Sleaford Mods : le poids des beats, le choc des propos

Sleaford-ModsOn avait prédit que le spoken word avait encore de belles choses à nous offrir. C’était avant d’avoir entre les mains le nouvel album des Sleaford Mods, Divide And Exit, débarqué en mai 2014 et qui aura constitué pour nous l’une des révélations de l’année passée. Formé véritablement en 2012, le duo de Nottingham propose une synthèse ahurissante de tout ce qu’on aime dans les musiques anglaises, quelque part entre The Fall, The Specials, John Cooper Clarke et les Happy Mondays. A découvrir de toute urgence… en 2015, si vous êtes passé à côté du phénomène et crevez d’envie d’adopter la chav attitude.

On mentirait si on disait qu’on avait repéré les Sleaford Mods et notamment leur chanteur Jason Williamson avant l’année dernière. Williamson a 44 ans et n’est pas un perdreau de l’année. Pour nous, ce mec est né avec la découverte d’un clip fin 2012 et un peu plus tard de leur album Austerity Dogs. Sleaford Mods s’est pourtant formé il y a sept ans, écumant les salles de concert de la région de Nottingham tels des Robins des Bois en furie et sortant régulièrement des albums, des singles et des compilations dans des conditions artisanales. Le groupe a bénéficié d’un bouche à oreille positif depuis que Williamson s’est adjoint les services d’Andrew Fearn à la musique et a étoffé son son à l’aide d’instruments véritables. Sleaford Mods, c’était jusqu’ici principalement un type qui vociférait sur une boîte à rythme en racontant des « contes » de la classe ouvrière, des récits plutôt réalistes évoquant la vie des moins favorisés, la drogue, le sexe et les joies de la recherche d’emploi. Avec ces thématiques, et ces gueules burinées au contact de la face cachée du rêve britannique, les Sleaford Mods avaient vocation à prendre du volume et le relais de la vague « real pop » qui avait sévi dans le sillon de la brit pop vingt ans avant. Avec le retrait de Mike Skinner de The Streets, le tassement du dubstep et le revival des conteurs sociaux que sont Mark E.Smith, notre héros de The Fall, ou John Cooper Clarke (revenu sur un single des Inspiral Carpets), l’Angleterre était fin prête pour ces héros d’un genre particulier.

Williamson et Fearn sont quadras et présentent une synthèse à la fois aboutie et brute de tout ce qui fait la singularité des musiques anglaises : du dub, du hip hop, du rock façon Madchester, des rythmes punk rock répétitifs et lourds en basse, des punch lines ultra efficaces et pas mal d’humour. Surtout ce qui fait peut-être la différence ici, par-delà la qualité des textes, c’est cet accent et argot des Midlands qui sublime l’ensemble. Le phrasé de Williamson évoque autant Smith que Shaun Ryder, des racines fermement plantées dans la classe ouvrière, des récits hauts en couleur, sincères, directs, et où les f*** foisonnent et où le gars qui trouvera un emploi n’est pas encore né. Vu d’ici, c’est donc à la fois d’une authenticité incontestable et d’un exotisme somptueux. Sleaford Mods a la classe internationale, une force immédiate qui s’exprime à travers des lives décharnés et simplissimes où le groupe se propose dans le plus simple appareil. Jobseeker ou Strike Force expriment à la perfection la détresse environnante entre anticapitalisme et résignation à la glande. Sleaford Mods, c’est 50% de talent et 50% d’attitude, soit un cocktail détonnant qui a reçu des certificats de grandeur de quelques pointures du milieu comme Luke Haines ou les deux frères Gallagher, du moins avant que Noel et Williamson ne s’insultent copieusement dans la presse spécialisée. Et là encore, cela vaut son pesant de hannetons et permet de définir en creux qui sont véritablement les Mods.

Au menu relayé par le NME, Williamson dégaine le premier : « Oasis a du sang sur les mains. Après le succès, ils ont choisi de se la jouer rétro au lieu d’aller de l’avant ». Réponse du berger à la bergère : « Leur musique, ce n’est pas l’extase quand même. Ce sont juste deux types dont l’un est clairement un malade mental qui chante comme une canette de bière sur du putain de cidre et de la merde de poulet. C’est ça, ça aurait été drôle de faire ça à Knebworth : « salut mesdames et messieurs, et pendant qu’on est tous ici en train de s’abrutir à l’acide et à l’ecstasy, on applaudit bien fort les mineurs. Hourrah ! Putain !  Oasis avait la rage mais on enrageait de joie et il y avait du soleil qui sortait de nos chansons. Si tu n’es pas capable de voir cette rage et cet appel à t’améliorer dans le rock, pour moi, tu es un homme mort. »

Sleaford Mods est un groupe de l’après brit-pop, de l’après-dubstep, un groupe de l’après-tout mais qui n’a jamais eu d’avant ou n’est pas certain d’avoir un présent et un futur. Williamson a récemment raté un concert parce qu’il avait, s’est-il justifié, « cédé à nouveau à ses anciens démons ». Il ne s’est juste pas pointé et s’en est excusé sur twitter. Pas d’excuse bidon à la Doherty (j’ai mis mon slip à l’envers, j’ai pas mon passeport) ou de mot du médecin. Avec cette attitude irresponsable, pas sûr que les deux gaillards aient les reins assez solides pour accéder à la première division du rock n’roll business. On peut s’y droguer au petit déjeuner mais il vaut mieux arriver à l’heure et ne pas rater les rendez-vous avec les huiles. Sleaford Mods reste prolo improbable et indomptable jusqu’à la moelle, un groupe sur lequel on ne peut probablement pas compter et c’est ce qui fait le charme instantané de sa musique et contribue à les faire entrer dans les livres d’histoire. Il n’est d’ailleurs pas certain que leur formule à deux soit inépuisable.

L’album n’est pas exempt de redites ou d’approximations mais met tout le monde d’accord sur son originalité et son impact. Difficile de ne pas voir dans « Tied Up In Nottz », l’un des singles les plus formidables de 2014. C’est ce qu’on retiendra. Vitesse et précipitation.

Ecouter Divide and Exit
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