Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté on commencera par ça. Comme la plupart des films d’aujourd’hui, Last Night In Soho, l’excellent film d’Edgar Wright sorti l’an dernier, s’accompagne de deux bandes originales : la première (juste ci-dessous) est ce qu’on appelle la bande originale du film et est constituée par la compilation des morceaux chantés et enregistrés pour la plupart dans les années 60 (il y a quelques exceptions comme Siouxsie) que l’on peut entendre en regardant le film.
Cette sélection est une tuerie et prolonge le travail de Wright sur les illustrations sonores de ses précédents films. Le réalisateur est dans ce registre le pendant britannique (même s’il travaille désormais quasi exclusivement pour Hollywood) d’un Tarantino. Ses choix (voir Baby Driver) sont impeccables, bien que peut-être un peu moins pointus que ceux du réalisateur de Kill Bill. On ne va pas s’amuser à commenter comment ils fonctionnent, ni à dire du bien ou du mal des Kinks, de Dusty Springfield ou Sandie Shaw, mais la bande-son assure une qualité d’immersion dans les sixties qui est l’une des clés du film. Wright nous propose une vision des swinging sixties gentiment interlope (elle deviendra carrément horrifique sur la fin du film), un brin désuète et qui est aussi servie par l’emploi et le contre-emploi d’acteurs légendaires tels que Terrence Stamp (dans son meilleur troisième rôle depuis longtemps), Rita Tushingham (la cultissime actrice du non moins culte A Taste of Honey, film matrice de l’oeuvre de The Smiths ou des Television Personalities) et bien sûr de l’immortelle Diana Rigg dans son dernier dernier rôle. Cette BO s’exprime globalement dans un registre gai et festif, accompagnant notamment les pérégrinations nocturnes d’Ellie/Sandy dans un Soho admirablement reconstitué. C’est beau, dansant, pétillant, parfait comme un Age d’or culturel que Wright rend glamour et irrésistible à travers le regard nostalgique de son héroïne principal, avant de le saboter.
C’est là qu’intervient l’objet de notre propos : la vraie BO du film, celle qui a été composée exprès et qui rythme à peu près tout le reste. Les deux sont mêlées mais c’est bien la seconde (la principale donc) qui vient conférer au film son cachet, vient apporter au drame sa couleur, sa profondeur et sa vivacité surnaturelle. Steven Price n’en est pas à son coup d’essai dans le genre. Le britannique, encore jeune (44 ans), a signé la plupart des BO pour Wright (et notamment les chefs d’oeuvre de la Trilogie Cornetto) et aussi celle de Gravity pour Alfonso Cuaron. C’est un compositeur, guitariste de formation ce qui est assez rare, qui a été formé aux côtés de Trevor Jones et Howard Shore mais a aussi pu collaborer très tôt (en tant que monteur) avec des pointures comme Hans Zimmer et James Newton Howard. Autant dire que Price a appris des plus grands et constitue l’avenir de la BO, dynamique, moderne (il a bossé pour Wright avec Nigel Godrich). De ces types, il conjugue une certaine efficacité et un traitement quasi naturel des moments symphoniques, mais aussi une vraie habileté pour gérer les moments d’émotion et des décrochés expérimentaux.
Sur Last Night in Soho, Steven Price est mandaté pour créer de l’étrange et du sensuel. Sur le second poste, il bénéficie d’une arme absolue en la personne de l’actrice Anya Taylor-Joy, laquelle interprète une version splendide et irrésistible du standard Downtown de Petula Clark et, plus loin, de You’re My World de Cilla Black. Sa voix n’est pas extraordinaire et sa technique très contestable mais elle y va avec une maladresse craquante et un côté laidback qui émoustille. Ce recours à l’actrice-chanteuse n’est qu’une manière de pimenter une BO qui n’aurait presque pas besoin de ça pour triompher, tant Price est à l’aise dans ce registre de l’expression pop. Sa musique traduit à la perfection ce que raconte le film, à savoir la transition douloureuse de l’enfance (meurtrie) à l’âge adulte… sexué et tout aussi traumatique. Le piano conquérant et plein d’espoir de The Beginning va peu à peu laisser la place à une BO qui se laisse contaminer par l’étrangeté et le trouble. When I Feel More At Home et You Look Familiar To Me en sont de bons exemples, gentiment minimalistes. L’ambiance des Swinging Sixties est parfaitement rendue avec cette pointe de psychédélisme qui s’exprime dans les claviers et les effets fantomatiques (I’m With You To The End) que Price va ajuster à la perfection. La tension est parfaitement gérée et jaillit en plein milieu de You Know You’re Not Asleep accompagnement un scare jump impeccable. On évolue ainsi à l’image comme sur le disque entre passages obligés classiques (les apparitions horrifiques, la violence du copain mac, etc) et des figures plus modernes où le personnage principal essaie de se raccrocher aux branches. La progression de Handsy fait penser à du Umberto ou à ses vieux scores pour série Z italiennes, mais on va aussi chercher plus classiquement chez Bernard Hermann pour faire sonner les percussions quand il s’agit de faire régner l’indiscipline d’un No Male Visitors (soit l’une des scènes les plus terrifiantes de presque-sexe qu’on a jamais vues) à coup de percussions et cymbales.
La musique est au service du malaise. Elle est de plus en plus vertigineuse et chaotique jusqu’à prendre des formes héroïques sur un final virevoltant et inattendu (sauf pour ceux qui auront tout deviné dès le début). Help lâche les chevaux mais on ne va rien spoiler du tout du tout. Le seul reproche qu’on pourra faire peut-être à cette BO est qu’elle manque un peu de grâce et d’attention envers son personnage féminin. On aurait aimé quelques thèmes forts et filés tout au long du film, plutôt qu’une simple illustration scène à scène. Dommage que Price n’ait pas pris le temps de faire courir quelques motifs qui identifient qui est qui. Cela aurait pu être intéressant.
A cette réserve près, voilà un disque magnifique et qui vous replongera instantanément à la réécoute dans la magie macabre de ce Londres adoré et terrifiant.
02. When I Feel More At Home
03. I’m With You To The End
04. You Look Familiar To Me
05. You Know You’re Not Asleep
06. Handsy
07. You Know Where To Find Me
08. No Male Visitors
09. Just Come in Dearie
10. There’s Always Something There To Remind Me (Sandy Shaw – Soho version)
11. A vision from the past
12. Feel Free To Run A Mile
13. Leave Me Alone
14. You Tell Her I Say Hello
15. Hopes and dreams
16. Little Liar
17. You’re My World
18. Help
19. You Have To Let Me Go
20. Neon