moderne, foutraque et composé de bric et de broc. L’exemple du single Jennifer B est très bon : entre les voix de mecs, l’électro à la Björk-Emily Simon, le chant d’arrière-plan et les arrangements de cordes, on a la sensation assez excitante de se confronter à quelque chose de nouveau et de jamais entendu qui rappelle une version moderne d’une Stina Nordenstam 4.0. Mais ce qui marque vraiment à l’écoute de ce premier disque, c’est la capacité de Jockstrap à défier les genres et à nous proposer un fabuleux foutoir esthétique qui, contre toute attente, dégage une cohérence assez extraordinaire.

Neon qui ouvre le bal est à cet égard un bon exemple de tout ce que propose le groupe : démarrer un titre comme PJ Harvey ou Lisa Loeb, dans un registre un peu classique de chanteuse indé au passé/passif un peu trouble, puis le dynamiter façon Björk meets Radiohead avant de faire exploser tout ça pour propulser le tout dans un futur fracassé et dingue. Sur Greatest Hits, on ne sait plus trop où on habite. Le registre est un peu soul, un peu pop mainstream circa années 70, avec des accents de disco à l’arrière-plan, tandis que la chanteuse délivre le couplet le plus WTFuckement génial de l’année sur un choeur de bébés :

Imagine I’m Madonna
Imagine I’m Thee Madonna.
Dressed in blue
No – dressed in pink!
Gabbana
Feather boa
Marie Antoinette
You wanna know her!
Riding in a limousine!

avant de rebondir sur le vers le plus délicieusement sexuel de 2022 : « Just wanted to feel what you feel inside. (Get a car, ride). Come to me, on the third floor! ». Le chant et les arrangements se complètent à la perfection, rappelant le mélange de sensualité, de pop et de second degré qu’on révérait lorsque Luke Haines et John Moore faisaient chanter Sarah Nixey pour Black Box Recorder. C’est de ce groupe là, en moins pervers, qu’on rapprocherait le travail référencé et presque atemporel de Jockstrap. What’s It All About? est une merveille de délicatesse qui est suivi par Concrete Over Water une chanson d’amour nocturne et réellement miraculeuse dont le pont instrumental (médian et final) est phénoménal. On pense cette fois à un mélange d’Amanda Palmer et de Judy Garland. C’est beau, baroque et burlesque, même si on a la sensation à ce moment précis que cette voix incroyable dont le groupe abuse et surabuse finira par nous encombrer et nous lasser.

En attendant, et parce qu’on y prend goût, impossible de bouder notre plaisir. On déroule le fil(m) comme dans un rêve en se mettant à l’affût des signes d’une folie ambiante. Angst est un tour de force aussi horripilant et surjoué que stupéfiant. Giorgia Ellery cabotine et déroule un spoken word hypnotique et dont on ne sort pas tout à fait indemne. La deuxième partie du disque est  empreinte d’une liberté totale. Debra hip-hoppe sur les bords, serpentant entre une allure RnB et une propulsion électro irrésistibles. Le texte est rempli de mentions surréalistes et de dialogues imaginaires, si bien qu’on est presque surpris (et déçus) de retrouver avec Glasgow un morceau quasi académique. « Je ne viendrai pas à Glasgow », chante Giorgia, « je te verrai au concert », à l’attention d’un soupirant. Lancaster Court évolue entre musique de chambre, opéra et rock gothique. On dirait du Lisa Gerrard et puis non, Jockstrap débraie, embraie et file avec 50/50 sur un titre électro-clash punk et repoussant à la façon de Die Antwoord pour les nuls.

Il faut ainsi choisir son camp : soit considérer qu’on se trouve face à un truc incohérent, inconsistant et incapable de tenir sa ligne, soit qu’on fait face à une des expressions les plus originales, prometteuses et intéressantes.. de notre époque. On n’exclut pas de se planter (et de ne jamais plus réécouter ce disque) mais on veut croire par optimisme et parce que l’effort est noble et ses moyens glorieux, que Jockstrap vient de réussir un premier coup de maître en proposant un disque aussi vif, aventureux et déglingué. C’est à la fois très féminin, branché, dansant et triste, engagé et onirique, fou et tout à fait maîtrisé. Que demander de plus ?

Tracklist
01. Neon
02. Jennifer B
03. Greatest Hits
04. What’s It All About
05. Concrete Over Water
06. Angst
07. Debra
08. Glasgow
09. Lancaster Court
10. 50/50<
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