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C’est peu dire que la série Pistol, en six épisodes, réalisée par Danny Boyle d’après Lonely Boy, Ma Vie de Sex Pistols, l’autobiographie du guitariste Steve Jones, était très attendue. Commandée par la chaîne HULU et diffusée sur Disney+, la série promettait d’être accueillie au lance-flammes par un Johnny « Rotten » Lydon, mystérieusement tenu de côté, et qui avait contesté en justice le droit des Pistols et de la réalisation d’utiliser les compositions originales (procès perdu pour le chanteur). Côté critique, malgré le respect gagné par Boyle dans la mise en scène d’odyssées prolétaires destroy, le scepticisme était évidemment de mise, d’autant que les six épisodes coïncidaient, dans un joli écho historique et commercial, avec le Jubilee de la Reine. Qui avait-il à attendre de cette affaire si ce n’est une révision hollywoodienne d’une histoire strictement anglaise ? Que pouvait apporter ce récit en longueur aux multiples documentaires déjà édités sur le sujet et au malaimé (et révisionniste) The Great Rock n’Roll Swindle de Julien Temple ?
La réponse est : à peu près rien, ce qui n’est pas… grand-chose mais n’exclut pas le plaisir. Danny Boyle propose un drama qu’on a l’impression d’avoir vu dix fois autour de la formation d’un jeune groupe, à partir de rien et de rencontres fortuites. Les premiers épisodes ressemblent à une paraphrase d’autres films et du réel (on a lu les biographies de tout le monde, tout y est dit de manière bien plus intéressante) : jeunes rebelles, attitude, confrontations, amourette. La texture de la série est accueillante, presque mainstream et concentrée autour de la fausse romance entre une Chrissie Hynde pre-Pretenders quasi virginale (mais femme moderne) et un Steve Jones au cœur tendre (mais brisé). Ce parti pris (faire de Jones et Hynde des amis et amants romantiques au long cours) est une bêtise historique qui repose sur la séduction assez extraordinaire de l’actrice Sydney Chandler et sur une scénarisation typique de l’héroïsation/dramatisation du script par la production. Dans la vraie vie, Hynde ne reste pas très longtemps avec McLaren et sa bande (elle a d’ailleurs un passé et un avenir qui se joue loin de tout ça) et n’entretiendra avec Steve Jones qu’une amitié sexuelle assez brève. En faire le pivot sentimental de la série est une curiosité qui n’a aucun sens mais fonctionne plutôt bien et apporte à l’ensemble une vigueur (y compris sexuelle) qui permet au récit de décoller. On pourra citer aussi l’épisode du vrai faux mariage de Hynde et Jones qui n’est tout simplement jamais arrivé comme ça. Hynde cherche à épouser un britannique pour se dégager des contraintes de l’immigration. C’est Lydon qui fait la proposition originelle avant de se défiler mais c’est Sid qui s’approche le plus près de la chose (qui échouera sur de sombres histoires de fermeture du bureau d’enregistrement), sans que Jones soit jamais impliqué là-dedans. Dans la série, le mariage est vécu comme une trahison de Jones (qui préfère s’envoyer en l’air avec Pauline, la malade mentale de Bodies) alors qu’il n’en est rien. La vraie histoire est presque « sans amour » or on ne fait pas une série sans romance. CQFD.
L’épisode 2 présente l’arrivée du chanteur Johnny Rotten dans le groupe déjà constitué comprenant Paul Cook, Steve Jones et Glen Matlock. Les trois sont présentés comme un trio (les Swankers) solides et unis par des liens forts. La vérité est quelque peu différente puisque Matlock est un élément extérieur qui ne fait pas partie du noyau originel constitué seulement de Jones et Cook. Cette distorsion rend un peu plus cruelle l’éviction (qui suit) de Matlock au profit d’un Sid Vicious présenté comme le copain de Lydon. Par delà la vérité dont on se moque, la scénarisation se fait ici souvent au détriment des rapports authentiques entre les personnages. Lydon apparaît comme un véritable mirage sans que Boyle et les scénaristes s’attardent sur son parcours et sa motivation. C’est le gros défaut d’une série qui, même en 6 épisodes et donc en 5H30, ne parvient pas à donner une véritable consistance aux personnages et ne s’intéresse qu’à une forme d’illustration haute en couleurs des principaux faits d’armes des Pistols.
La série fonctionne ainsi moins comme un approfondissement historique que comme une sorte de résumé descriptif et alternatif des instants de gloire et des moments significatifs de l’histoire du groupe (Bill Grundy, le concert du Jubilee). Le tout est romancé à l’extrême et amplifié pour donner du piquant à la reconstitution des faits. Chaque épisode est consacré à un événement particulier, à l’image du n°3 qui s’attarde sur l’écriture supposée de la chanson Bodies et l’irruption à la périphérie du groupe d’une jeune malade mentale, Pauline, portant ses bébés dans un sac cabas. Pas certain que le choix soit bon mais le parti pris narratif amène suffisamment de drama et de bizarrerie pour qu’on s’en contente. Un épisode s’attarde sur la relation destructrice entre Sid Vicious et Nancy Spungen mais vire à la comédie quand il s’agit d’enlever la jeune femme pour la réexpédier (très temporairement) aux Etats-Unis. La séquence avec Nancy, Chrissie, Malcolm et Jones est assez chouette mais ne s’est tout simplement jamais produite.
Difficile toutefois de reprocher au programme d’avoir tout réécrit pour faire le show. La transformation nous plante toutefois devant ce qui se déroule comme si c’était un simple scénario et non une vraie histoire. Les personnages sont détournés ou augmentés au lieu d’être creusés et révélés. Les rebondissements sont faux qu’ils marchent ou pas, et ne dévoilent qu’une sorte de squelette théâtralisé qui ne s’approche jamais d’une tentative de parler du réel et de lui rendre hommage.
Le spectacle n’en reste pas moins très regardable et divertissant. Pistol donne une très vague idée de ce qu’a été la vie du groupe, son impact sur la société et sa force de subversion. Malcolm McLaren est rendu de manière paradoxalement plus authentique jusque dans ses intentions manipulatrices, et la puissance provocatrice et visuelle de Johnny Rotten est bien portée par l’acteur Anson Boon. L’épisode 6 (et final) est peut-être de ce point le plus ambitieux et le plus intéressant du lot, avec son évocation un peu crade et morbide de la fin du groupe, en tournée et puis autour de la mort de Sid. La scène où Jones plane au pied de l’escalier où Sid s’est fracassé et où il est rejoint par un Lydon qui lui donne les clés de l’histoire est à la fois psychédélique et remarquable dans sa tentative de tirer les leçons de l’aventure. C’est pratiquement la seule fois où Boyle et les scénaristes dépassent le contrat de narration basique qu’ils se sont donnés pour inventer quelque chose et projeter la série dans un ailleurs qui aurait été probablement plus intéressant à explorer que cette rendition muséale du punk.
Au final, Pistol est une création cartoony et romancée qui est sympathique mais complètement anecdotique d’un point de vue historique puisqu’elle se contente de (mal) illustrer le réel et de redéfinir des rapports dramatiquement satisfaisants et caricaturaux entre les personnages. Elle est à l’image de ce que font la plupart des séries quand il s’agit de se confronter à des phénomènes culturels, psychologiques et sociaux complexes : elles les diluent, les étirent, les reconstituent assez bêtement en évitant soigneusement de leur donner sens. En un mot : c’est de la poudre aux yeux… qui permet heureusement d’écouter l’une des musiques les plus importantes du XXième siècle. Rien que pour ça, on ne tirera pas sur l’ambulance.