Pourquoi est-ce qu’Erik Arnaud ne fait plus de disques ? Pourquoi est-ce qu’il ne donne pas de concerts gratuits sur Facebook comme n’importe quel loser/superstar/amateur à la noix ? Pourquoi est-ce qu’il ne fait pas de reprises de ses groupes préférés toutes les trois semaines pour les partager sur Instagram ? Pourquoi est-ce qu’il se tait la plupart du temps ? Pourquoi est-ce qu’il n’est pas là ? C’est la seule question qui vient à l’esprit lorsqu’on pioche ce disque. Il n’est pas très difficile d’en parler, sans le réécouter (la règle du jeu) tant on l’a parcouru et parcouru. Comment je vis, si ce n’était une appellation un peu vieillotte et dégueulasse, est un « disque générationnel » pour ceux qui partagent l’année de naissance de l’auteur et ceux qui avaient la vingtaine finissante à l’heure de sa sortie. En guise de génération, le disque, emblème manqué des années PIAS, est celle d’une cohorte paumée et qui avait rêvé de faire de sa vie une œuvre d’art la décennie d’avant. C’est le disque de la déception et de l’amertume, le disque parfait du passage à l’âge adulte et du « devenir merde ». Qu’il soit devenu au fil des ans l’un de nos disques préférés résonne comme une malédiction et un formidable aveu d’échec. On aurait tellement préféré aimer un truc plus joyeux que ça.
On s’est tous crus plus beaux et plus intelligents que ceux qui avaient précédés. On s’est tous crus plus cool et mieux habillés. On s’est tous crus plus amoureux et nés pour la passion. Et puis on a pris la vérité en pleine poire. Erik Arnaud a dit et chanté bien mieux que Miossec (bien avant, bien plus vieux) ce qui nous arrivait au moment où ça nous arrivait. On y croyait un peu moins à 15 ans mais tout à fait 10 ans plus tard. Ce sale monde qu’on avait devant et cette absence TOTALE de perspectives. Ce n’était plus un jeu mais pour de vrai. Ding Dong. Comment je vis est plus moche que le plus moche des albums de Sparklehorse. Il est plus cruel que n’importe quel livre de Houellebecq mais aussi plus humain et plus tendre que chaque ligne de cet écrivain là. C’est un album affreux de réalisme.
Paradoxalement, le désespoir qui en émane ne nous est jamais apparu comme quelque chose de définitif. Il y a assez peu d’espace entre les désastres mais suffisamment pour qu’on soit rassuré de pouvoir y glisser notre vie. C’est un disque affligeant mais qui donne du courage. « Une vie pourrie ça se prépare. On ne laisse rien au hasard. Une vie gâchée, ça se répare. Un peu de méthode et on repart. » Le disque est presque entièrement composé de punchlines qui feraient passer Cioran pour Patrick Sébastien. Qu’est-ce qui pouvait arriver de pire après ça ? Pourquoi est-ce qu’Erik Arnaud ne fait plus de disques ? Il n’est même pas mort et il lui arrive de chanter sur scène. Est-ce qu’il ne devait pas crever avant 40 ans ?
Peut-être est-ce qu’il a trouvé le chemin pour échapper à tout ça. Ou peut-être est-ce qu’il n’ose plus. Il y a des amis de cette époque qu’on a perdus de vue. On y repense souvent. On croyait qu’ils seraient là tout le temps. On ne peut pas les retrouver sur les réseaux sociaux. Ils sont comme invisibles. Erik Arnaud fait partie de ces amis là. Ce sont eux dont on se souvient le plus. Ceux qui nous manquent et nous obsèdent. Pourquoi est-ce qu’Erik Arnaud ne fait plus de disques ? Il y a tellement de bruit et pas lui. « Trop bouffé de chansons de mauvaise variété. Trop maté de conneries la télé. »
C’est celui qui le dit qui y est. Il faudra bien que ça arrive. Cosmonaute, joueur de foot. Plus rien à foutre. Trois personnes vont mourir. Plus rien à dire. A ces connards. A ces connards qui voudraient que j’explique.