Crédit Photo : Mathilde Juul Damkjer
Télé Rouge, de la pop venue du froid, en français dans le texte.
Audace, courage et bonne facture pour un groupe constitué autour d’une sémilliante chanteuse qui livre ici son 3e disque, sous forme d’un grand EP de 5 titres. Un bel éventail de titres atmosphériques (« Etoile binaire ») ou orientés dance floor (« C’est la folie »/ »Je m’enfuis ») avec une poésie douce et enlevée, basée sur des textes simples mais pas simplistes, et surtout entêtants… un exercice réussi autant que rare et d’autant plus séduisant et surprenant que le groupe, emmené par Una Skott, nous vient du Danemark.
Depuis l’album éponyme de 2014 qui dispensait une musique flirtant avec les 60’s yéyé et quelques inflexions garagisantes, la mue s’est opérée vers une pop plus synthétique. On pensera peut-être à Stereo Total mais aussi à Yelle, comme le suggère et revendique la chanteuse.
”Je suis fascinée par plusieurs époques de la musique française. Mon premier béguin était pour Francoise Hardy, France Gall et Serge Gainsbourg. Je trouve que le temps des Yé-Yé est très intéressant et attachant (…) en parallèle de l’amour pour les années 60, j’aime beaucoup l’indie pop moderne française, comme Sébastien Tellier, Air, Charlotte Gainsbourg, La Femme, Flavien Berger, et plein d’autres.
« J’adorais surtout la musique de Serge Gainsbourg et je trouvais ses histoires avec les jeunes femmes Yé-Yé très marrantes. Cette sorte de bubble gum pop des années 60 m’a beaucoup inspirée. Surtout des chansons comme ”Laisse tomber les filles” chantée par France Gall, ”Le Temps de l’Amour” avec Françoise Hardy et la chanson rock’n’roll ”7 Heures Du Mat” avec Jacqueline Taieb, qui étaient parmi mes préférées.
« De nombreuses heures d’écoute de ces artistes mélangées à l’utilisation d’un mini clavier Casio des années 80 ont donné les fondations de l’album « Télé Rouge ». J’appelais le style de l’album rétro pop’n’roll, raconte celle qui avait en outre écrit et produit ce premier opus elle-même avant de chercher à composer en groupe et travailler avec un producteur.
L’effet séduction et adhésion à la démarche artistique est certes, voire, certainement, biaisé par le recours au français pour une artiste originaire d’un pays pas spécialement connu pour sa francophilie. Il est logique de se demander d’ailleurs quelle peut être la réaction du public danois face à cet ovni sémantique… une réaction qui résonne peut-être de ce côté ci des Flandres avec le fait que nombre de personnes écoutent des chansons dans une langue qu’ils ne comprennent pas ou peu et pratiquent souvent de manière hasardeuse,… l’anglais, la faute au système éducatif (peut-être)… bref comment les Danois réagissent-ils face à l’usage du français dans le texte ?
« Autrefois j’écrivais des chansons en anglais, mais ça ne m’excite plus. »
”Je croix que nous sommes le seul groupe qui chante en français au Danemark. Ici, on chante en danois ou en anglais. Donc nous sommes seuls mais aussi uniques. Soit on aime Télé Rouge, soit on nous ne comprend pas… Mais nous avons été chroniqué avec cinq étoiles sur six dans GAFFA, le blog de musique le plus connu ici ! Le critique ne comprenait pas le français mais aimait le son de la langue et le style de Télé Rouge. Si je peux aider le public à surmonter la peur de l’inconnu, je suis convaincue que je peux gagner le cœur des Danois.
Depuis le précédent album, et en attendant d’être en mesure de sortir à nouveau des titres à elle, Una a endossé le rôle de side-woman pour divers groupes (Fallulah, Nana Jacobi, Tomas Høffding et Martin Hall), sur scène comme en sessions studio : ”… ce qu’il fallait pour vivre! Et heureusement ça me plaisait beaucoup (..) Ça m’oblige aussi à me développer musicalement et ça renforce mon réseau dans l’industrie de la musique », avoue-t-elle sans fard.
Mais pour en revenir à ce débat récurrent, en France en tout cas, de l’usage de l’anglais face au poids des références de monstres sacrés de la chanson française, si l’exercice reste utile au-delà de la simple règle des quotas radiophoniques, il est intéressant et amusant de constater la perception que peut en avoir une artiste étrangère.
”À cause du fait que l’Anglais est tellement utilisé dans le monde, c’est aussi très normal à mes oreilles. Autrefois j’écrivais des chansons en anglais, mais ça ne m’excite plus. Je trouve que le Français est très musical, et même plus rythmique que l’anglais. Au moins dans mes chansons !
Je croix aussi que c’est une question de mode.
« Pour l’instant, c’est très moderne de chanter en Danois ici au Danemark. Mais chanter en Danois est assez nouveau dans le musique pop et moderne. Il y a dix ans tout les artistes danois chantaient en anglais. Est-ce que c’est moderne de chanter en Français en France? Mon conseil est d’écrire dans la langue qui vous passionne le plus. Croyez au premier instinct et acceptez les mots qui viennent dans la langue qui vient.
« La langue française m’invite dans un univers magique et un monde dont j’ai envie de faire partie ; le monde dont j’ai rêvé car j’étais un enfant et que je regardais des film français sur ma petite télévision rouge.
Car il faut savoir que loin du cliché Netflixisé d’une Emily in Paris, Télé Rouge est l’histoire d’une petite fille vivant sur une petite île du Danemark, loin, très loin de la France, qui s’est construit un monde imaginaire et francophone ! La faute à son père, professeur d’anglais mais féru de langue française, collectionneur de BDs qui avait entrepris de lui lire toute la collection de Tintin. La petite fille, fascinée et – de son propre aveu – sensiblement amoureuse de ce personnage androgyne décide alors un beau jour, comme le font les enfants quand ils se rêvent plus grands… d’apprendre à maîtriser la langue de son héros.
En grandissant, devant sa petite télé rouge, elle se rêve Béatrice Dalle devant son film préféré, 37°2, le matin. Elle confectionne des mixtapes de toutes les chansons tricolore présentée à l’Eurovision et à l’âge de 20 ans, la jeune Una devenue adulte fait sa valise et part pour Montpellier, Grissan Plage, lieu de tournage du film de Jean-Jacques Beineix. Commence alors une pleine année de fêtes, de musique, avec pour seul but d’apprendre la langue.
« Ce n’était pas facile de rassembler un groupe sur une petite île »
Pour ce qui est de la musique, l’apprentissage et la passion s’étaient dessinées beaucoup plus tôt, mais rétrospectivement, telle qu’Una la retrace, la trajectoire est décalquée sur la progression des trois albums en quelque sorte… du piano au Casio et une guitare pour assaisonner les envies.
”J’ai commencé à jouer du piano à l’âge de six ans, encouragé par ma mère qui est musicienne. Elle avait un studio de musique rempli d’instruments différents qui deviendrait mon terrain de jeu préféré. J’ai décidé de faire une carrière musicale et commencé à écrire des chansons tout de suite.
« A l’âge de 14 ans, j’ai découvert Nirvana et d’autres groupes de grunge. J’ai remplacé le piano parla guitare pour jouer du rock bruyant et rebelle. Je me teignais les cheveux en bleu et je forçais mes copines à jouer avec moi car je voulais profondément jouer dans un groupe. Ce n’était pas facile de rassembler un groupe sur une petite île mais j’ai réussi à en former quelques-uns avec qui je faisais les premières parties de groupes connus. Pendant tout ce temps, je rêvais d’aller jusqu’au bout du monde, de quitter l’île pour jouer sur des grandes scènes dans le monde entier.
« Alors Hastings en Angleterre deviendrait la première destination, et Montpellier, la deuxième. Après quelques années à l’étranger, je me suis installé à Copenhague pour faire mes études au conservatoire supérieur. C’est à cette période que Télé Rouge est née.
Alors contre toute attente, y compris dans l’Hexagone, voici que le Français, en tout cas la langue, passerait presque pour l’arme ultime pour partir à la conquête du monde …
”Quand je suis en France, je me sens très vivante et c’est pourquoi que je souhaite jouer des concerts en France. Les fois où nous avons joué en France étaient magiques. C’était formidable de jouer nos chansons devant un public qui comprenait les paroles! Je vois le public français comme cultivé et ayant bon goût, et ca serait un grand honneur pour moi de constituer une base de fan français. Alors c’est mon but de tourner en France et je bosse là-dessus. J’espère profondément que je vais réussir.
Pour le moment ce n’est pas facile à cause des restrictions sur les concerts alors je passe des heures sur les réseaux sociaux pour sortir la musique de Télé Rouge. Dès que possible je partirai en France avec ma guitare et mon pédalier multi-effets pour envahir la France.
« J’ai répété un répertoire solo que je peux dégainer à tout moment. Je voudrais tellement faire la première partie de Sébastien Tellier qui est ma plus grande idole… Et mon désir encore plus grand est de faire une chanson avec lui un jour.
Allô Sébastien ? Ici Sun Burns Out ! On a quelqu’un à te présenter 😉
En attendant donc de voir Télé Rouge et Una, seule ou à plusieurs, il reste cet EP chauffé à 38°C (quelques dixièmes et centièmes de plus que le 37,2 évoqué ci-dessus) pour nous tenir compagnie et en cadeau la réédition digitale du deuxième album, ”Transformation” (2014), attendue pour le 19 mars. L’album est le trait d’union entre ”la rétro pop’n’roll ”du premier ”l’indie pop” actuelle, explique Una.
La réédition sera précédée de la sortie de trois de ses titres Cigarette, Moto, et La Fin pour une mise en bouche.