La question qui se pose est bien sûr celle-ci : est-ce que le syndrome du supergroupe a encore frappé ou pas ? Pensez-y, la réunion de trois membres de trois groupes qui nous ont ravis ces dernières années, Stuart Braithwaite, le taulier des Mogwai, la chanteuse de Slowdive, Rachel Goswell, et l’un des deux frères Lockey (Justin, ici), la part musicale d’Editors. On s’y voyait déjà et on en est finalement pas si loin : mélangez la voix de Slowdive, les guitares qui vrombissent (mais pas trop) de Mogwai et les atours gothiques et synthétiques d’Editors et vous aurez une bonne petite idée de ce à quoi ressemble cet album de Minor Victories.
On n’a pas trop cherché à comprendre comment cette affaire-là s’est mise en place mais on sait que le supergroupe a pas mal travaillé à distance, ce qui ne se ressent pas du tout. Le son est compact, impeccable et à la hauteur des espérances. On se situe ici en toute simplicité à la croisée du son des trois groupes avec un Rachel Goswell qui plane de tout son charme sur des chansons plus appliquées à bâtir des ambiances mystérieuses et post-gothiques qu’à nous surprendre par des mélodies imparables ou des éclats bruitistes. Pour apprécier Minor Victories, il faut se détourner de l’évidence et ne pas chercher les « hooks » de guitares faciles et les motifs pré-mâchés. Tout est ici dans la création d’ambiances, la suggestion et le soulignement à distance. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas sur cet album des moments de grâce inattendus. On peut trouver les premiers morceaux réussis mais plutôt convenus : Give Up The Ghost est assez incisif mais pas bouleversant, A Hundred Ropes un peu The Cure sur les bords mais finalement plutôt passe-partout. Il faut attendre Breaking The Light pour avoir cette impression de tomber vraiment sur quelque chose d’original ou qui dévie de la ligne des trois groupes. La voix de Rachel Goswell évolue à nu et en solitaire avant d’être emportée par un flux de guitares et d’effets sonores. Sur 6 minutes, c’est vraiment bien fait et littéralement envoûtant. Les meilleurs moments de cet album se situent lorsque Minor Victories passe de l’autre côté de sa technique et de la zone de confort de ses membres pour proposer une musique évanescente et qui élève l’âme. Il y a de la beauté sur Scattered Ashes, de l’énergie à revendre sur le remarquable Cogs. Goswell chante jusqu’à son point de rupture et on en a ici pour notre argent. A vrai dire, on n’avait pas eu de si belles chansons chantées par une femme déchirée depuis la chute(pour nous) de la maison Harvey, il y a bien longtemps. L’immense Mark Kozelek vient apporter son génie à ce qui devient, dès lors, l’un des meilleurs titres du lot : l’original For You Always. Son phrasé inimitable vient menacer Goswell et la ravaler au rang de Kylie Minogue des rivières. La fragilité de la jeune femme en sort renforcée, si bien qu’on fond ensuite sur son susurré et minimaliste Out To Sea.
Syndrome du supergroupe donc ? Ou pas. De Mogwai à Slowdive, le moins qu’on puisse dire est qu’on ne fait pas dans les paillettes et cela se sent ici. Il n’y a rien de tonitruant ou de grandiose dans ce Minor Victories, qui porte parfaitement son nom. On ne sent nulle part l’envie et l’intention de marquer les esprits ou de frapper un grand coup. Mais le résultat, si l’on s’y attarde, est subtilement consistant, ingénieux et plein d’élégance. Le supergroupe qui n’en est pas un se dissout dans un projet empli de technique et de demi-mesures, à la fois rigoureux et séduisant. Jusque dans les quelques morceaux qui sont développés comme en pilotage automatique depuis le cockpit des trois membres (The Thief par exemple avec ses guitares Mogwai et son apnée chantante à la Slowdive), Minor Victories garde une aura de beauté et d’équilibre qui illumine littéralement chacune des pièces. Le final Higher Hopes est à l’image de l’ensemble : d’une merveilleuse modestie. On ne se damnera pas pour ce disque, pas plus qu’on ira le défendre devant le tribunal s’il était attaqué un jour mais on se félicitera de l’avoir dans sa discothèque et de pouvoir le réécouter les jours de cafard ou lorsqu’on rechercha le réconfort apporté par de vrais amis. La musique est aussi une question de fidélité à des voix ou à des sonorités. Minor Victories ressemble à l’un de ses repas de famille du dimanche où l’on s’ennuie un peu parce que tout le monde est égal à lui-même mais qu’on regrettera dès que la mort aura commencé à frapper.
02. A Hundred Ropes
03. Breaking My Light
04. Scattered Ashes (Song For Richard)
05. Folk Arp
06. Cogs
07. For You Always
08. Out To Sea
09. The Thief
10. Higher Hopes