Hugues Blineau / Vies et morts de John Lennon
[Médiapop Éditions]

6.9 Note de l'auteur
6.9

Hugues Blineau - Vies et morts de John LennonCeux qui s’étaient laissés tenter par le premier livre du Nantais Hugues Blineau consacré à la séparation des Beatles auront plaisir à retrouver sa plume alerte et poétique pour une nouvelle excursion historique dans le destin du plus grand groupe de rock de tous les temps. Vies et Morts de John Lennon fait un saut de dix ans dans le temps après le premier tome. Nous sommes le 8 décembre 1980, peu avant 23 heures, et John Lennon est… mort. Mort ou tué, ce n’est pas tout à fait pareil, même s’il s’agit bien d’assister en temps direct ou rapporté, par les bruits, l’odeur et le son du corps qui tombe sur le sol, à la fin d’une époque, à la mort d’un homme, à la fin d’un musicien, d’un amant, d’un père, d’un ami, d’un personnage public, d’un héros pour les autres.

En mêlant en à peine soixante dix pages, le destin croisé  de près de quarante personnages, 20 réels et 20 imaginaires, Hugues Blineau s’est fixé un sacré défi littéraire qu’il relève avec pas mal de technique et une approche beaucoup plus littéraire que sur son précédent livre. Le jour où les Beatles… était un livre d’historien du rock. Celui-ci est un vrai livre d’écrivain, fait de blancs, de lignes sautées, de silences, un livre fait de sentiments supposés, de caresses portées au tombeau du grand homme. Comme pour le premier livre, Blineau suit les pas, comme pris sur le vif et saisis dans la soudaineté irreprésentable de l’événement, de personnes qui étaient là ou qui ont été les témoins, acteurs ou simples récipiendaires de la scène. Il est à tour de rôle un couple de voisins qui vivent non loin du Dakota Building. Il est Annie Leibovitz qui avait photographié Lennon quelques heures avant sa mort. Il est Mark Chapman le tireur, Geoff Emerick, l’ingénieur du son des Beatles, ou encore Ringo. Sous l’effet de la nouvelle, le livre et sa narration sont comme explosés, atomisés en une myriade de lignes-poème, de phrases-flèches qui partent dans tous les sens et succombent sous l’émotion. On pense sous la plume habile de Hugues Blineau à la fabuleuse trilogie 1984 d’Eric Plamondon qui nous avait tellement enthousiasmé à sa sortie (on en profite pour signaler qu’elle est rééditée ces temps-ci en un seul volume). La volonté est la même de soustraire pour alléger la structure, de faire parler les espaces et de laisser s’infiltrer l’émotion là où les mots manquent. Sous l’événement, le temps et l’espace sont comme fragmentés et rendus par la force de la narration en une somme de cinèmes qui s’assemblent et se désassemblent façon puzzle.

Le mouvement est follement audacieux, intelligent et presque insensé mais ne tient pas toutes ses promesses. Le livre s’affaiblit quelque peu, par rapport au précédent ouvrage, d’avoir trop forcé sur le casting. Les personnages sont trop nombreux pour qu’on s’attache vraiment à eux. Certains sont plus forts que d’autres et Blineau ne s’y trompe pas qui leur réserve la part la plus importante : le couple, Sean (5 ans) et son frère Julian, tandis que d’autres peinent à acquérir une matérialité. La langue à vouloir dire le mieux possible est parfois avalée par l’abstraction. Cela ne dessert pas forcément le récit bien au contraire. En fuyant les mots et les personnages nous projettent dans une sorte de commotion qui est semblable à l’émotion que l’auteur veut partager, nous ramènent au trouble et à la confusion qui régnaient pendant l’écriture du livre. Vies et morts de John Lennon est un livre de confinement. L’auteur l’explique et cela se sent sur chaque mot. C’est un livre de deuil qui tente de cerner et de donner à voir un vide et une absence qui gagnent du terrain et avalent leur sujet comme un trou noir. Blineau remplace peu à peu John (le grand absent du livre) par une ombre puis des souvenirs reconstitués. Ce mouvement qui s’apparente aux apparitions fantomatiques des films japonais est splendide et peut-être ce qu’il y a de plus beau ici. Mais il faut un peu trop d’imagination pour se souvenir que Lennon reste le centre de gravité du livre.

On aurait aimé un peu plus de classicisme et de narration là où l’auteur préfère l’évocation et travaille la beauté de sa touche. On aurait aimé que Chapman parle un peu plus et que la disparition soit rendue dans toute sa dimension politique et artistique plus que spirituelle et émotionnelle. Ce reproche n’en reste pas moins assez accessoire. Il ne doit pas détourner de la lecture du livre qu’on recommande à tous ceux qui aiment les Beatles. Vies et Morts de John Lennon allie le partage d’émotion autour d’un fait historique et l’évocation chaleureuse de l’amour qu’on peut vouer à l’artiste et à sa musique. C’est un joli travail de poète et un grand hommage au temps qui s’efface. Les paroles de quelques chansons de Lennon sont posées à des endroits choisis comme des galets dans un jardin zen. Elles sont belles et suggestives, évanescentes et protectrices.

Le texte annonce au moins deux autres ouvrages du même auteur autour du rock. On les suivra avec envie et attention.

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