On a tous dans la discothèque (ou les playlists algorithmiques, pour tenter -vainement- de rester un peu à la page) de ces disques ou artistes qui, normalement, n’auraient rien eu à faire là. On se comprend : on ne va pas ouvrir aujourd’hui le débat sur ce qui « normalement n’aurait rien à faire là » mais on sait qu’à moins d’avoir des goûts d’un tel éclectisme qu’ils pourraient confiner à un manque de personnalité (le fameux « oh moi, j’aime tout ! » qui n’engage surtout pas), on demeure plus ou moins confinés dans telles ou telles chapelles bien identifiées et que tout le reste, pas forcément rebutant d’ailleurs, est au mieux survolé parfois de très haut, au pire complétement ignoré. Il ne fait ici nul doute que, sortie sur un autre label que l’excellent Too Good To Be True dont on suit avec attention les productions généralement issues des bonnes chapelles, nous n’aurions à coup sûr jamais rencontré la musique de Blood Knows. On n’est pas près d’oublier l’étonnant et fascinant Mood Swim il y a 3 ans, premier album de Leigh Craft, petit génie de Perth qui enregistre dans de rudimentaires conditions consulaires des chansons que l’on croirait tout droit sorties d’un studio de requins californiens dernier cri. Autant dire que la suite était attendue.
Elle prend donc la forme d’un petit CD 3″ de la désormais familière série mensuelle 2025, ce défi un peu fou que le label s’est imposé pour fêter sa cinquième année d’activité intense et remarquée car remarquable. Ivy’s Trip est un EP 5 titres sur lequel l’australien poursuit son exploration des musiques du tournant des années 1980/90 qu’il n’a pas vécues mais qui résonnent pour les plus anciens comme une jolie madeleine que l’on aurait jamais crue indémodable. C’est que souvent, lorsqu’il arrive de se re-pencher sur les productions de cette époque, leur caractère intemporel n’est pas forcément la première chose qui vient à l’esprit, au contraire. Pourtant, comme sur Mood Swim, Blood Knows parvient sans peine à nous ré-embarquer dans cet âge d’or des boites à rythmes et des samplers avec ses morceaux dansants, conduits par une basse puissante et une voix d’une belle suavité qui n’a aucun mal elle non plus à emporter une adhésion immédiate. Et si l’ensemble est, par définition, relativement court et concis, il n’est reste pas moins passionnant.
Pourtant, une fois n’est pas coutume, c’est sur le dernier titre du EP, Head Down, que l’on s’attardera le moins. La petite ballade mid-tempo qui devait probablement faire retomber le rythme (cardiaque) peine à convaincre complétement et échoue finalement dans son rôle du morceau final censé laisser une dernière image positive d’un disque. Pas grave car pour le reste, on frise de nouveau une certaine idée de la perfection. Blood Knows se ballade littéralement dans cette histoire musicale, embrassant sur cette période un panorama plutôt alléchant et varié. On retrouve sur Dog Play tout l’esprit de ces groupes indés qui d’un coup se mettaient à vouloir faire danser leur public, comme ce fut le cas de The Orchids dont la pop boisée chez Sarah Records revêtait soudainement des airs clubbing sous l’impulsion de leur producteur de toujours, Ian Carmichael, membre avec Dot Allison du groupe électro One Dove. Motto et son auto-tune presque supportable apportent au disque une touche carrément funky en jouant notamment sur une somme de gimmick jamais loin de sombrer dans les clichés mais qui s’avère sacrément efficace. Un traitement identique à celui réservé au plus house Ivy’s Trip qui nous replonge dans les virées nocturnes du duo star d’Everything But The Girl du génial Temperamental. Quant au redoutable Lemons avec sa basse toute Hookienne, il nous rappelle que l’on a toujours dansé sur les meilleurs titres de la new wave et que ce post-punk version colorée et entrainante n’a pas grand-chose à envier à ses ainés.
Avec son Ivy’s Trip, Blood Knows réitère donc l’exploit de faire du vieux avec du vieux tout en parvenant à faire passer cela pour du neuf absolument excitant. L’héritage de cette période musicale, riche et variée n’a pas décidément pas fini d’être exploré par les jeunes générations ; ça n’est certes pas la première fois qu’on le dit mais à l’ère de l’éco-responsabilité, recyclage et seconde vie semblent plus que jamais devenus une constante, y compris dans les productions culturelles. Du grain à moudre évidemment pour les mélomanes indécrottables qui prétendent depuis des années qu’il n’y a plus rien à inventer. Grand bien leur fasse, on ne les envie pas de tourner en boucle autour des 50 ou 100 mêmes disques et de passer à côté d’un pur moment d’hédonisme comme celui-ci, qui durera ce qu’il durera, chacun en fera ce qu’il voudra, mais qui aura quoiqu’il en soit bien réussi son petit effet.