Joe Meek’s Tea Chest Tapes : The I Hear A New World Session / The Heinz Sessions / The Telstar Story
[Cherry Red Records]

9.7 Note de l'auteur
9.7

Joe Meek's Tea Chest Tapes : The I Hear A New World SessionCherry Red Records continue son formidable travail d’édition et de réédition des archives du grand producteur anglais Joe Meek. On n’en fera pas une critique pas à pas complète et détaillée mais il faut se précipiter, tant que ces disques sont facilement disponibles, sur l’ensemble de cette collection des Tea Chest Tapes de l’auteur de Telstar dont on avait raconté rapidement l’histoire, splendide et tragique à la fois, dans un épisode de nos chansons culte.

 

Les Tea Chest Tapes se présentent dans le catalogue Cherry Red sous la forme de disques brefs (format EP) CD ou vinyles, ou de coffrets (selon le volume de musique à présenter) qui restent tous assez abordables et qui permettent, chacun, de cerner l’immense talent de production de Meek. On pourra ainsi démarrer l’aventure par le passionnant The Telstar Story qui, s’il ne propose que 18 minutes de musique, permet de comprendre l’assemblage miraculeux qui aboutit au single original. Entre la prise de voix initiale (titre 1) et le travail exceptionnel (pistes 2 et 3) sur le thème du morceau, on est sidéré par la pureté de la composition et la lisibilité qui sera donnée par la production à l’ensemble du track. On a évoqué par le passé ce que cette chanson avait de pionnier pour l’émergence des musiques électroniques et on entrevoit ici en à peine plus d’un quart d’heure comment elle est née depuis des « segments » somme toute assez traditionnels.

Avant d’attaquer le coffret des Heinz Sessions, le mignon de Meek, on fera un détour par le 3ème Ep de la série, consacré à l’unique album posthume de Meek, I Hear A New World. En termes de modernité, c’est sans doute le disque qu’il faut écouter tant il conjugue inventivité, romantisme et sens de l’anticipation. Ce disque est une pure merveille, une démo si puissante et si cristallinement géniale qu’elle procure une joie immédiate et immense à l’écoute. On peut se laisser porter/transporter jusqu’aux confins de l’univers par les trois minutes et vingt-quatre secondes d’Orbit Around. Sans doute est-il inutile de chercher à savoir ce qui produit ce son et d’où il vient. Ceux et celles qui aiment regarder les vieux épisodes de la Quatrième Dimension ou les débuts de Star Trek, retrouveront ici toute la magie suggestive de cette science-fiction des premiers temps. Le disque assemblé par Cherry Red Records ne contient même pas le morceau titre mais on retrouve tous les autres comme le surréaliste Entry of The Globbots ou le magnifique Valley of The Saroos. On précisera (pour l’occasion) que le seul artiste, à notre connaissance, à avoir joué à peu près avec les mêmes sources d’inspiration que Joe Meek à l’époque est français et s’appelle Tara King Th, dont on parlait il y a peu du chant du cygne. S’agissant d’I Hear A New World, on recommandera tout de même d’écouter et d’acheter l’œuvre originale avant de se lancer dans la série de démos.

On peut en revanche (et on a pas le choix) faire le contraire avec l’ami Heinz, Heinz Burt de son vrai nom, originaire de Southampton et né en Allemagne en 1942. Heinz répond à une annonce passée par Meek pour accompagner Billy Fury, le Elvis anglais. Il l’embauche d’abord comme bassiste avant de tomber follement amoureux de lui et de lui proposer de bâtir sa carrière. Heinz a du mal à s’imposer car il est loin d’être le meilleur crooner de sa génération. Meek le fait entrer dans le groupe les Tornadoes où il apporte sa blondeur et son charme pour séduire les filles, mais dire qu’il survole les débats pour ses qualités musicales serait mentir. Il faut attendre un peu plus tard (1963-65) pour que Meek aille au bout de son fantasme pour en faire un chanteur de premier plan qui partagera l’affiche ensuite avec les Rolling Stones, entre autres. Heinz émerge avec une chouette chanson qu’on retrouve à l’ouverture du EP qui lui est consacré (volume 1 des Tea Chest Tapes) l’excellente Just Like Eddie (hommage à Eddie Cochran).

Le chanteur se taille un certain succès mais navigue en permanence dans le milieu avec un vrai sentiment d’imposture ce qui rend sa musique et ses interprétations, toujours un peu maladroites, uniques en leur genre. On peut raconter l’anecdote fameuse qui veut que Heinz soit embarqué un jour pour une tournée prestigieuse à laquelle participent également Jerry Lee Lewis et Gene Vincent. Heinz est si inférieur à ses compagnons qu’il est systématiquement hué par le public, chassé de scène par une foule déchaînée qui lui balance des… haricots Heinz à la gueule. Lorsque Meek se suicide en 1967 après assassiné sa logeuse au fusil, la carrière de Heinz s’arrête instantanément. Le beau blondinet devient brun et traîne encore un peu dans le milieu en chantant et en essayant de se placer comme acteur mais il n’arrive à rien et doit reprendre un emploi dans l’automobile puis aux chemins de fer anglais. Il développe une myopathe qui le réduit à se déplacer en fauteuil roulant. Devenu brun, il vit dans un logement social, divorce deux fois et se produit de temps à autre (en fauteuil) en gala dans les années 90, avant de mourir seul et abandonné, sans le sou, en avril 2000. La police intervenait souvent, à la demande de ses voisins, pour lui demander de baisser le son de sa chaîne hi-fi sur laquelle il passait à fond ses singles de gloire et rêvait à son passé entouré de ses souvenirs des années 60. C’est un peu de son histoire qu’on peut capter en écoutant le volume 1 des Tea Chest Tapes qui lui est consacré. On rêvera ainsi à la belle naïveté du remarquable Country Boy  (titre 4) et on appréciera son charme exceptionnel (et malingre) sur le beau Voices In The Night. Comme le chante assez mal Heinz sur la fin, écouter ces disques You Make Me Feel So Good. Une édition en 5 Cds des enregistrements de Heinz est sortie en avril 2023 et le label prévoit plusieurs autres sorties ces mois-ci avec notamment un disque consacré à David John & The Mood et deux autres regroupant les travaux de Glenda Collins.

A l’aube des vacances, s’immerger dans cette musique des années 60, fonctionne comme un bain de jouvence et une plongée dans une histoire follement romanesque faite d’amour, de découverte, d’innovation et de drame. Il faut vibrer avec Meek, sentir vivre à nouveau ces compositions captées dans un studio monté de bric et de broc, ces bruits venus du futur, entendre battre le désir et le pouls d’un Heinz en majesté, porté par le regard de son protecteur. Tout ceci ne mène nulle part mais Cherry Red Records nous offre rien de moins que de la magie pure.

Tracklists

The Telstar Story – Joe Meek’s Tea Chest Tapes

Side One
1. Joe Meek – Telstar Vocal Demo
2. Dave Adams – Telstar Clavioline Demo
3. Norman Hale – The Theme Of Telstar
4. The Tornados – Telstar (Original Speed Clean Version)

Side Two
1. The Telstar Sound Effects Tape
2. The Rhythmics – Telstar
3. Glenda Collins – Magic Star
4. The Tornados – Telstar (Alternate Edit)

The Heinz Sessions Vol.1 – Joe Meek’s Tea Chest Tapes

Side One
1. Just Like Eddie (Geoff Goddard’s Guide)
2. Movin’ In (Guitar Session Take 8)
3. I Get Up In The Morning (Take 4)
4. Country Boy (Vocal Session Take 1)
5. Voices In The Wind (Take 7)

Side Two
1. Tribute To Eddie (Joe Meek’s Demo)
2. The Beating Of My Heart (Joe Meek’s Demo)
3. Long Tall Jack (Joe Meek’s Demo)
4. You Make Me Feel So Good (Dave Adams’ Guide)

Joe Meek And The Blue Men: ‘I Hear A New World’ Sessions

Side One
1. Orbit Around The Moon (Take 1)
2. Entry Of The Globbots (Take 2)
3. Love Dance Of The Saroos (Take 1)

Side Two
1. Glob Waterfall (Early Version)
2. Magnetic Field (Rehearsal)
3. Valley Of The Saroos (Extended Take)
4. Dribcots Space Boat (Take 4 + Ending Experiment)

Écouter Joe Meek's Tea Chest Tapes : The I Hear A New World Session - The Heinz Sessions - The Telstar Story



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