En 93, les Psychedelic Furs reviennent, ou tentent de revenir, d’un étrange enfer : le succès commercial, la reconnaissance américaine, le passage soudain au groupe de stades… pour un disque opportuniste, FM, insipide (Midnight to Midnight, paru en 87). Paradoxe des Furs : de formation anti-punks, anti-look, finalement très anarchiste, celle-ci, au fil des albums, rejoint l’aseptisation U2 et Simple Minds, pour finalement virer MTV – et cartonner comme jamais auparavant.
Drogué, alcoolique, dépressif, mais très conscient de son statut d’artiste, Richard Butler, leader hyper charismatique, n’en sort guère indemne : acclamé pour des chansons fadasses, couronné pour un disque qu’il déteste, le songwriter préfère jeter l’éponge, tuer le groupe, ne plus jamais se compromettre de telle sorte. À Jim Kerr l’engagement pour l’Ethiopie, à Bono les ventes colossales. Butler, honteux, choisit l’isolement, le suicide commercial. Les Furs se sont fourvoyés. Et cela, Richard Butler ne l’encaisse pas.
Terminer sur Midnight to Midnight aurait définitivement entaché les trois premiers chefs-d’œuvre du groupe (The Psychedelic Furs, Talk Talk Talk et Forever Now). D’où l’idée de terminer sur un best-of (All of This and Nothing), avec un nouveau titre rédempteur produit par Stephen Street (All That Money Wants, beau comme du Smiths période Strangeways).
Ce n’est pas suffisant pour Butler : quitte à détruire les Furs, autant partir avec un disque intègre, proche de son auteur. Le premier essai, Book of Days, en 89, est encore trop glauque pour pleinement convaincre (le disque vieillit bien, mais la dépression de Butler rend la chose parfois inabordable). Un autre album s’impose. Quitte ou… quitte.
Produit en 91 par Stephen Street, World Outside permet aux Furs de faire oublier Midnight to Midnight, de retrouver la crédibilité d’antan, d’hypothéquer l’histoire avec fierté. Pour cause : il s’agit du meilleur des Furs depuis 1984 (Mirror Moves, qui, inversement à Book of Days, s’écoute plus difficilement aujourd’hui).
Cet ultime album des Psychedelic Furs se veut tubesque mais humain. Adieu aux synthés Keith Forsey, mais pas question de renouer avec l’urgence art school de Run and Run. Assez proche de Lloyd Cole and The Commotions, des Smiths ou du deuxième House of Love, World Outside assemble les grattes folk-rock à de discrètes circonvolutions symphoniques. Une question de mesures, de dosages savants auxquels Stephen Street, au sommet de son art, ajoute sa science innée du « populaire intimiste » – l’heure Blur approche.
Single mea culpa, Until She Comes permet de retrouver le Richard Butler des grands jours : bowien, velvetien, intimiste mais frondeur. Il s’agit pourtant d’une chanson de convalescence. Sobre, flippé de ne plus pouvoir écrire sous influence alcoolique, Butler, sans doute par protection, brouille les pistes : parle-t-il d’une ancienne petite amie ou de ses souvenirs camés ? Est-ce un poème sur l’amour perdu ou sur la violence d’une désintoxication ? Le titre annonce un peu le Drugs Don’t Work des Verve…
Logiquement, après l’attendue résurrection (et un beau succès critique), les Furs, malgré quelques reformations live, ne chercheront jamais à briser cette divine pierre tombale. Épitaphe qui nous permet de ponctuellement revenir piocher dans la discographie des Psychedelic. Un groupe important, jusqu’au bout.
Il y aura ensuite l’excellent Love Spit Love, mais c’est une autre histoire Butler…
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