Ceux qui, comme nous, n’ont jamais beaucoup aimé Blur ne trouveront probablement pas d’immenses qualités à cet album du retour. Ce neuvième disque arrive huit ans après le précédent, The Magic Whip, plutôt mal accueilli par la critique, et à la suite d’une reformation scénique qui, à l’instar de celle de Pulp, aura mis tout le monde d’accord pour faire de Damon Albarn et sa bande un groupe hautement patrimonial et « transgénérationnel », qualité dont il faut toujours se méfier. The Ballad of Darren donne vaguement cette impression de ne pas servir à grand chose : il ne présentera pas vraiment Blur à ceux qui en sont fans sous un jour nouveau, pas plus qu’il ne marquera une quelconque évolution stylistique chez le quatuor londonien (d’aucuns diront que Blur n’a jamais eu de style). Il n’en reste pas moins que l’écoute n’est pas déplaisante et que les chansons sont plutôt bien écrites, à condition qu’on aime le style pop lounge dans lequel semble verser les groupes contemporaines depuis que les Arctic Monkeys ont viré de bord.
On pourra ainsi saturer assez vite à l’écoute de chansons surécrites et pleines de sucre comme Barbaric (qui aurait pu faire une jolie miniature mais qui en fait VISIBLEMENT trop) ou Russian Strings. Les tours sont baroques, enrichis en instruments très joliment accordés et attentifs à suivre la voix introspective et semi-mélancolique d’un Damon Albarn qui dresse le bilan de ses cinquante cinq ans de vie. Si l’ouverture, The Ballad, est plutôt réussie à cet égard, on pourra trouver cela un brin rébarbatif et redondant au fil des titres et commencer à s’ennuyer ferme à partir d’un Everglades (For Leonard) aussi mou que gentiment barbant :
Why everything
In this world been lost ever since?
And we’re not giving in
We’re not gonna shy away
We’re growing tall with the pain
We’re searching the everglades
Pursuing god with changе
And furthermore I think it’s just too late
Comme souvent chez Blur, on se demande si cette mélancolie et ce vieillissement assumé ne sont pas feints et opportunistes. The Narcissist sonne plutôt bien mais rappelle certains morceaux des Flaming Lips, voire de Radiohead. Les titres les plus kitschs font penser à ce que faisait David Johansen avec Buster Poindexter il y a 20 ans. Si bien qu’on en finit toujours par se demander ce qui fait que Blur est Blur. Il y a assez peu de refrains magiques et enflammés sur ce nouveau disque mais il y a une très belle énergie et une dynamique assez emblématique du groupe sur le single St Charles Square (le seul titre à l’ancienne finalement), un côté très clair, british et aristocratique sur le (pompeux et) magnifique final The Heights.
On ne sait jamais à quoi s’en tenir avec Blur : les ficelles sont grosses mais elles tirent le paquebot et définissent un tiroir « brit pop » si mainstream et éprouvé, et familier et rassurant, et fréquentable et presque identitaire, qu’on ne peut pas reprocher au groupe d’écrire une chanson telle qu’Avalon qui ressemble à une version moderne des fantaisies de Ray Davies et des Kinks d’il y a trente ou quarante ans. On peut leur reprocher en revanche de l’exécuter de cette manière si ralentie et self-consciente qu’elle sonne comme une interprétation méta de l’idée qu’on se fait de la pop anglaise. Est-ce qu’on a besoin d’un Blur qui sonne comme une version bizarre de Divine Comedy ? Est-ce qu’on a vraiment besoin d’un truc aussi sur-signifiant que Far Away Island, chanson qui cabotine au delà de ce qu’Albarn a jamais osé proposer avec Gorillaz ?
Peut-être pas. Peut-être bien. On ne peut pas nier qu’écouter ce disque procure un certain plaisir (celui de voir que ce qu’on a pu aimer existe toujours, n’est pas fini, et renvoie toujours à certains standards qualité, qu’il y a de la matière, de la substance, de la durabilité dans tout ça) mais il faut admettre que ce plaisir ne repose que sur de très mauvaises raisons comme si on choisissait de son plein gré de se lover dans un cercueil plein de formol ou d’éther, de se faire momifier le cœur et de le glisser dans une amphore de sépulture, plutôt que de regarder le monde d’aujourd’hui ou celui de demain. Il y a quand même des tas d’autres trucs à faire que d’écouter Blur. Comme quoi au juste ?
02. St Charles Square
03. Barbaric
04. Russian Strings
05. the Everglades (for Leonard)
06. The Narcissist
07. Goodbye Albert
08. Far Away Island
09. Avalon
10. The Heights
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