Karen O & Danger Mouse / Lux Prima
[BMG Records]

7.8 Note de l'auteur
7.8

Karen O & Danger Mouse - Lux PrimaEn 2011, Danger Mouse surprenait tout son monde en signant avec Rome un album rétro pop avec le compositeur Daniele Luppi. Ceux qui s’en souviennent n’auront pas de mal à entrer dans ce nouveau projet étonnant porté par le producteur américain et l’ancienne Yeah Yeah Yeahs, Karen O. La rencontre de l’un des plus grands manieurs d’univers sonores de ces vingt dernières années et d’une punk sur le retour se noue en fait quelque part quarante ans en arrière, dans un espace-temps fantasmé d’avant les musiques modernes, un avant le punk, l’electro et les nouvelles nouvelles vagues. A l’époque, le rock et la pop se confondent et partagent encore quelques obsessions communes : le recours aux cordes en est un ; la déclinaison de schémas rythmiques ordonnés en est un autre.

C’est dans ce temps d’avant que nous projette Danger Mouse en utilisant les technologies d’aujourd’hui, mi-rétro, mi-futuriste, sous l’influence iconique d’un Morricone devenu fou et guimauve à la fois. Le disque s’ouvre par un Lux Prima de 9 minutes qui agit comme on plongerait dans un conte de fée, ample et cinématique, immersif et sans fond. Il y a du psychédélisme là-dedans (les années 70), du glamour kitsch et de la pop essentielle ponctuée de soupirs et de désirs charnels. Karen O joue le jeu à fond et ralentit la respiration jusqu’à ne plus faire que susurrer. On pense aux hymnes pervers de Black Box Recorder sur le sublime Ministry. « Day by day, i turn my dreams to a ministry, a ministry of hollow. » La vanité de l’exercice est assumée. Danger Mouse ne vise rien moins que l’essence de la pop, ce point des origines où la jeunesse, le désir, l’innocence et le fantasme se rejoignent. Karen O est une complice parfaite, revendiquant une « pureté cristalline » qu’on sait évanouie. Lux Prima ne fait pas que nous donner des vapeurs évanescentes. On est aussi là pour danser et faire la fête. Seventies toujours : soul et disco se font la nique dans un night-club d’illusions où tournent quelques bangers stylés. Turn The Light sent l’élégance rare et Woman sonne la libération de la femme d’une manière un peu surjouée mais néanmoins efficace. Plus loin, Leopard’s Tongue est tout bonnement irrésistible et l’une des chansons les plus emballantes qu’on a entendues depuis la retraite de Gloria Gaynor.

Lux Prima pâtit parfois de son caractère artificiel mais fait rarement son âge. L’efficacité et le charme l’emportent le plus souvent sur les ficelles de fabrication et l’envie de sonner rétro. On s’immerge, on perd pied et on y croit plutôt deux fois qu’une. La musique est faite aussi pour voyager, pour parcourir les époques et les âges. Redeemer est un véhicule de luxe, à la production savoureuse, qui nous transporte dans un monde de paillettes et de soies portées. Que dire de Drown qui ajoute de la tragédie et des larmes au drame ? Danger Mouse est un maître en création d’ambiances. Tout ici est fait de luxe, de talent et de volupté. On se croit dans un film de Sergio Leone, de Tarantino, parmi les maîtres de l’entre-deux genres et de l’entre-deux-époques, de l’entre-ton où les sentiments s’expriment, s’épanchent et sont sublimées par le son et l’image.

Les deux compères ferment le ban sur un Nox Lumina de près de six minutes qui répond superbement au morceau d’ouverture. On éteint en se demandant où on est et en quelle année. On n’a pas rapporté grand-chose du voyage si ce n’est une griffe érotique sur le bras et la poitrine, l’impression d’avoir quitté terre pendant une éternité et un bon mal de tête. Voyager dans le temps a des effets pervers mais reste une expérience merveilleuse.

Tracklist
01. Lux Prima
02. Ministry
03. Turn The Light
04. Woman
05. Redeemer
06. Drown
07. Leopard’s Tongue
08. Reveries
09. Nox Lumina
Écouter Karen O & Danger Mouse - Lux Prima

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