Urusei Yatsura : les grands oubliés du rock indé

9 Note de l'auteur
9

Urusei YatsuraLa sortie de You Are My Urusei Yatsura, compilation de onze BBC sessions enregistrées entre 1995 et 1998 par le groupe écossais, démontre au moins deux choses. La première, c’est qu’on ne s’était décidément pas trompés en plaçant ce groupe parmi notre classement des meilleures formations ayant jamais foulé le sol écossais. Au point qu’une cure de jouvence et une immersion en eaux soniques au cœur de leur discographie (trois albums merveilleux, un EP augmenté, une flopée de singles et cette compilation donc), nous font aujourd’hui placer Urusei Yatsura dans le trio de tête des groupes de Glasgow aux côtés de Mogwai et d’Arab Strap, ce n’est pas rien quand on connait la richesse de la ville et du pays. Seconde chose : à lire le peu d’écho qu’a reçu jusqu’à présent la sortie de cet album événement, qui célèbre les 20 ans de leur premier disque, le plus connu, We Are Urusei Yatsura, on se dit que la vie est vraiment trop injuste… Qu’est-ce qui fait qu’un tel groupe n’a pas bénéficié ces dernières années de la réévaluation qui affecte généralement à dix ans de distance les groupes passés (presque) inaperçus et leur sauve la mise devant la postérité ? Pourquoi est-ce que tout le monde se fout de ces génies indé comme de sa dernière pédale d’effets ? C’est incompréhensible… ou pas.

Nichée entre la brit pop et le grand déferlement de rock américain qui en découlera, l’histoire de Urusei Yatsura est avec celles de Desert Hearts, cousin irlandais, et des Llama Farmers, version anglaise, qui se produiront dans les mêmes termes quelques années plus tard, l’histoire du sacrifice de groupes étrangement écartelés entre les époques et les continents. On reparlera des deux autres ou une autre fois. C’est UY, comme on les nomme dans l’intimité de leur petite cercle de fans qui nous intéresse aujourd’hui. A ce titre, Urusei Yatsura figure parmi les plus grands sacrifiés de l’histoire du rock indé si on rapporte sa renommée rikiki à la qualité de sa production. Le groupe, écossais donc, de Glasgow, avait pourtant vu les fées de l’indie rock se pencher assez tôt sur son berceau. Formé en 1993 autour de Fergus Lawrie et de Graham Kemp, deux jeunes étudiants de l’Université de Glasgow, le groupe se fait repérer immédiatement en participant à une compilation éditée par le Kazoo Club, structure qui sera pilotée un temps par Alexis Kapranos le futur leader de Franz Ferdinand. De fil en aiguille (et à coups de lives incandescents), le groupe tape dans l’oeil de John Peel qui délocalise une Peel Session à Glasgow, chose rarissime, pour les accueillir, le groupe ayant précisé n’avoir pas assez d’argent pour faire le déplacement à Londres.

Les choses s’enchaînent à merveille et aboutissent à un premier album en 1996 chez Ché Trading Records qui, non content d’être excellent, embarque en piste 4 le single imparable qui les fait « exploser » (à petite échelle), le sublime Kewpies Like Watermelon. On fera prochainement une chanson-culte sur le sujet mais le morceau devient un mini-hit indé et reste aujourd’hui l’écran de fumée (dorée) qui occulte quelque peu le reste de la carrière du groupe. Urusei Yatsura est enrôlé parmi la liste des groupes qui montent et assure la première partie de quelques groupes vedettes de l’époque dont les Américains de Pavement, alors en pleine gloire et qui sont eux-mêmes en train de passer pas loin de la Champions League grand public. A cette époque là en 1996, le rock indé est en ébullition. Depuis quelques années, des groupes passent d’une notoriété toute relative à l’univers mainstream sur le pouvoir d’une seule chanson. Ils deviennent riches à millions et accèdent à un autre univers. Certains y vont avec réticence, s’y refusent ou au contraire s’y précipitent. Urusei Yatsura qui cotoye le Teenage Fan Club ou encore les Super Furry Animals regarde le spectacle les yeux grands ouverts. La musique du groupe est suffisamment catchy pour intéresser les masses et exigeante pour séduire les fans de Jesus and Mary Chain comme de Pavement justement. L’album qui suit, Slain by Urusei Yatsura, enfonce le clou et leur offre un hit mineur avec le très pop Hello Tiger. Kemp et Lawrie partagent le chant et les guitares soutenus par la bassiste ultradouée Elaine Graham et son frère Ian Graham à la batterie. Le songwriting du groupe, sur le modèle de Ride, est partagé puis, semble-t-il, divisé entre les deux compositeurs majeurs. Des deux, notre préférence va à Fergus Lawrie, plus solide et dont l’univers d’une richesse incroyable se prolongera sur son projet d’après, le non moins recommandable Projekt A-ko.

Punk, teenage et désespéré

Urusei Yatsura Radio SessionsLe groupe est brillant et signe des albums denses et sans véritable faiblesse. Son univers nourri aux mangas et à la contre-culture apparaît en 1998 comme assez en avance sur son temps. La pop culture est au coeur du projet, les références aux technologies et aux conséquences sur les rapports humains omniprésentes. A titre d’exemple, on reproduira in extenso les paroles de Slain by elf, hymne rôliste chanté par Graham Kemp que l’on retrouve en live sur le disque des BBC sessions et qui restitue à merveille le caractère visionnaire de leur univers :

hey teenagers revolt in hairslides
we’re burning out from the inside
we’re never sure what is real
in this world (if anything)
hey satan the mall’s in chaos
so help us to kill our parents
slain… by elf
slain by elf

we’re staying home in our rooms
on our dice
one hundred sides
our physical shells are rotting
this paranoid fear is classic
slain… by elf

slain by elf

we go to school with creeps and ghouls
it’s over now
these trailer trash have got no cash
poor baby now
we got so bored of our boards
we’ll slay you
wow, wow

slain by elf
slain by elf

C’est punk, teenage et désespéré. Cela parle des otakus, des jeux de rôle, du malaise adolescent, de la violence intime, du sentiment d’être seul au monde et de l’altérité. Le travail de Urusei Yatsura fait écho aux romans de Douglas Coupland et de JG Ballard. A ce stade, Urusei Yatsura est probablement sur ce seul titre l’héritier déjanté de The Smiths et de Radiohead, des New York Dolls et bien entendu de Pavement. La proximité avec le groupe de Stephen Malkmus est une évidence même si Urusei Yatsura sonne plus violent, plus agressif et moins ironique. En 2000, Urusei Yatsura sert un troisième et dernier album Everybody Loves Urusei Yatsura qui précède de peu l’explosion du groupe. L’histoire de Urusei Yatsura s’arrête là, sans qu’on sache si c’est le manque de succès du groupe qui condamne le groupe ou le dualisme qui préside à l’écriture des chansons. Kemp fonde un groupe qui ne donne rien et Lawrie embarque les deux autres sur le Projekt A-ko, auteur d’un unique album formidable, avant de disparaître à son tour pour se consacrer à une étrange (et globalement inaccessible) recherche drone (guitares HALO exactement) sous l’étiquette Angel of Everyone Murder. Les plus acharnés des supporteurs du groupe lâchent l’affaire avec cette nouvelle incarnation, instrumentale et conceptuelle.

Le disque des BBC Sessions s’intéresse aux singles et aux deux premiers albums. Il regroupe des titres sous forme de best-of alternatif redoutable et qui permet d’entrevoir l’importance (souterraine) du groupe. Urusei Yatsura sonne parfois comme Pavement, parfois comme… Placebo. Les titres sont puissants et inépuisables. Hello Tiger est un tube incontestable mais il faut aussi célébrer l’évidence entêtante d’un Plastic Ashtray ou la beauté extraterrestre du magnifique First Day On A Brand New Planet, chanté chez John Peel. Le disque montre la vivacité du groupe, sa rigueur et la cohésion phalangiste des quatre membres d’alors. On trouve sur youtube désormais quelques lives du groupe qui ne manquent pas d’intérêt, même si le son laisse à désirer. Les maisons de disques d’alors ne savaient pas trop comment vendre cette musique, écartelée entre la brit pop et le futur du rock américain, trop occupées à tirer les marrons du feu ou à offrir leurs têtes de gondole aux majors. Pas assez lisses ou immédiatement bankables, les Urusei Yatsura auraient sans nul doute mérité un meilleur sort. Il n’est pas trop tard pour y penser.

Tracklist
01. Plastic Ashtray (Evening Session)
02. First Day On A Brand New Planet (John Peel Session)
03. Kewpies Like Watermelon (BBC Radio Scotland)
04. Phasers On Stun (Evening Session)
05. Kewpies Like Watermelon (BBC Radio Scotland)
06. No No Girl (Evening Session)
07. Hello Tiger (John Peel Session)
08. Exidor (John Peel Session)
09. Slain By Elf (Evening Session)
10. Flaming Skull (John Peel Session)
11. Dice Nae Dice (John Peel Session)
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Danse la Mussolini : DAF est éternel
Le coffret collector 5 vinyles est annoncé désormais pour le 29 septembre...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *