On n’avait pas eu de nouvelles de Trunks, le supergroupe Rennais formé en 2003 pour l’anniversaire du Jardin Moderne, depuis 2011. C’est sans doute parce que le groupe composé de Laetitia Shériff et Florian Marzano (We Only Said), Régïs Boulard (Sons of the Desert), de Stéphane Fromentin (Ladylike Lily), et Daniel Paboeuf (Marquis de Sade) ne bosse vraiment qu’une fois tous les dix ans. Leurs deux albums, Use Less et On The Roof, témoignaient jusqu’ici de la capacité, parfois questionnée, du rock français à faire aussi bien, voire mieux, que les anglo-saxons en matière de post-punk expérimental. Le troisième achèvera ou prolongera la démonstration avec brio et une énergie vitale formidablement ramassée en huit plages et une grosse demie-heure.
Trunks est un groupe fondé sur des amitiés musicales et esthétiques qui sautent aux oreilles sur chaque note. Pour un groupe d’assemblage, Trunks propose une musique étonnamment cohérente et solide, « à l’unisson » et qui évolue dans un registre noise rock, expérimental, à la fois infiniment libre et fluide, mais aussi très bien ancré sur ses références (des guitares, un socle basse/batterie fondamental, un chant). La proposition globale est intense, maîtrisée et dégage une impression de force et de détermination qui impressionne. C’est le cas du single et morceau d’ouverture, Les Belles Choses, qu’on croirait emprunté, par sa noirceur et sa structure mouvante, au répertoire de PJ Harvey et John Parish. On entend à peine les paroles tant le morceau est dominé par les arrangements. La voix de Laetitia Shériff hante la plage sans aucun privilège et comme si elle était un instrument comme tous les autres. Le deuxième morceau, Edgeways, est d’abord plus punk et abrasif en apparence, heurté comme un titre des Runaways ou des Bikini Kill, mais rapidement capturé par une expérimentation jazzy qui nous renvoie, comme d’autres morceaux, à l’atmosphère électrique et noire des travaux new-yorkais d’Alan Vega et de Ben Vaughn. On pense parfois aussi aux environnements crépusculaires et soyeux d’un Marc Huyghens chez Venus ou Joy. Norbor qui laisse une belle place au saxo de Daniel Paboeuf est pour nous la pièce de résistance du disque, un morceau envoûtant et passionnant, qui marque une tentative (réussie) d’échapper à la gravité et aux forces qui nous empêchent d’avancer. Trunks a le sens des progressions et sait créer des ambiances interlopes et prolongées qui envoûtent et excitent les sens. On pense ainsi autant aux constructions millimétrées et exigeantes du King Crimson de Robert Fripp qu’aux envolées en roue libre de feu Morphine (sax oblige). C’est ce mélange de liberté (free) et de rigueur qui fait le charme d’une musique « de genre », référencée et studieuse. O.B.O est un modèle de chanson qui fonce tous cuivres allumés vers le précipice. On musarde avec grâce sur What is Fantasy avant de finir la nuit au bar avec le miraculeux What is real. C’est dans cette demi-nuit/demi-jour entre chiens et loups, que Trunks agit sur nous de manière organique et spirituelle.
We Dust…. nous renvoie à la poussière des origines, celle d’où l’on vient et celle à laquelle on retournera. Celle qu’on souffle par nos lèvres amoureuses et qu’on expire quand notre corps mord la poussière justement. Il y a dans ce disque d’atmosphères et d’ambiances, un suspense évident, une intensité métaphysique qui maintiennent l’intérêt tout du long, par delà l’impact des titres pris un à un, l’idée que le tout est supérieur à la somme des parties et que c’est le voyage sur cette demie-heure qu’il faut accomplir pour gagner son ticket pour l’éternité, l’inquiétude et la paix éternelle. Avec un disque de ce calibre tous les dix ans, Trunks est en train de se bâtir une discographie en partie invisible mais hors pair.
A noter que le groupe s’aligne sur scène dans les prochaines semaines à Nantes (le 3/11), Rennes (le 18/11) et Paris (17/1) en attendant sûrement d’autres dates.