Mogwai / ZeroZeroZero (A Mogwai Soundtrack)
[Rock Action]

6.8 Note de l'auteur
6.8

Mogwai - ZeroZeroZeroEn attendant la sortie en disque (non confirmée à ce jour), la nouvelle bande originale composée par le groupe Écossais Mogwai est uniquement disponible sur Bandcamp et ce jusqu’au 8 mai. La moitié de cette mise en vente sera versée respectivement au fond de soutien aux musiciens (Help Musicians) et aux œuvres du système de santé britannique (NHS charities).

Produite par les producteurs de la série Gomorrah et diverses autres chaînes (Amazon, Canal et Sky notamment) et adaptée d’après le roman de Roberto Saviano, la série ZeroZeroZero fait partie des grosses productions semi-indépendantes, branchées et puissantes, qui font désormais l’ordinaire du monde télévisuel. Elle a fait l’objet d’une présentation en avant-première au festival de Venise et réunit un casting solide dans lequel on retrouve notamment Gabriel ByrneZeroZeroZero met en scène la vie d’une famille, les Lynwood, propriétaire d’une compagnie maritime internationale servant les intérêts du trafic de cocaïne en faisant le lien entre les cartels mexicains et italiens. Le traitement est musclé, dynamique et mêle des « intrigues de palais » à travers lesquelles le réalisateur décrypte les rouages du trafic de drogue international et des scènes « de terrain » où l’on peut suivre l’évolution des opérations au plus près. La caractéristique de ZeroZeroZero est, comme chez les principaux travaux de Saviano, de donner à voir l’immensité des enjeux en cause, le caractère macroéconomique décisif du trafic, tout en ne perdant pas de vue qu’il s’agit souvent, in situ, d’une forme d’artisanat amical (violent et cruel) ou ici, familial. Les huit premiers épisodes (il n’est pas certain qu’il y ait une saison 2) suivent un unique convoi dont on ne dira pas s’il est parvenu à bon port ou pas.

En acceptant cette série, Mogwai évolue dans le même environnement de production codifié qu’il a pu expérimenter pour les Revenants ou  le film Kin, dont on avait salué l’immense réussite. On ne sait pas cette fois si le groupe a pu composer à partir de l’ensemble des images (en mode illustration sonore donc) ou si, plus probablement comme pour les créations précédentes, il a livré des plages autour d’images qui n’étaient pas forcément toutes montées ou relevant du produit fini. La BO s’organise autour de 21 plages ambient que le groupe a écrites durant toute une année ou presque dans ses propres studios. La copie est élégante, racée, inspirée et influencée par l’environnement maritime de la série. Le groupe y travaille énormément les textures sur une base électro-synthétique conduite par un piano délicat et répétitif. Le début de la BO démarre comme un travail assez mainstream sur la construction d’une ambiance inquiétante et profonde. Autant dire que le touché Mogwai est assez difficile à percevoir à l’entame (Chicken Guns ou Telt). Les progressions sont assez brèves et ne sont qu’illustratives. Il faut attendre Nose Pints pour renouer avec l’intensité des écosssais. La pièce est courte (2 minutes) mais introduit sur quelques notes de synthé une tension palpable et grandissante. Mogwai enchaîne avec un joli cours de balai (batterie) iconique de son travail habituel sur Fears of Metal avant de livrer quelques belles chansons qui renvoient musicalement à sa période Every Country’s Sun (2015-16) mais restent tout de même assez anodines.

Là où la BO de Kin réussissait, sur des plages guère plus longues, à introduire des thèmes marquants, celle de ZeroZeroZero a clairement moins d’impact.  Moon in Reverse en est un excellent exemple. Le titre, apaisé, est splendide et plein de promesses mais s’éteint aussi vite qu’il est venu. Si on éprouve un plaisir immense à retrouver les mises en place caractéristiques du groupe, sa finesse et sa minutie dans l’articulation de la batterie (magnifique ici tout du long et encore plus indispensable que les guitares), on reste légèrement sur notre faim lorsqu’on se retrouve confronté systématiquement à l’extinction, douce et frustrante, du motif mélodique et de l’environnement que le groupe avait démarrés. Mogwai joue sur les ombres, les jeux de lumière. El Dante incorpore des motifs presque enfantins et éclaire littéralement le disque qui navigue en eaux troubles et dans une atmosphère grise, métallique et un peu froide. On se croirait dans Blade Runner, la pluie et les larmes en moins. Les plages du dernier tiers sont plus émouvantes comme Major Treat ou le beau western de Modern Trolls. Summon The Sacred Beast fait penser à du Umberto avec ses synthés prog et son allure 70s mais là encore s’étouffe assez vite et refuse l’emballement.  Peut-être est-ce que la série, composée pour partie de dialogues et de scènes de mer, n’appelait pas à des explosions et à des déchaînements soniques, mais la bande originale en pâtit. Il est probable que la production ait demandé au groupe de créer une distance entre l’image (violente, avec des hélicos et des pétarades) et la narration. C’est sans doute à cela que s’applique la BO : amener de la froideur, de l’intelligence, de la distance sans prendre parti ou souligner les temps forts. Mogwai se prive de sa plus arme qui est généralement le changement de tempo et cette capacité à suggérer la force sans avoir besoin (ou de moins en moins) de la déchaîner.

Ici, on n’a jamais qu’un long prélude, qu’une balade dans un imaginaire étranger, sophistiquée et plaisante certes, mais qui ne donne jamais le sentiment qu’elle pourrait basculer sur autre chose et accéder à une consistance émotionnelle véritable. La musique (comme les images sans doute) est incomplète. Suggestive, elle désigne mais ne montre jamais du doigt. Illustrative, elle enveloppe mais n’étreint pas vraiment. C’est comme si on avait un disque de Mogwai sans Mogwai. L’émotion n’est pas suffisamment exprimée pour être ressentie par l’auditeur. C’est dommage mais ZeroZeroZero est un disque qui n’est pas raté mais qui n’est pas réussi non plus.

Tracklist
01. Visit Me
02. I’m Not Going When I Dont Get Back
03. Telt
04. Chicken Guns
05. Nose Pints
06. Fears of Metal
07. Space Annual
08. Invisible Frequencies
09. Moon In Reverse
10. Dont Make Me Go Out On My Own
11. Lesser Glasgow
12. Frog Marching
13. El Dante
14. Major Treat
15. Rivers Wanted
16. Summon The Sacred Beast
17. Modern Trolls
18. The Winter’s Not Forever
19. He Loved Trees
20. Witches of Alignment
21. The Wife Was Touched
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