Cela faisait une petite éternité que Stephan Eicher n’avait pas fait de disque et une éternité plus grande encore qu’on n’avait pas pensé à l’écouter. Le Suisse fait partie d’un patrimoine qu’on respecte plus qu’on ne le fréquente, avec sa voix singulière et ses textes somptueux de Philippe Djian qu’on n’a pas si souvent l’occasion d’apprécier en pop française et qui sonnent, dans sa bouche, si précis et bien écrits.
Hüh est son premier disque depuis plus de cinq ans (une sombre histoire contractuelle qui semble désormais derrière lui). Ce n’est pas à proprement parler un nouvel album mais une compilation majoritairement constituée de morceaux anciens, rénovés avec l’aide d’une étrange compagnie fanfare tzigane, appelée Traktorkestar. Le groupe qui accompagne Eicher ici est un ensemble de douze musiciens, avec lequel le chanteur a tourné longuement, cuivré et arrivé en Suisse via l’exil et le voyage depuis l’ex-Yougoslavie. La connexion s’est faite, semble-t-il, via Goran Bregovic et a tellement enchanté le chanteur qu’il a décidé ici de revisiter une partie de son répertoire en leur compagnie. L’orientation musicale est donc délibérément slave, festive, voire dansante, le principe même du disque voulant qu’Eicher et ses comparses revisitent les standards du Suisse dans cette configuration si spéciale. Le résultat (qu’on aurait pu trouver effrayant, tant on déteste – on l’admet – les musiques tziganes) est surprenant et plus qu’intéressant. Il y a une énergie dans cette réunion, une ouverture d’esprit et une capacité chez Eicher à s’amuser sur ses propres chansons qui est communicative et redoutable. A vrai dire, on pense, chez lui, à une évolution à la Bowie, où le texte et son engagement musical importent moins que la manière dont on l’interprète. Eicher est l’homme de l’instant, l’homme de l’interprétation, l’homme du souffle et du mot qui passent. Il faut se faire assez souvent violence pour digérer les morceaux qu’on connaît et qu’on appréciait sous d’autres formes dans cette interprétation quasi folklorique. Pas d’ami (Comme toi) et Combien de temps en tête évidemment, les deux monuments sont impeccablement bousculés et transformés à coups de flonflons et de choeur par l’expérience. Les chansons survivent et on les voit bouger différemment sous nos yeux, s’ébrouer comme des créatures plongées dans la naphtaline et que le traitement réveille. Les Filles du Limmatquai (un vieux morceau de 35 ans) et Louanges en sortent ragaillardis et vivifiés.
Il faut évidemment un certain courage, beaucoup d’audace et pas mal d’aplomb pour offrir aux auditeurs des choses qu’ils n’auraient pas demandées sous cette forme. Mais la potion fonctionne : l’oreille déjoue l’accompagnement parfois balourd (Etrange) ou au contraire s’appuie dessus (le chouette enchaînement Chenilles/Papillons) pour apprécier les morceaux à leur juste valeur. Les textes de Djian, 7 titres sur 12, avec une incursion du génial écrivain Martin Suter sur le final Nocturne, sont magnifiques et gagnent presque tous à être réécoutés. On accuse évidemment un peu de fatigue sur la fin : trop de cuivres, trop de sons pour nous qui sommes plus tournés vers l’épure et qui respections infiniment la délicatesse économe des originaux; mais l’expérience est réussie et permet de restituer la folle vie et l’énergie qui ont présidé à la création de ces chansons. Nul doute que si on n’avait encore des jambes, elles se seraient mises à danser par moment.
Stephan Eicher est techniquement et artistiquement un artiste parfait, quelqu’un qu’on se reprochera toujours de n’avoir pas assez écouté. Hüh est une chance supplémentaire qu’on s’accorde pour s’en rendre compte. Il n’est pas certain qu’on s’en saisisse après 3 ou 4 écoutes mais ce sera pour notre pomme et bien fait pour nous.
02. Louanges
03. Envolées
04. Etrange
05. Cendrillon après minuit
06. La chanson bleue
07. Les filles du Limmatquai
08. Pas d’ami (comme toi)
09. Combien de temps
10. Chenilles
11. Papillons
12. Nocturne
Parce que un nouveau disque de Eicher c’est toujours un bonheur. Et bien là des covers, oui bein on est forcement déçu faudra attendre le prochain.
Si je n’ai, à priori, rien contre l’usage du « on » dans une critique d’album, qui permet de se distancier du sujet même si c’est souvent un « je » planqué, j’ai des problèmes avec lui ici, notamment quand je lis :
« qu’on aurait pu trouver effrayant, tant on déteste – on l’admet – les musiques tziganes ».
C’est très clairement le goût de l’auteur et aurait, donc, dû être formulé à la première personne du singulier afin de ne pas sembler y inclure le lecteur qui a le droit d’avoir une opinion contradictoire de celle du chroniqueur.
Attention à l’orthographe aussi :
« pour offrir aux auditeurs des choses qu’ils n’auraient pas demandées » (demandés s’accorde avec auditeurs, c’est donc le masculin pluriel qui s’accorde).
De petits détails, certes, mais c’est ainsi qu’un billet perd en crédibilité.
Bonjour Zorno, vous écrivez anonymement en vous en prenant à un auteur qui lui signe sans se cacher.
Comme ce n’est pas un blog personnel, il est rare que l’on écrive à la première personne du singulier. L’emploi de ce pronom ici n’inclut pas du tout le lecteur.
L’emploi de ce pronom sur le site n’inclut jamais les lecteurs.
Quand au participe passé, j’ai le regret de vous écrire qu’il faut que vous en révisiez les règles. L’accord ici se fait bien avec « les choses ».
Votre relevé d’apothicaire prend un peu un coup dans l’aile.
Il eût été tout de même plus intéressant d’échanger sur le fond.
Très cordialement,
David