Le Klub des Loosers vit la (grande) vie sur scène : voyage au coeur de la lose qui gagne

Klud des LoosersLes experts se chamaillent pour savoir si le Klub des Loosers est ou pas le groupe de hip hop le plus influent de ces dix dernières années, l’équivalent de ce qu’ont pu être IAM et NTM pour la génération précédente appliqué à une génération souffreteuse mais qui, paradoxalement, n’arrive plus à s’attacher aux artistes dans la durée. Groupe influent ? Pas celui qui vend le plus de disques ou qui fait le plus parler de lui sur les réseaux sociaux. Non, le groupe qui s’écoute et qu’on aime partager avec les amis dans la durée, celui dont on peut discuter des évolutions, des changements de direction et des textes lors des longues soirées d’hiver. Le groupe qui, parce qu’il n’a pas explosé en vol et a toujours des choses à dire, est resté debout quand les autres ont été soufflés par le vent. Le groupe dont le mystère a un nom et un masque : Fuzati, le gars qui a de faux airs du Mister Renard de Renaud, du Gainsbarre de Gainsbourg ou d’un Bashung en entier qui s’amuserait, d’une certaine façon, à repousser les limites du genre pour ne… ressembler à rien de connu et surtout pas à un rappeur.

–           P***, le gars, il sait pas chanter Fuzati ! 

–          – Tu débloques, c’est énOOrme ce qu’il fait. C’est l’histoire de ma vie.

D’une certaine façon, le Klub des Loosers n’a jamais cessé d’être présent depuis son entrée en piste qu’on ramènera, pour faire simple, à la sortie de son album, Vive la Vie, en 2004. A l’époque, l’album faisait figure de premier grand disque de rap pour les classes moyennes, les blancs-becs et les fans de rap français qui n’avaient pas la chance (!) de vivre dans une vraie cité perdue. L’équivalent d’un Michel Houellebecq (côté littérature), d’un Morrissey hip-hop (si on peut le concevoir – dans le coin de sa chambre), capable d’enfanter aussi bien (et sur le tard) Kamini (le rap rural) qu’Orelsan (le rap pseudo-trash). Fuzati est le croisement d’Eminem et The Smiths, dont la misanthropie et la vision du monde se sont taillées, dans la solitude d’une bande, à la rencontre d’une discothèque insensée (des samples, des beats) et d’une société qui leur refusait tout. La suite se passe de commentaires jusqu’au dernier Grand Siècle qui compte parmi les grands disques (tous genres confondus) de l’année dernière.

Pour fêter l’anniversaire de son album culte (comme on dit à la télé), Fuzati et les siens rééditent l’objet (qui s’échangeait à des prix insensés sur le net) et l’emmènent dans une tournée hallucinante où l’homme masqué est accompagné par un vrai groupe… de rock… ou de musique d’ambiance. Le résultat est à la hauteur de ce monument : sacrilège et fascinant. Le hip hop est dépassé sur sa face la plus abrupte : celle du texte roi. Après Montpellier, Bruxelles, Caen, la caravane passe cette semaine au Mans. L’occasion de revenir dans les grandes largeurs sur l’odyssée du plus curieux phénomène musical de ces dix dernières années.

Qu’est-ce qui a motivé la décision de rééditer « La Vie Est Belle » et de l’emmener en tournée ?

Cette réédition coïncide avec les 10 ans de la sortie du disque. Cela faisait déjà quelques années qu’il n’était plus disponible en support physique et je recevais pas mal de demandes de gens qui cherchaient « Vive la vie » en vinyle ou en CD. C’était donc le bon moment pour que Record Makers le réédite. Parallèlement, ça va faire presque deux ans que je répète avec un groupe de quatre musiciens (clavier, basse, guitare, batterie) pour adapter tous mes morceaux. Je me suis dit que pour les 10 ans de Vive La Vie, c’était pas mal de faire une tournée en faisant réinterpréter tous mes morceaux par des musiciens.

C’est à la fois une sorte de consécration et la reconnaissance que l’album a eu « son importance » et  en même temps un privilège qu’on réserve généralement aux « vieux machins » et aux groupes en perte de vitesse. Est-ce que vous n’avez pas eu peur que cela brouille le signal ?

Je n’ai vraiment pas cette impression. J’ai sorti La Fin de l’Espèce en 2012 qui a bien fonctionné, j’ai fait une grosse tournée pour défendre cet album sur scène, puis il y a eu Last Days, puis Grand Siècle, album avec lequel j’ai également tourné. Et là, je prépare mon prochain album. Donc non, je ne pense pas que ça fasse « vieux machin ». En revanche ça prouve que Klub des Loosers commence à avoir une certaine longévité, ce qui est, à mon sens, quelque chose d’assez difficile à acquérir en musique. Finalement, peu de groupes passent une décennie.

Je crois que vous avez déjà joué une ou deux fois ces dernières semaines dans la configuration « groupe » qui accompagne le disque sur scène. C’était comment ? Et qu’est-ce qui a motivé cette envie de vous produire dans une configuration « groupe de rock » ?

Depuis 10 ans, j’écoute majoritairement du jazz, du rock-progressif, du rock psychédélique, donc cette formation est très en phase avec mes goûts musicaux. Ce n’est pas juste un backing band qui tente de rejouer fidèlement les instrus. Dès que j’ai fini mes couplets, ils improvisent sur les thèmes des morceaux, les adaptent… Je deviens spectateur de mon propre concert. Il y avait certes une mise en danger assez intéressante, à être seul sur scène, avec juste un DJ, parce que toute l’énergie devait venir principalement de moi. C’était quasiment comme du stand-up, sauf que je ne suis pas sûr que je fasse rire grand monde. Mais après avoir fait plus d’une centaine de concerts avec cette formule, j’avais envie de changer. C’est important de toujours évoluer en musique, de ne pas rester sur de vieilles recettes.

Est-ce que vous pouvez nous dire deux mots des musiciens qui vous accompagnent sur cette tournée ? Est-ce que vous jouez les « interludes » et est-ce qu’Anne Charlotte sera là ?

J’ai de la chance d’être accompagné par d’excellents musiciens. Hadrien Grange est à la batterie. Il est également batteur pour Dorian Pimpernel. Ils ont sorti un super album sur le label Born Bad records. Il est aussi clavier dans Tahiti 80. Benjamin Kerber (guitare), Victor Tamburini (basse) et Harry Hallouche (clavier) faisaient parti du groupe Les Shades, signé à l’époque sur Tricatel. Ils font tous les trois de la musique dans plusieurs groupes. Ils m’apportent une bonne énergie, on passe notre temps à parler de musique, que ce soit de ce qu’on écoute ou de vieux claviers. Sinon on joue une des interludes, oui. Et non : et je ne sais pas où se trouve Anne-Charlotte.

L’album a dix ans tout rond. Comment est-ce que vous vous situez par rapport à ce que vous racontiez à cette époque ? Y a-t-il des chansons qui sont plus difficiles à chanter que d’autres ? Est-ce que tu as pris un certain plaisir à en retrouver certaines que vous ne jouiez pas beaucoup sur scène ?

L’album est sorti en novembre 2004, mais je l’ai enregistré pendant l’année 2003. Donc ça commence à me paraître vraiment loin maintenant. A chaque album, j’essaie de n’avoir aucun regret, d’exprimer ce que je ressens à cet instant t. Sinon je ne le sors pas. Donc je suis toujours ok avec tout ce que je raconte sur ce disque. Ce qui est assez bizarre, c’est que j’évoquais déjà le fait de ne pas se reproduire, le dégoût des femmes enceintes, etc. Alors que j’avais à peine la vingtaine quand j’ai écrit tout ça. C’est une des choses qui m’a marqué en réécoutant l’album récemment.

Qu’est-ce qui, à votre avis, a donné à cet album cette postérité ? Le fait qu’on ne le trouve plus en magasin ou l’introduction, saluée un peu plus tard, d’une manière singulière d’envisager… le hip-hop ?

J’essaie toujours de trouver des thèmes intemporels et d’écrire des textes sans références trop marquées. Si j’avais parlé de Myspace et du « loft » sur cet album, il aurait sans doute moins bien traversé le temps. Le thème du mal-être adolescent y est sans doute pour beaucoup aussi. J’ai remarqué ça lors de mes derniers concerts, il y avait des gens dans le public qui étaient trop jeunes pour avoir découvert Vive la Vie à l’époque où il est sorti. Et c’est une belle récompense je trouve, de voir un de ses albums traverser le temps. D’autant plus que tout est devenu tellement jetable aujourd’hui…

Sinon, je ne le vois pas vraiment comme un disque de hip hop. Disons qu’à l’époque, j’en écoutais beaucoup, alors on retrouve forcément dans Vive la Vie des références au hip hop, aussi bien sur le fond que sur la forme, mais si on me dit que je ne suis pas un rappeur, mais un type qui déclame des textes sur des boucles de jazz-funk, ça me va très bien.

Quel effet cela fait-il de jouer l’album ainsi en intégralité et dans l’ordre ? Est-ce qu’en tant que spectateur (cela se fait beaucoup dans le rock), vous avez eu l’occasion de voir d’autres groupes reprendre de cette manière leur album culte ?

Je ne le joue pas dans l’ordre en fait et je ne joue disons que 80% des morceaux de l’album, pour la simple raison que certains s’adaptaient mal avec des musiciens. Je joue aussi des morceaux issus de mes autres projets (Grand siècle, Klub des 7, La Fin de l’Espèce). J’avais vu Air jouer intégralement Virgin Suicides à la Cité de la Musique. C’était bien, plus jazz-rock que sur l’album.

Évidemment, lorsqu’on « revisite » un ancien album, se pose alors la question de ce qu’on a encore à dire. Comment est-ce que vous situez cette étape dans la carrière du groupe et plus particulièrement dans votre itinéraire ?

Je pense que c’est la fin d’un cycle. Aujourd’hui je n’ai plus du tout envie qu’on me parle de « rap alternatif », de l’époque du Batofar et même de rap tout court. Parce que j’arrive à un point où j’ai passé autant de temps à écouter du rap qu’à écouter d’autres styles de musique. Je n’ai plus envie de faire des concerts avec en première partie un groupe de rap « décalé ». Enfin, j’en ai jamais vraiment eu envie en fait…Mais cette étiquette commence à être un peu soûlante.

L’industrie du disque a beaucoup évolué aussi en dix ans. Disons surtout qu’elle s’est complétement écroulée. Au début j’étais signé sur des labels. Puis je me suis rendu compte que vu la musique que je fais, qui reste une musique de niche, ça n’avait pas forcément beaucoup d’intérêt. Donc aujourd’hui, j’ai crée mon label pour sortir mes disques. C’est un travail énorme, mais ça me permet d’avoir un contrôle total sur ma musique. Au niveau de ma « carrière », je commence à partir dans une nouvelle direction. Je vais tout composer et jouer de pas mal d’instruments sur mon prochain album. Et puis, pendant longtemps j’étais un peu à la frontière des genres : hip hop.., pas hip hop. En ayant approfondi ma culture musicale je me dis aujourd’hui que je suis finalement beaucoup plus proche dans ma démarche artistique de Pierre Vassiliu, de certains morceaux de Brigitte Fontaine & Areski, de Gary Wilson, etc. que de n’importe quel rappeur.

Ces dernières années ont été particulièrement riches pour vous. La Fin de l’Espèce en 2012, Last Days et ensuite Grand Siècle qui est quand même un album majeur. C’est une période dont vous devez être particulièrement satisfait sur le plan artistique, non ? Si j’ai bien lu, vous devez enchaîner sur le troisième volet de la trilogie et selon toute vraisemblance sur un ou plusieurs projets instrumentaux ?

Disons que le temps passe très vite, dans La Violence je disais : « J’en suis déjà à la moitié de ma vie… Dans le meilleur des cas ». J’ai connu des types qui n’ont pas atteint la vingtaine, d’autres la trentaine. Et il y a tellement de gens qui partent d’un cancer vers la soixantaine. Le temps est compté. Donc j’essaie d’enchaîner les projets. Et puis ça devient tellement difficile de sortir des disques, je me dis qu’à un moment, je n’aurai plus forcément envie d’y consacrer autant d’énergie… Je préférerai passer deux heures à jouer du piano pour moi qu’à envoyer, par exemple, des mails à un attaché de presse pour savoir pourquoi il n’y a pas plus d’interviews qui tombent, etc. J’adore la musique, mais tout ce qui accompagne la sortie d’un disque est assez ennuyeux. Je bosse simultanément sur deux albums du Klub des Loosers là… Le premier sortira début 2016. Il est dans la lignée de ce que j’ai pu faire avec La Femme de Fer, raconter des histoires, etc. Et au niveau instru, cela reste du beatmaking. L’autre album, beaucoup plus conceptuel, où je joue de la majorité des instruments est prévu à la rentrée 2016 ou début 2017.

Comment vivez-vous l’injustice dans le milieu de la musique ? L’appauvrissement général et le fait qu’il y ait quand même quelques imposteurs (quel que soit le genre dans lequel ils évoluent) qui surnagent et sont couverts d’or… tandis que la plupart des artistes de qualité retournent vers une forme d’artisanat ?

Je ne pense pas que le milieu de la musique soit particulièrement injuste. Ça a toujours été très compliqué de sortir des disques, d’en vendre. Pourquoi aujourd’hui certains vieux disques se vendent à 500 €, voire beaucoup plus sur Ebay ? Parce qu’ils contiennent de la très bonne musique qui, à l’époque, n’a intéressé personne et qu’ils sont devenus super rares. Ça a toujours été comme ça. Et au fond tant mieux. Et je ne pense pas que quelqu’un qui vende plein de disques fasse forcément de la merde ou soit un imposteur. Il faut de la musique pour tout le monde. Ma musique est, de fait, une musique de niche. Mais ce n’est pas une démarche réfléchie. C’est simplement que ma personnalité m’amène à faire ce style de musique. Après il y a aussi des gens qui font une musique beaucoup plus populaire et c’est très bien aussi. Tu te verrais faire tes courses et entendre du Klub des Loosers diffusé dans ton supermarché ?

Avec La Fin de l’Espèce, vous avez bénéficié d’une belle exposition médiatique tout de même. Est-ce que vous pensez qu’il y a une chance, même infime, que le grand public vous accueille ? Est-ce que c’est quelque chose que vous vivriez bien, que vous souhaitez encore ou est-ce que ce serait un signe finalement assez déprimant que le système peut « survivre » ou prospérer sur un discours extrêmement subversif comme le vôtre ?

Je ne me pose jamais ce genre de questions. Je fais les disques que j’ai envie de faire et puis je regarde ce qui arrive. Mais de toute façon, sans être signé sur une major c’est quasiment impossible de toucher un public très large, parce qu’à un moment, il faut investir énormément (4×3 métro, pubs TV, partenariats) si on veut faire passer un certain cap à un artiste. Et seule une major a la trésorerie pour se permettre ce coup de poker. Je parle de « coup de poker » parce que parfois, même en investissant pas mal, ça ne prend pas assez pour rembourser tous les investissements. C’est ce que j’expliquais dans le clip de L’Indien. Mais avec les trucs que je raconte, je sais depuis le départ que je ne suis pas un artiste grand public. Et ça me va très bien. Je ne suis même pas un homme « grand public » dans le privé, au sens où je n’ai pas beaucoup de potes, que je n’aime pas sortir, parler à trop de gens… Aussi, pour avoir vu pas mal d’artistes connaître un gros succès puis retomber dans une audience plus confidentielle, j’ai l’impression que le succès peut être un cadeau empoisonné, parce qu’une fois qu’on a eu un « tube » on essaie toute sa vie d’en refaire un autre. Franchement qui a envie d’une carrière à la Patrick Hernandez ? Il vivra toute sa vie sur un seul morceau, ce qui d’un côté est génial, mais de l’autre côté, il peut faire tous les autres morceaux possibles, tout le monde le réduira toujours à Born To Be Alive.

Vous avez introduit une manière de chanter/rapper tout à fait originale et qui n’a pas vraiment d’équivalent ici. On pense parfois à du spoken word comme chez des rockeurs comme John Cooper Clarke ou aujourd’hui des types qui montent en Angleterre comme Sleaford Mods. Comment est-ce que vous avez trouvé votre voix de chanteur ?

Ce n’est pas réfléchi en fait…Mais de la même manière qu’on a tous une manière différente de parler, chacun doit avoir sa propre manière de chanter ou de déclamer. Et puis il faut surtout que cela colle avec ce que je raconte.

A l’époque, j’imagine qu’il y avait des types qui recherchaient la fluidité du flow, une forme de prouesse vocale. Qu’est-ce qui a fait que vous avez échappé à ce jeu-là et développé votre propre manière de chanter ? Comment s’est apparu ? Comment vous avez su que c’était comme cela qu’il fallait faire ?

Je ne sais pas si c’est comme ça qu’il faut faire. Disons qu’il y a plusieurs écoles. A l’époque pas mal de rappeurs trouvaient d’abord les flows, ou piquaient des flows américains puis mettaient des mots français dedans. Ou alors ils se laissaient guider par les allitérations. Ça marchait très bien chez certains, je pense à Ill des X-men, notamment, mais cela amenait aussi beaucoup de rappeurs à rapper de la même manière. En ce qui me concerne, je partais plus du texte. Je n’avais pas envie de sacrifier une belle tournure de phrase, ou de mettre un mot moins fort qu’un autre pour que ça fasse plus flow. Du coup, surtout sur Vive la Vie certaines phrases rentrent un peu difficilement sur la mesure. Je comprends que ça puisse en rebuter certains. Tant pis, c’est mon style.

Klub des Loosers bruxelles

Vous êtes évidemment réputé pour la qualité de vos textes. Est-ce que vous pouvez revenir rapidement sur votre itinéraire ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture ? La lecture de quels bouquins ? Quelles influences ? Etiez-vous tourné vers la littérature ou est-ce que vous étiez orienté d’emblée vers l’écriture de chansons ?

J’ai toujours écrit en fait. Que ce soit des nouvelles, de la poésie. La musique, c’est venu après. Il y a plein d’auteurs que j’aime bien : Fante, Harrison, Hemingway, Bukowski, Buzzati, Tennessee Williams. Mais ça ne m’influence pas en fait. Parfois je vais lire un truc et me dire : « tiens c’est proche de choses que je ressens ». Mais je ne me sens pas influencé par un écrivain. Les journalistes parlent toujours d’influence. Mais quand tu es artiste, tu es supposé être une éponge. Tout t’influence. Et au fond, je me sens toujours plus influencé par ce que je vais observer au quotidien que par un film ou un livre. Surtout que si une œuvre existe déjà, ça ne sert à rien de chercher à la reproduire.

Vous avez dit, à plusieurs reprises, que vous passeriez sans doute à autre chose assez vite. Romans ? Nouvelles ? Prose du moins ? Est-ce que c’est quelque chose sur quoi vous travaillez déjà ou bien est-ce que c’est juste quelque chose que vous avez en tête pour plus tard ?

Oui, j’écrirai sans doute un recueil de poésie ou un roman. Être publié n’est pas quelque chose que je sacralise. Le monde de l’édition me fait encore moins rêver que celui de la musique. Je n’ai pas du tout envie de rentrer dans les batailles de rhétorique et d’égo avec d’autres auteurs ou des journalistes, comme je vois parfois sur des plateaux télé, ou de finir au fin fond d’une librairie de province pour dédicacer mon livre… Mais un jour, si je suis content de ce que j’ai écrit (et ce n’est pas gagné), je le proposerai à un éditeur, où je le publierai à compte d’auteur.

Vous donnez l’impression de savoir précisément où vous allez. Lorsqu’on relit vos anciennes interviews, vous êtes assez précis sur ce que vous allez faire ensuite et généralement vous faites ce que vous dites. Vous êtes quelqu’un de déterminé quand il s’agit de musique ?

Je ne lâche jamais. Que ce soit pour chercher un disque rare et bien évidemment, artistiquement. Donc oui, je sais où je vais. Après pas sûr que ce soit forcément toujours dans la meilleure des directions…

Quels sont aujourd’hui vos moyens pour travailler ? Home-studio ? Vous avez dit que vous travailliez largement seul : beats et textes. Et que le reste ne relevait que de l’habillage, plus ou moins élaboré. Cela reste le cas ?

J’ai toujours travaillé en home-studio et produit toutes mes instrus. Detect s’occupait du mixage, de recaler certaines pistes, etc. C’est un autre boulot, parfois très fastidieux… mais il n’est jamais intervenu sur l’artistique. Je le précise parce que c’est un peu gonflant parfois de lire que les instrus sont produits pas Detect. C’est une grosse part de mon travail la production, donc c’est un peu frustrant de voir tout ce travail attribué à un autre…

Comment est-ce que vous travaillez du coup ? Punchlines d’abord, beat et assemblage. Collection de beats pour lesquels vous allez ensuite associer des paroles ? On se demande toujours dans quel ordre cela fonctionne.

Je travaille tout le temps en fait donc je n’ai pas de méthode fixe. Parfois je vais trouver une punchline et la noter pour plus tard, parfois je vais trouver une mélodie en marchant dans la rue et m’enregistrer en train de la chanter avec mon téléphone pour la rejouer au piano plus tard. Il n’y a pas d’ordre en fait. Par contre je conçois toujours mes albums dans leur ensemble, c’est à dire que je n’enregistre jamais morceau après morceau jusqu’à ce que j’en ai 12. Je conçois tous les morceaux en même temps, pour avoir une vision d’ensemble.

Vos beats (on s’extasie rarement là-dessus) sont quand même de plus en plus élaborés et riches. Vous travaillez à partir d’une collection de disques personnelle qui est étoffée, non ? Et qui dépasse largement le rap bien sûr ?

J’ai pas mal de disques en effet. Mais j’ai rencontré des diggers qui avaient des collections tellement plus impressionnantes. Ça fait plus de vingt ans que je diggue. Le rap, ça doit être 15% de ma collection. Le plus compliqué en fait, quand on sample, est d’arriver à avoir un style tout en piochant sur plein de disques très différents. C’est là où les Daft Punk sont super forts.

Jusqu’ici vous n’avez pas laissé filtrer le thème central du 3ème volet de la trilogie. Est-ce trop tôt encore ?

Oui !

Qu’est-ce que vous mettez aujourd’hui sous le masque de Fuzati ? Un personnage qui ne vieillit pas ? Un truc lisse comme le tueur au masque de hockey Jason ? Avec le temps, on s’y est habitué et j’y vois même quelque chose de carnavalesque plutôt que de glaçant…

Le masque permet de créer un personnage et d’en faire ce que je veux. Par exemple, chanter les déboires d’adolescent de Vive la Vie, ça pourrait être un peu étrange aujourd’hui, mais le masque me permet de continuer à incarner le personnage. Je peux aussi faire évoluer le personnage de Fuzati beaucoup plus facilement.

Est-ce que vous pratiquez encore l’impro sur scène ? Il y a des moments vraiment marrants lorsque vous jammez avec Teki Latex par exemple sur des émissions de radios, etc. Vous êtes plutôt un bon copain dans la vraie vie ?

Oui, je fais presque toujours des impros sur scène. Du coup mes musiciens improvisent aussi. C’est parfois plus ou moins réussi (je parle pour mes impros) mais c’est ça qui est intéressant : ne jamais savoir ce vers quoi on va. A part avec Detect et Orgasmic, je n’ai été pote avec aucun des artistes avec qui j’ai bossé. Les gens fantasment toujours un peu sur le fait que les musiciens sont tous potes entre eux. Moi je vois ça vraiment comme des collègues. Ça n’empêche pas qu’on puisse parfois se marrer mais bon ça s’arrête là. Les quelques potes que j’ai ne sont pas du tout dans la musique.

Par exemple, est-ce que vous pouvez me citer un livre, un film ou un disque que vous avez écouté qui vous ont plus récemment ?

Legs McNeil « The Other Hollywood » (NDLR : ouvrage socio-culturel de haut vol sur l’histoire du film porno), « Alforville » de Ben Kerber (NDLR : du Klub des Loosers), Lloyd Mcneill quartet « Asha » (NDLR : disque de 1969, chez Universal/Soul Jazz).

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