En cette année 2021 célébrant les trente ans de la disparition de Serge Gainsbourg, pourquoi ne pas revenir en playlist sur les rapports aussi passionnés que conflictuels qu’entretenait l’artiste avec le Septième Art ? Petite précision : ne seront pas abordés les films utilisant la musique de Gainsbourg (sauf si composée spécialement pour un metteur en scène).
Acteur
En tant que comédien, la carrière de Gainsbourg avoisine le zéro pointé : du péplum bas de gamme (du genre Hercule se déchaîne), des rôles et apparitions dans une palanquée de franchouillardises aujourd’hui oubliées, quelques rencontres pas vraiment marquantes avec Jacques Poitrenaud ou George Lautner (sinon pour le titre “Requiem pour un con” dans Le Pacha), et… et puis rien ! On aurait pourtant bien vu Gainsbourg chez Godard et Mocky, mais entre le comédien et la Nouvelle Vague c’est peu dire que la rencontre fut inexistante. Gainsbourg lui-même avouait n’avoir fait l’acteur que pour le flouze et les voyages. Alors, que retenir ? Slogan de Pierre Grimblat (si on est gentil), Je vous aime de Claude Berri (dans lequel Gainsbourg, en couple avec Deneuve, incarne une sorte de Truffaut musicien), et surtout le téléfilm musical Anna où se croisent Anna Karina, Marianne Faithfull et Jean-Claude Brialy (quand bien même la BO reste plus légendaire que l’œuvrette – Sous le soleil exactement, ce n’est pas rien).
Pubs
Toujours pour la thune, mais également soucieux de maîtriser l’outil cinématographique, Gainsbourg, au début des années 80, enquille les publicités. En tant que metteur en scène, certaines restent très jolies à regarder mais cruellement datées (le look Hamilton de la pub Gini, avec l’inénarrable Pierre Cosso) ; en tant que participant, la plupart restent marrantes (telle celle pour le correcteur Pentex – « Quand je me plante sur mon texte / Marilou me corrige / Elle pointe son Pentex »).
Clips
L’amour de la mise en scène est assez visible dans les quelques clips tournés par Gainsbourg : amples mouvements de caméra, souci d’un montage fluide, égéries sublimées (toute jeune Helena Noguerra dans le Tes Yeux noirs pour Indochine – on imagine Serge : « Allez, danse, cocotte ! »)… Ce qui n’exclut pas certaines fautes de goût (Morgane de toi pour Renaud). C’est néanmoins en filmant Charlotte (Lemon Incest) que Gainsbourg réalise son plus beau clip. Logique ? Affirmatif !
Je T’aime moi non plus (1976)
Premier et meilleur long de Gainsbourg. Birkin androgyne (Johnny), Dallesandro en conducteur de benne à ordures (Krassky), un no man’s land qui ne doit pas grand-chose au cinéma français mais à la passion qu’entretenait l’artiste pour les grands horizons américains. Le tout saupoudré d’un aspect underground forcément sulfureux mais osé : triangle amoureux homo / hétéro / bi. Dans nos souvenirs, une anomalie bienvenue. Fierté de Serge face à l’engouement de François Truffaut et sa phrase célèbre : « Ce film finira dans les cinémathèques ».
Équateur (1983)
Gainsbourg adapte un polar de Simenon et embarque Francis Huster et Barbara Sukowa au Gabon. « Qu’est-ce qu’on se fait suer » écrivait Libération lors de la sortie du film. Hué à Cannes, échec critique et commercial, Équateur traîne il est vrai la patte et se perd trop souvent en digressions littéraires un brin sentencieuses. Néanmoins, un plan, un vrai plan de cinéma, prouve que Gainsbourg domine l’espace : la lente arrivée des pagayeurs.
Charlotte For Ever (1986)
La mise en scène gainsbourgienne s’intensifie. À la relecture, la gestion du lieu clos (l’espace, toujours), le travail sur la photographie (excellent Willy Kurant), les imperceptibles mouvements de caméra, voilà qui donne un véritable film de cinéaste. S’ajoute également le fait que Gainsbourg se contrefiche de toute idée de narration classique : sans crescendo, à base de séquences abruptes, le film, outre le talent déjà évident de Charlotte, plaît pour sa liberté de ton. Deux problèmes, cependant : en jouant le rôle du père de Charlotte, Serge sous-tend malgré lui un autoportrait masochiste (plagiaire, accro aux « lolycéennes », corps en ruine) – ce qui donne parfois à Charlotte un aspect voyeuriste – ; puis l’impossibilité du cinéaste à érotiser l’objet de ses attentions (le postérieur féminin, filmé avec vulgarité). Reste certaines provocations qui vaudraient aujourd’hui à Gainsbourg une interdiction totale : inceste suggéré, attirance pour les mineures (sur un mode heureusement platonique, délire gainsbarre sous syndrome Hyde).
Stan the Flasher (1990)
L’ultime film de Gainsbourg est aussi son plus désespéré : Stan (Claude Berri, poignant en clone de Serge), ancien professeur d’anglais en pleine dérive, ne bande plus pour sa femme Aurore (Clément) – terrible séquence du « lit à part » – mais flashe sur la fraîcheur juvénile de Natacha (découverte d’Élodie Bouchez). Final nihiliste : Stan se met le révolver dans la bouche et tire. Comme Charlotte For Ever, Stan the Flasher est un film d’intérieur (sauf une scène au Parc Montsouris) que Gainsbourg cherche à dynamiser par la rigueur de sa mise en scène. Plus serré quoi que plus dramaturgique (et comique) que le précédent, l’ouvrage en possède à nouveau le même défaut principal : une tendance à l’autocitation qui, cette fois-ci, ressemble (parfois) à une marque d’Auteur à tout prix, comme si Gainsbourg, après le rejet de Charlotte, voulait justifier sa légitimité de cinéaste – alors qu’il ne fait aucun doute que Stan appartient à Gainsbourg et à personne d’autre. « To be or not to be ? Question-réponse ! »
BOF
Beaucoup de musiques de film, la plupart légendaires (Manon 70, Cannabis, Le Pacha…). Nombreuses à retenir mais la chanson-titre de Slogan, interprétée avec Jane, évoque en nous les beaux souvenirs d’une enfance gainsbourgienne. No comment !
Crédit photo : Gainsbourg dans Stan The Flasher (capture d’écran)