Les éternels jokers de la scène indie pop anglaise reviennent avec un album de nouvelles chansons, certifiées « enregistrées à 100% après 2013 ». Leur précédent effort, Change Becomes Us, était une resucée habile de titres tombés du panier il y a 30 ans. A l’écoute, difficile de mesurer le changement. 10, 20, 30, 40 ans : il n’y a rien qui ressemble plus à une chanson de Wire qu’une chanson de Wire. C’est à la fois follement exaltant, un signe de constance et d’intégrité quasi unique en son genre (même The Fall s’est amusé à faire n’importe quoi) mais aussi quelque chose que l’époque déteste : il faut vivre avec son temps, chercher l’innovation où on ne la voit pas, faire du neuf avec du vieux, soutenir la longue et joyeuse marche vers le progrès. Wire et le Wedding Present sont dans un bateau. Le premier qui vire de bord a une soufflette. Vous pouvez attendre longtemps ! Wire est le groupe préféré des employés de Sécurité Sociale et des types qui n’aiment pas la mobilité professionnelle. Wire est le groupe préféré des types qui pensent qu’il ne s’est rien passé dans le monde de la musique depuis la mort de David Bowie (on nous aurait menti ?). Le groupe préféré des vieux fans de The Cure qui viennent de fêter leur 20 ans de mariage… avec la même femme. – Vous êtes un groupe du passé, M. Newman. – Le groupe du passif. C’est à vous qu’on doit toute cette tristesse, la grisaille, le chômage de masse et cette sorte d’attachement idiot dont on ne se départira jamais pour le Nord de l’Angleterre et les gars pendus dans leur cuisine. Alors les albums passent (Wire en est à son quatorzième, si on a bien compté) et Wire demeure, accueilli par le respect poli qu’on voue aux vieilles dames respectables, la considération due à ceux qui étaient là quand on n’y était pas encore. Wire est l’un des premiers groupes post-punk et il sera probablement l’un des derniers survivants de l’espèce quand le Rnb et le rock psychédélique auront tout englouti, droit et solide sur sa basse, pas rigolo pour deux sous, et arty comme jamais. Infiniment aimable. Admirable et éternel.
Wire (Pinkflag) est un album épatant et qu’on n’attendait pas vraiment à ce degré de rétro-futurisme. Quelle surprise à l’entame d’entendre cette basse magistrale et ces guitares tendues sur Blogging. Les djeunes en sont pour leur grade. Wire est remonté contre twitter, ebay et tous les autres. Le premier morceau est une charge frontale contre l’air du temps et rejoint par la parole ce que la musique poursuivra pendant les dix morceaux qui suivent : une croisade contre la mode, la défense de l’artisanat local. Le son du groupe est d’une clarté magnifique, les mélodies sont soignées, la basse de Graham Lewis l’une des plus allègrement sexy du monde et le chant de Colin Newman toujours aussi limpide, généreux et rassurant . Si ce gars-là a à peine élevé le ton dans les années 80, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il crie aujourd’hui. La musique de Wire, à l’image du beau Shifting ou de Swallow, est une musique sereine, réconfortante et sûre de son fait. A y repenser, la marque de fabrique du groupe aura peut-être toujours été de ne pas en rajouter dans le côté cold et mécanique quand tout le monde voulait sonner comme Joy Division (mort) et les têtes de pont de la Factory. Etrangement, le post punk un brin sec et froid de l’époque agit aujourd’hui comme une source de chaleur, tandis que les musiques plus dansantes et caliente nous terrifient. Difficile de s’extasier devant Burning Bridges, tant on a l’impression d’avoir entendu cette chanson une bonne centaine de fois. Lewis et Newman ont enclenché une sorte de pilotage automatique qui nous ramène à tous les coups à la maison. In Manchester qui ne parle pas tant de Manchester que d’une chanson qui en parlerait est un petit joyau pop et l’un des meilleurs morceaux de New Order (!) entendu depuis le départ de Peter Hook. Le reste est à la fois indistinct et précieux, joliment troussé et sans surprises. Il faut quand même se lever de bonne heure pour rencontrer un morceau aussi costaud et ambitieux que le gigantesque Sleep-Walking et ses 7 minutes 30 de tension. Wire rend parfaitement l’effet de somnolence et de désorientation qui accompagne la nuit mais aussi l’état de surveillance et de flicage généralisé qui pèse sur les individus. Le groupe a toujours été en pointe sur la question des libertés et de la critique des médias. Il prolonge ici ce travail en prenant en compte, du point de vue de l’angoisse et de l’angoissé, le recul citoyen fasse aux nouveaux dispositifs de traçage et d’encadrement de l’autonomie individuelle. Musicalement, c’est du bel ouvrage mais qui n’est ni tout à fait du Scott Walker, ni tout à fait le Forever de The Cure. Joust & Jostle fait un peu penser à l’un de ces morceaux définitifs du Wedding. Le groupe a de l’énergie et cela s’entend. Les paroles sont souvent cryptées ou difficiles à comprendre mais évoquent la liberté et l’insoumission, la résistance à une inquiétude citoyenne devant la montée des techniques (et technologies) d’encadrement de la population. Wire a toujours été au coeur de la critique des médias et prolonge ce travail ici par une analyse salutaire même si elle n’est jamais bouleversante. Le parlé/chanté de Colin Newman qui assure la majorité du chant donne du cachet à la musique du groupe et sonne au final comme un instrument à part entière. Sa scansion est aussi régulière que la pulsation envoyée par la batterie et la basse.
On ne voudrait surtout pas donner le sentiment de faire la fine bouche ou de dégoiser sur le groupe. Wire par Wire est l’un des meilleurs albums qu’on a écoutés cette année et une réussite véritable. Il n’y a rien à jeter sur cet album, si ce n’est peut-être Split Your Ends qui est un peu balourd. Cela laisse dix chansons et un album sans grosse faute de goût. Le dernier tiers « envoie du bois » comme on dit maintenant quand la musique est un peu forte et illustre toute la combativité et le potentiel d’insurrection restaurés du groupe. La balade commencée en mode quasi acoustique finit en cauchemar généralisé. Le Harpooned final est grandiose et terrifiant d’inquiétude. Newman (les paroles sont de Lewis) évoque un type qui entend des voix, ne peut souffrir l’extérieur et finit dans sa coquille de folie et d’électricité. Tout se termine, comme de bien entendu, dans une cuisine, Ground Zero du post-punk et des émissions téléculinaires : « Set fire to the kitchen, the damage was bad/I sat down by the fountain and went quietly mad. » Quietly mad. Au terme des 8 minutes crépusculaires de ce titre fleuve, on préfère mourir avec Wire que coucher avec Booba ou Animal Collective. C’est bien ce dont il est question ici : la nouveauté est pour les lâches. C’est rester fidèle qui coûte et change les jokers en héros. Il faut écouter Wire, cette fois-ci ou la suivante.
02. Shifting
03. Burning Bridges
04. In Manchester
05. High
06. Sleep-Walking
07. Joust & Jostle
08. Swallow
09. Split Your Ends
10. Octopus
11. Harpooned