L’Argentine est un pays d’excellence. Le foot (Leo Messi), la littérature (Rodrigo Fresan) ou la viande de bœuf, ce pays nous a toujours réservé d’excellentes surprises. Il n’est donc pas étonnant que l’un des meilleurs albums de ce début ait été composé par un ressortissant de ce fier territoire, bonifié de longue date au soleil de Californie. Lucas Fitzsimons (Argentin, donc) et son collègue Ryan Foster se sont rencontrés à Los Angeles, où ils ont grandi tous les deux enfants, et sortent avec America’s Velvet Glory un deuxième album inspiré, vibrant et irrigué de belles influences. Signé sur le label Innovative Leisure, celui qui abritait hier Allah-Las, The Molochs évolue dans un registre rock nourri aux sonorités de la fin des années 60. Solaire, un peu psychédélique et inspiré par les grands groupes garage rock de la Cité des Anges, la musique de The Molochs est formidablement efficace, détachée, aérienne et en même temps empreinte d’une force et d’une intensité qui en font l’une des plus solides révélations rock du moment.
Les talents de compositeur et la voix de Lucas Fitzsimons ne sont pas rien dans la réussite de ce magnifique album. L’Argentin est ici au four et au moulin. Sa voix est un outil remarquable qui est aussi à l’aise dans l’emballement que dans la balade. Nasale ou nasillarde, elle rappelle parfois le splendide détachement et le timbre si particulier d’un Peter Perrett. Crâneuse et en mode agitée, elle taquine la ténacité et l’agressivité jmenfoutiste d’un Nathan Williams ou d’un Dylan Baldi. Les influences rétro donnent parfois l’impression qu’on a affaire ici à un groupe de 1965, mais n’était-ce pas, autour d’Arthur Lee et de quelques autres, l’une des périodes les plus fabuleuses de l’histoire du genre. Les textes sont superbes et méritent d’être écoutés avec attention. Fitzsimons s’impose un alter ego qui est à la fois dépressif, solitaire mais sait à l’occasion se montrer fringant et rebelle. Il passe du radicalement punk et sublime No Control à un entêtant Charlie’s Lips sans qu’on ait le temps de dire ouf. Mélancolique et câlin (New York), le groupe peut parfois ruer dans les brancards et s’aventurer dans des galops rock étincelants. Les guitares jangly évoquent la vélocité gracile de The Smiths et les mélodies marquantes se succèdent depuis l’ouverture impeccable (Ten Thousand) jusqu’à un final, You Never Learn, catégorique et définitif. A quelques reprises, le chant à plat et les arrangements minimalistes évoqueront immanquablement l’influence de The Velvet Underground, sa sécheresse et sa redoutable ligne claire (le classieux You And Me). Cet album regorge de tubes, de chansons qu’on attrape comme des virus dès qu’on croise leur route, de motifs sensuellement transmissibles qui témoignent de l’inspiration unique qui a traversé le duo pendant la composition.
Les mauvaises langues diront qu’on ne tient pas avec The Molochs l’avenir du rock. On peut en effet traquer en vain les audaces technologiques, les effets de manche ou le tape à l’œil. Cet album ne fera jamais son âge et bénéficie d’une production et d’un équilibre sonore extraordinaires. Les chansons sont solides, les textes intelligents. On peut danser dessus ou pleurer à chaudes larmes, on peut emballer des gonzesses ou des gars ou l’écouter en roulant sur l’autoroute. On peut bouffer mexicain, le partager en famille, au pieu ou à l’apéro. Il n’y a pas 36 disques cette année et la précédente qui peuvent servir à faire tout ça. The Molochs ont réussi un truc important et un disque rare. Il faut que ça se sache et que ça s’écoute.