Troisième volet de la saga universelle qui réunit Beyoncé et son mari Jay Z, Everything Is Love a principalement fait parler de lui parce que les deux tourtereaux retrouvés ont choisi de tourner le clip du single extrait de l’album, Apeshit, au cœur du Musée du Louvre. Le coup de pub a été si monumental de ce côté-ci de l’Atlantique (mais pour qui ?) que l’album est passé en retrait, comme si le pouvoir de la presse people avait définitivement enterré l’activité source de nos deux vedettes.
Sorti par surprise, Everything Is Love est pourtant un disque intéressant pour comprendre l’air du temps à défaut d’être un bon album. Comme Lemonade (le meilleur et le plus intime de leur discographie) et 4:44, l’album tourne autour des histoires de couple du duo. Minée par l’infidélité de Jay Z, Beyoncé avait accouché de son travail le plus personnel et le plus sincère. Lemonade atteignait son but en donnant une description ultra moderne de l’état émotionnel, abattu et combatif, dans lequel se trouve une femme trompée. Cette fois-ci, le couple s’est ressoudé et met en scène non seulement son retour en grâce mais son triomphe économique et, disons-le, racial. Cela démarre par une scène de sexe très réussie sur Summer où les deux stars font l’amour au soleil. La scène est cliché mais le morceau est énorme. Les deux rappeurs évoluent à leur meilleur niveau et mêlent leurs flows comme leurs corps se mélangent. La chanson est splendide et produite à la perfection. C’est dans ce schéma ultra-simplifié que Beyoncé tutoie une certaine perfection soul. Sa voix est monstrueuse, suave et puissante. Jay Z qui rappe souvent de manière désordonnée est ici parfait de lisibilité. Le rythme s’accélère avec le tubesque Apeshit, plus intéressant pour son clip que pour sa dynamique. Le couple y introduit, à côté de… l’amour, le second thème qui occupera l’espace du disque : la réussite insolente qui leur est offerte par la fortune. Car c’est à peu près tout ce que Everything Is Love a à dire : « nous nous aimons et nous sommes riches à millions ». Pas vous ?, serait-on tenté d’ajouter. C’est probablement un peu court pour révolutionner l’histoire de la chanson mais il faut bien s’en contenter si on veut rester dans le coup. Apeshit ne vaut pas grand-chose. Sa rythmique trap est tout sauf originale et le morceau finit par se traîner pour aller s’affaler sous la marque des quatre minutes.
Les titres qui suivent ne relèvent pas le niveau. Boss est une énième chanson sur la concurrence dans le rap, soit le concours de bites (et de beats) le plus ridicule que l’histoire ait jamais inventé. « Nos petits petits petits enfants sont déjà riches », chante Béyoncé, comme à la parade, Jay Z se contentant de lancer quelques piques bien senties contre les Drake et autres Kanye qui participent à ce petit jeu. Renforcé par des cuivres habiles, le morceau n’est pas complètement dénué d’intérêt mais sonne un peu creux. Nice est une plaie, mou et pénible à suivre comme rarement, défiguré par les effets que le duo utilise pour « réparer » ou lisser les voix. L’autotune est malheureusement ce qu’on entend le mieux sur 713 le titre qui suit et c’est dommage tant le beat servi par Dr Dre était prometteur. Everything Is Love est en effet plus un album de beats et de rythmiques que de mélodies. Ce qui aurait pu s’entendre comme un retour à un rap moins affecté s’avère au final assez décevant. Beyoncé est celle qui se tire le mieux de ce contexte difficile et un peu plus minimaliste. Sa voix est variée et son registre plus étendu que celui de son mari qui se contente le plus souvent d’être à la relance, voire de jouer les utilités.
Il faut quand même être idiot pour gâcher une telle furie et l’ensevelir sous les retraitements vocaux. Friends est une horreur où l’intensité et l’intimité sont noyées sous les effets spéciaux. Il faudra qu’un jour on passe en cour martiale les mecs qui s’échinent à faire du rap international une sorte de produit manufacturé aussi moche et déshumanisé. Alors qu’il s’agit d’un album « surprise », enregistré avec des moyens resserrés et en catamini, rien ne nous est épargné, si bien qu’on se demande quel genre d’artistes peut accepter de produire des trucs de cette manière. Il est assez paradoxal que des amateurs de son tels que Jay Z, Dre ou les autres types qui interviennent ici s’accordent pour produire un tel brouet. L’Internationale du son de merde est à la manoeuvre, à croire que cette manière d’entendre est devenue l’étalon du bon goût artistique. Heard About Us n’est pas si mal. Beyoncé vocalise de manière assez inhabituelle, nous ramenant au souvenir ému d’une Dolores O’Riordan black.
L’album se termine plutôt mieux qu’il n’a commencé avec l’excellent et old school Black Effect, une ode à la négritude mêlant rap classique et des samples antiques. Le titre est le plus classe et abouti depuis le Summer du début. Il donne un aperçu de ce qu’aurait pu être un excellent disque de ces deux-là. LoveHappy, produit par Dave Sitek, dans une veine similaire ferme le ban en nous donnant, lui aussi, quelques regrets. Il y avait de la place et des voix surtout pour faire beaucoup mieux que ça. La feinte modernité qui affecte la plupart des titres ne laisse qu’entrevoir ce à quoi aurait pu ressembler un disque qui se serait volontairement niché dans une veine rétro et sentimentale. Au lieu de ça, Jay Z et Beyoncé préfèrent faire le malin en prétendant faire du rap alors que la soul leur tend les bras.
Everything Is Love n’est ni une faillite totale, ni un disque réussi. C’est un disque de l’entre-deux, décevant et globalement complaisant, où le fond et la forme se conjuguent pour pousser quelques idées tarte à la crème (et conservatrices) vers le plus grand nombre dans un emballage soigné et aseptisé. On retiendra que faire l’amour sur Summer est peut-être le truc le plus cool à faire cet été. Avec sa femme ou son mec de préférence ou ce qui se présentera.
02 Apeshit
03. Boss
04. Nice
05. 713
06. Friends
07. Heard About Us
08. Black Effect
09. LoveHappy