Un miracle, c’est ainsi qu’on reçoit les premiers titres de cet album exceptionnel de Vagina Lips, Generation Y. « My all heart is black/ My all heart is mean/ Dont know what i want/ Dont know what i mean… Sometime i wish i was dead/ I know this is a good life », les premiers mots d’un Jimmy Polioudis, chanteur et meneur désormais solitaire du groupe, nous fait penser immanquablement, par sa voix et sa texture crépusculaires, à l’irruption de Robert Smith il y a plus de quarante ans. Le titre est gothique et pop. Il se chantonne en même temps qu’il fait froid dans le dos pour le désespoir et le désarroi qu’il exprime. This Is A Good Life est le single qui est mis en avant par la maison de disques du groupe, les amis grecs de Inner Ear Records. On se dit que la suite ne sera pas à la hauteur (les précédentes productions du groupe ayant toutes jusqu’à présent manquées de cohérence et d’impact dans la durée) mais il y a Boy June derrière, un titre tout aussi monstrueux avec sa bande-son post-punk aux basses lourdes, ses synthés 80s, ses guitares et ses voix à la Motorama. Le morceau est ample et cause à la perfection de l’adolescence à travers l’apparition au lycée d’un élève mystérieux avec lequel le narrateur fugue et qui disparaît ensuite dans un accident. Cette chanson évoque Virgin Suicides, Elephant en même temps que Théorème. C’est un conte nostalgique remarquable et musicalement toxique.
Des huit morceaux qui composent cet album il n’y en aura aucun pour nous décevoir. L’effet Cure des premières années s’estompe peu à peu pour laisser la place à une magnifique illusion gothique où se mêlent un travail sur les guitares remarquable et une voix plaintive qui chante à la perfection cette génération Y, à travers des vignettes solides et écrites avec beaucoup d’adresse. On flotte en apesanteur comme sur un Blonde Redhead avec Destroy Me avant de verser dans le punk puis la pop radieuse d’un Lofi, Hatred and Dinosaurs dont la conjonction des guitares et des synthés est tout simplement irrésistible. La musique de Vagina Lips nous ramène à cette joie désabusée des cours de récré où l’on traînait ses guêtres en tentant de nouer des amitiés d’une vie. Des amours nous repoussent et d’autres nous accueillent. Voilà ce que ça raconte : l’épicentre des vies d’adultes, le réservoir de toutes les émotions. Like fire explore ce même espace tandis que 80’s Teen Movie, l’un des meilleurs morceaux du disque, revient musicalement dans ces terrains fertiles où le punk en mourant donnait naissance à de nouveaux hybrides pop, revenus de la colère et d’à peu près tout.
On imagine que la musique de Jimmy Polioudis a puisé dans ces années-là sa vitalité et ses couleurs mais on ne saurait la limiter à une relecture mise au goût du jour de nos propres souvenirs. Sur Fall In Love Again, la voix est plus douce, haute et caressante. Elle sert une chanson qui augure une conclusion plus lumineuse et beaucoup plus pop. Le dernier morceau, Skies Falling Down On Me, tient autant de Suede que de Muse. C’est un ample mouvement romantique aux arrangements quasi symphoniques (mais cheap…) qui s’adresse aux dieux du destin et de la pop. Jimmy Polioudis y apparaît dans toutes ses ambiguïtés de démiurge et fou chantant, faux cousin de Thessalonique d’un Diamond Rings (canadien) qui nous avait éblouis, avec des ingrédients pas si différents, il y a quelques années.
On ne sait pas trop ce qu’il adviendra de ce groupe ni de cette musique mais Generation Y est l’un des quelques albums qui auront fait sensation cette année, l’œuvre d’un artiste dont la production s’avère pour la première fois exceptionnelle et en pleine résonance avec l’époque. Comme les meilleures années adolescentes, les chansons de Vagina Lips passeront sûrement mais non sans avoir laissé une trace, même infime, impérissable dans notre hiver 2018. Vagina Lips porte finalement bien son nom ridicule : celui d’une promesse chaleureuse et d’un retour aux sources de toute chose.