Snoop Dogg / I Wanna Thank Me
[Doggy Style / Empire]

4.9 Note de l'auteur
4.9

Snoop Dogg - I Wanna Thank Me« En dernier lieu, je voudrais me remercier moi. Je veux me remercier pour avoir toujours cru en moi. Je veux me remercier pour avoir travaillé autant. Je veux me remercier de ne pas avoir pris de congés. Je veux me remercier de n’avoir pas jeté l’éponge, me remercier d’avoir toujours essayé de donner, de donner plus que je n’ai reçu ». A écouter Marknoxx lancer le dernier morceau de cet album, I Wanna Thank Me, on aurait pu croire à l’ego-trip compassé et patrimonial. Mais ce n’est pas ça du tout. Snoop Dogg reprend le manche, à peine terminée sa propre élégie, et donne une véritable leçon de savoir-faire hip-hop. Cela fait assez longtemps que le natif de Long Beach évolue entre les genres, en livrant une musique qui bouffe à tous les râteliers de l’époque, taquine la soul, les musiques exotiques, le reggae comme s’il parlait toutes les langues. Son personnage est désormais installé (l’homme n’a pourtant que 47 ans), immuable et fait partie de sa séduction. C’est ce Snoop Dogg là, généreux, souverain et avec le cœur sur la main qu’on retrouve sur cet album ouvert à toutes les collaborations, comme si le géant était resté le génial camarade de Moondog qui baisait en toute simplicité la femme de son copain, le clochard céleste, dans le lumineux Beach Bum de Harmony Korine. Snoop Dogg livre un album explosé, sans grande unité et qui pourrait passer pour un collage de chutes de studio et de collaborations tirées de ces quatre ou cinq derniers albums, s’il n’y avait ici suffisamment de belles choses pour qu’on se laisse faire.

Le bonhomme est-il si fainéant ou est-ce qu’on a affaire ici à un album purement commercial ? L’héritage que laissera Snoop Dogg est au cœur des narrations sur I Wanna Thank Me, comme si la mort récente du rappeur Nipsey Hussle, dernière victime de la guerre des gangs, l’avait forcé à enclencher un processus de paix en même temps qu’à percevoir la fragilité de son positionnement. Il en ressort un amour infini de paix, de la musique et du hip-hop placé bien au-delà de la glorification d’un seul homme. C’est dans l’histoire du hip-hop mondial que Snoop Dogg entend se situer ici, tout en gardant ses distances avec l’engagement et l’agitation du monde. Il sample Bob Marley sur So Minsinformed, excellent titre emmené par le jeune Slick Rick. Snoop Dogg laisse souvent la vedette à ses invités, se contentant d’éclairer les morceaux d’un ou deux couplets poussés, avec plus ou moins de conviction, de sa voix nasillarde et si caractéristique. Let Bygones Be Bygones est une petite merveille qui disserte sur le passage du temps et l’écroulement de l’Amérique. La chanson, sans avoir l’air d’y toucher, donne les clés de l’univers du Dogg, l’impression qu’il se sera trouvé une voie originale et lucrative dans une Amérique minée par la corruption, la crise financière et la guerre des gangs. Snoop Dogg est celui qui chante dans les décombres en gardant la tête haute et en tirant sur son joint. Chacune de ses interventions témoigne de son assurance et de sa maîtrise. Son flow est à la fois cool et tranchant, extrêmement lucide et intelligible, comme savent l’être les maîtres classiques. Dommage qu’il noie tout cela dans des productions  bigarrées et des featurings inégaux.

Tout n’est pas bon sur cet album. Il y a même beaucoup de titres foireux et qui tiennent plus du bœuf entre amis (Countdown) que de la chanson véritable. IC Your Bullshit est très mauvais et Turn Me On, chanté par Chris Brown, une horreur montée à l’autotune, qui se veut dansante mais traîne sa misère durant plus de trois minutes. Les multiples collaborations qui composent l’album affaiblissent la tenue de l’ensemble, comme s’il s’agissait plutôt de rendre compte du carnet d’adresses de l’intéressé, de son influence sur la jeunesse que de continuer à créer une œuvre consistante. Cela donne quelques épisodes guimauves assez réussis (Take Me Away) mais tout de même assez éloignés de sa meilleure forme et des tentatives piteuses de faire danser. Il faut beaucoup de distance pour apprécier un morceau comme Do It When I’m In It, un atroce pseudo-tube latino qui ne tient que sur le flow d’arrière-plan du Dogg. First Place parle le langage de la soul tandis que Doo Wop Thank Me, en compagnie des Hamiltones, renvoie à la musique des big bands et du doo wop des années 50. Do You Like I Do fait penser à ces morceaux débridés et afro-funk enregistrés par Prince dans les années 90. On peut trouver quelques qualités à l’easy listening soyeuse et rétro de Wintertime In June mais il vaut mieux aller chercher sur l’impeccable et aride Focused ou le rentre-dedans Main Phone de quoi se réjouir. Le dernier tiers de l’album ne ressemble en définitive pas à grand-chose et constitue un tunnel commercial où le fantôme de Snoop Dogg n’apparaît que par intermittence et dont on n’est pas fâchés de sortir.

I Wanna Thank Me est un album qu’on pourra écouter d’un oreille distraite, en recueillant les quelques morceaux qui valent la peine. On espère que Snoop Dogg aura d’autres occasions de bâtir un tombeau à la hauteur de sa légende et de son héritage. I Wanna Thank Me aurait pu être une bonne occasion de démarrer quelque chose mais restera une tentative plus qu’anecdotique de dresser la première pierre.

Tracklist
01. What U Talkin’ Bout
02. So Misinformed (feat Slick Rick)
03. Let Bygones Be Bygones
04. One Blood, One Cuzz (feat DJ BattleCat)
05. Countdown (feat Swizz Beatz)
06. IC Your Bullshit
07. Turn Me ON (feat Chris Brown)
08. Blue Face Hunnids (feat YG & Mustard)
09. New Booty
10. Take Me Away (feat Russ & Wiz Khalifa)
11. Do It When I’m In It (feat Jermaine Dupri, Ozuna & Slim Jxmmi)
12. First Place (feat Tdot Illdude)
13. Focused
14. Rise to The Top (feat Trey Songz & Swizz Beatz)
15. Wintertime in June (feat Nate Dogg)
16. Doo Wop Thank Me (feat The Hamiltones)
17. Main Phone (feat Rick Rock & Stressmatic)
18. Do You Like I Do (feat Lil Duval)
19. I’ve Been Looking For You (feat Eric Jaye)
20. Little Square UBitchU (feat Anitta)
21. Ventalation (feat RJmrLA, Stupid Young & Azjah)
22. I Wanna Thank Me (feat Marknoxx)
Écouter Snoop Dogg - I Wanna Thank Me

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