Oscar Lezar – REC au Calme
[Autoproduit]

7.6 Note de l'auteur
7.6

Oscar Lezar – REC au CalmeRepéré il y a deux ou trois ans maintenant par les hasards du net, Oscar Lezar a signé il y a quelques mois un album, REC au calme, qui confirme son dessein singulier : celui d’offrir au hip-hop français une voie poétique, sociale et pleine d’espoir qui n’a presque pas d’équivalent. Venu du rock et passé depuis une décennie à ce qu’on appelle communément « le hip hop alternatif », Oscar Lezar est un jeune homme de 33 ans établi près de Nancy. C’est de là et depuis bandcamp qu’il délivre ses fusées/poèmes/tracks en mode sniper solitaire, entouré d’un crew à géométrie variable qui l’assiste sur disque, tandis qu’il continue d’écumer consciencieusement les salles, principalement locales, de l’Est de la France.

Oscar Lezar est un type qui réconcilie à lui tout seul les amateurs de poésie exigeante, de textes soignés et littéraires, et les fans de rap ou de hip hop. Pour ceux qui n’ont pas écouté de hip hop depuis longtemps : non, ça n’a rien à voir avec MC Solaar. Disons plutôt qu’Oscar Lezar est une version française d’un Ghospoet en Angleterre, habile et ouvert à diverses influences soniques, Lezar se caractérise par sa scansion ultra-claire, par son flow à la fois limpide et séquencé, et par ses arrangements arythmiques supportés par des beats répétitifs qui évoquent, par leur simplicité apparente, la recherche d’épure du britannique Scalper.

REC au calme démarre petitement avec un Kamikaze de l’espoir a capella de quelques secondes, aussi osé que maladroit. Cette petite introduction donne un relief formidable à l’entame qui suit et qui figure parmi les séquences les plus marquantes de cette année hip-hop. Je dors les yeux ouverts est impressionnant : beat choral et ethnique, texte incisif et sombre comme la nuit. Oscar Lezar chante : « Dans une époque où lorsque je prépare tranquillement ma crise cardiaque/ partout tu toques cherchant la meilleure prise d’aphrodisiaque/La main sur le cœur/ Le cœur sur la main/ Mais toi tu vois la main sur ton sein/…/si l’argent est un phare/ Mon art se repent/…/Je dors les yeux ouverts/ Je cherche le même décor qu’hier.» Oscar Lezar mêle l’analyse sociale et les enjeux intimes : le rapport aux femmes, la résistance aux offres/affres de la fortune, la fidélité, son statut d’artiste. Des hauts et des bas est encore meilleur. « Crois-tu que le moment venu on devra rendre tout ce qu’on aura reçu?/ C’est sûr la France est aussi infectée que Fukushima/ Et je m’y sens perdu comme à la chute de Nirvana ». Lezar surfe sur un lit de piano dépouillé, perturbé par des scratches. Le texte est toxique, puissant et sec, politique et noir. A rebours de la Macronie triomphante et pleine d’espoir en toc, Lezar chante l’époque avec une intelligence remarquable, exprimant à sa façon une forme de désenchantement et de nostalgie pour les décennies précédentes. L’album continue de tutoyer les cimes : Après la pluie et le soleil est trompeur prolongent l’effort. L’espoir point à travers l’amour et l’envie de redresser la terre. Oscar Lezar peint un homme à bout de souffle, sauvé par des gestes simples, des attentions ou un regard tendre.

Si l’homme souffre et dérive, le hip-hop est droit et envisagé comme un acte de résistance. C’est la voix qui tient l’homme debout, la déclamation qui donne de la noblesse et permet de survivre au sort. Conquis exprime la supériorité de l’art sur la vie. L’écriture est envisagée comme un acte qui défie la mort. Il y a une forme de naïveté baudelairienne assumée chez Oscar Lezar qui donne une énergie et une force inspiratrice à ses textes et à sa performance assez extraordinaires. On pourrait égrener les titres un à un et faire état des mêmes réactions : le saisissement, la surprise devant des textes aussi bouleversants et parfaitement associés aux musiques qui les accompagnent. Le timbre d’Oscar Lezar offre, par sa chaleur et son humanité intrinsèque, une alternative lucide et sans cynisme à celui de Fuzati, l’un de ses modèles qu’on retrouvera d’ici quelques semaines avec le Klub des Loosers. Là où Fuzati assène ses vérités sans aucune alternative, chaque proposition d’Oscar Lezar aussi désespérée soit-elle porte sur elle une capacité de résilience qui fait de sa musique une musique d’espoir et de lumière. Dernière danse et Les Gens de tutoient le sublime. Les beats sont variés et hypnotiques. Les sons font le tour du monde : japonisants, hispaniques, tirant sur le dramatique.

Fleur de peau évoque de manière assez hilarante un roman de Beigbeder. L’amour dure trois ans. La chanson ouvre un final plus intime et tourné vers l’amour et les relations sociales. La transition n’est pas si simple comme si ces chansons faisaient déjà partie d’un autre album. C’est une des petites faiblesses de construction du disque. S’il te plaît laisse-moi évoque la maladie. C’est un titre éprouvant et juste. Oscar Lezar montre une autre façade de sa poésie, intimiste et féminine. Les textes sont encore une fois à la hauteur mais ce final désarçonne. La majesté du Choix des mots, le titre qui referme REC au calme, aurait fait une conclusion parfaite si ses effets n’avaient en partie été désamorcés par les trois titres qui le précèdent. Malgré ces quelques réserves, REC au calme n’en reste pas moins un disque important, original et d’une belle densité émotionnelle, sans hésiter l’une des plus belles confirmations et découvertes de 2017.

Tracklist
01. Kamikaze de l’espoir
02. Je dors les yeux ouverts
03. Des hauts et des bas
05. Après la pluie
06. Le soleil est trompeur
07. Conquis
08. Réclame de l’air
09. Kamikaze
10. Dernière danse
11. Les gens de
12. Le monde et ses coutumes
13. Censure sincère
14. Fleur de peau
15. S’il te plaît laisse moi
16. Je me souviendrai
17. Le choix des mots
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