Kool Keith / KEITH
[Mello Music Group]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Kool Keith / KEITHL’ancien Ultramagnetic Kool Keith revient avec un nouvel album produit par le grand Psycho Les. Intitulé simplement KEITH, cet album présente le New-Yorkais dans son plus simple appareil, c’est-à-dire dans cette ambiguïté élémentaire qui marie à un humour ravageur une étrangeté qui inquiète et s’adresse à notre part sombre. Le succès de Kool Keith a toujours reposé sur cette tension surnaturelle qui fait se côtoyer des punchlines plutôt marrantes, pétries de références culturelles pop, et une vision macabre de l’Amérique habitée par le sexe, la jeunesse, la mort d’Elvis et d’autres obsessions.

KEITH est le meilleur album de Kool Keith depuis un bail, c’est le plus tenu et le plus concentré. Le MC a toujours eu ce travers de partir dans tous les sens, ce qui est soigneusement évité ici grâce à une production sérieuse, variée et globalement assez peu démonstrative. Psycho Les rend une copie efficace, plutôt minimaliste mais qui sert à la perfection le flow à froid et mid-tempo de Keith. On a connu ce dernier plus loquace et plus véloce, mais son propos se déploie avec une belle application et un sens du sérieux qui bénéficie au disque. Foot Locka pose son bonhomme avec ce texte trouble où le rappeur vient essayer des baskets chez Foot Locker et s’envoie en l’air avec les jeunes vendeuses. « They’re sexy up in Foot Locka. She asks : what size do i wear ? Magnum… I am a satisfied customer. What’s the pussy return policy ? See you next time, thanks again ». KEITH est un album délibérément sombre. 95 South constitue un reportage social sur une banlieue dangereuse de New-York. On retrouve sur Word Life, toute la haine du Dr Octagon pour le matérialisme qui anime le monde, tandis que Slave Owner, le morceau le plus politique du disque, revient encore et toujours sur les enjeux du racisme institutionnalisé.

Mais Kool Keith ne serait rien sans son esprit salace et sa capacité à se vanter. Le MC est obsédé par les jeunes femmes et le fait savoir sur Open and Wet (au titre assez transparent) et sur Plush Mink. Le mélange des genres est troublant, si bien qu’on en finit toujours par croire que les délires de Keith forment une satire extravagante de tout ce que l’Amérique vénère et consomme sans modération. C’est la sensation qui se dégage des deux morceaux un brin glauques que sont Graceland et Holy Water, deux chansons aux textes impressionnants et surréalistes. On ne sait jamais chez Kool Keith s’il travaille dans le registre de la dénonciation ou la fascination. Ses descriptions sont si précises qu’elles en acquièrent un pouvoir cinématographique et nous forcent à pénétrer son fantasme. Hollywood représente une source de mythologie omniprésente pour le rappeur dans laquelle il entrelace des forces politiques souterraines, des extraterrestres, des filles, des Cadillacs et de la drogue.  Les pièces sont toutes taillées autour des trois minutes, ce qui est un étalon parfait pour Keith. Chaque chanson installe un ton et un environnement avec une évidente maestria. Les descriptions sont épatantes et le rythme donné par Les à ses tracks ne laisse jamais le chanteur s’épuiser ou tomber en manque d’images. Plush Mink introduit une belle rupture sous la forme d’une bulle d’érotisme et de sensualité assez formidable. « Like a scorpion in your teddy », Keith surgit une nouvelle fois pour démontrer ses talents d’amant. « I need to take a bath right now », le relance sa jeune conquête, tandis que l’autre rivalise de formules pour nous convaincre de sa virilité. Ce morceau est une tuerie, excessive et formidablement lascive. Il est temps de communiquer « body to body ».

Ces ruptures de ton font partie de l’ADN de Kool Keith. L’album bénéficie de quelques collaborations bien senties comme celle de Jeru The Damaja qui réussit à transformer She Answer en tube en puissance. Keith se débrouille comme un chef tout seul, élevant par la seule force de son flow Word Life au rang de classique instantané. Le final Zero Fux avec en renfort, le leader de Cypress Hill, B-Real et son flow percutant et hâché, puis le portoricain Joell Ortiz (de Slaughterhouse) vaut aussi le déplacement. C’est la vieille alliance entre le rap de Los Angeles et celui de la côte Est qui se joue sous nos yeux et pour notre plus grand plaisir.

KEITH est un album qui se savoure avec la faveur de l’âge et de l’expérience. On n’y trouvera rien de révolutionnaire et de novateur mais plutôt le prolongement noble, engagé et enflammé d’une idée fixe : rendre compte de ce que l’Amérique peut inspirer pour le meilleur et pour le pire à un chanteur, désormais âgé de 55 ans, qui en a rêvé et expérimenté tous les excès, les vices mais aussi les accomplissements. KEITH est un album humain, sincère, réaliste, sexy et drôle par-dessus le marché. Que demander de plus ?

Tracklist
01. Intro
02. Foot Locka (feat Paul Wall)
03. 95 South (feat Psycho Les)
04. Graceland
05. Holy Water
06. Makem Crazy
07. Muscle Block
08. Open & Wet
09. Plush Mink
10. Slave Owner
11. She Answer (feat Jeru The Damaja)
12. Turn The Levels
13. Word Life
14. Zero Fux (feat B-real)
15. Zero Fux (feat B-real & Joelle Ortiz) (Nottz Rmx)
Liens

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