Le meilleur groupe du monde est-il en train de devenir l’un des groupes les plus chiants ? C’est en effet le « syndrome Radiohead » qui pend au nez des Américains à l’écoute de leur nouveau morceau You Had Your Soul With You. Le titre révélé hier précède la sortie de leur album I Am Easy To Find, le huitième, prévu pour le 17 mai. Et le moins que l’on puisse dire est que The National joue la constance et la continuité. Il faut avouer que si Sleep Well Beast était un parfait exemple de rock adulte, mature et sophistiqué, c’était aussi à sa manière une purge bien pensante, auto-centrée et à l’humanisme éreintant. Intime, torturé, sombre mais manquant de relief et de cette sauvagerie qui faisait aussi le charme du groupe, ce septième album était admirable mais de cette admiration un peu fatiguée qui pend au nez des groupes trop brillants et presque déjà secs. Radiohead avait expérimenté il y a plus de dix ans de cela cet instant de basculement qui vous fait passer du statut de groupe pionnier et innovant à un groupe de franchise, agaçant et maniéré. Et il semble que The National en soit à peu près là. Les tics qui nous plaisaient jadis nous horripilent. L’amplitude et la solennité qu’on adorait déclenchent des allergies.
Le salut est de changer, de s’auto-dissoudre ou de régner sans combattre, parce que la position est acquise et que nul n’ose la contester. D’aucuns diront que Nick Cave, même si ses remises en cause sont plus radicales, n’est pas très loin de faire ça depuis deux décennies, mais c’est un autre débat. You Had Your Soul With You est une très belle chanson, ce n’est pas ça qui est en cause. La voix de Berninger est sublime et le mélange de guitares iconiques et de zigouigouis électronica (la nouveauté du moment) ne fonctionne pas si mal, mais ne nous enlève pas cette impression de faux rythme qui se fait des illusions, cette impression de déjà entendu et d’une mécanique somptueuse qui tourne à vide. L’ensemble du nouveau disque est accompagné d’un discours marketing suffisant à base de voix féminines et de duos de luxe (avec Sharon Van Etten, Mina Tindle ou Lisa Hannigan), vendu en compagnie d’un mini-film arty réalisé par Miles Mills et qui met en scène Alicia Vikander, renforçant l’idée d’un entre-soi people qui n’est plus trop dans l’air du temps.
Sans doute est-il prudent (on a avalé notre chapeau par le passé déjà en disant du mal et puis du bien à quelques semaines de distance) avant de crier haro sur le baudet National d’en savoir plus sur ce huitième album mais on gage que le mouvement Gilets Jaunes a fini par nous influencer sans qu’on s’en aperçoive. La musique de The National qui était jadis celle d’un groupe qui grimpait les échelons ressemble de plus en plus à l’expression artistique et vaine d’une intelligentsia occidentale dont Jonathan Franzen est l’écrivain favori, qui ne parle plus que de très loin aux vrais coeurs de rockers et d’anciens punks qui battent dans nos poitrines débraillées. Rock d’en haut contre rock d’en bas, c’est peut-être une fausse question mais qui appelle des réponses définitives.
On n’est pas encore suffisamment vieux et sage pour aimer cette musique là. A tout prendre, on préfère encore se farcir U2 que ça.
Je trouve votre article un poil dur tout de même… Peut-être que mon obsession thenationalienne m’aveugle, mais Matt Berninger et consorts ont, malgré le succès, toujours sorti de très bons albums, et on reste assez loin du mainstream, contrairement à d’autres qui s’y sont plongés complètement comme Coldplay ou Oasis. Alors oui, on reste dans une zone de confort qui s’étend relativement peu, mais bon, on n’a jamais demandé aux Smiths de faire du drone metal ou à U2 de faire de la musique intimiste… The National, comme Radiohead ou Pulp, ont plus ou moins galéré, on peut difficilement leur reprocher de profiter un peu de leur position de leader mondial du rock indépendant aujourd’hui (ce qu’ils sont incontestablement) tant qu’il ne sortent pas de vrai mauvais disque (comme Arcade Fire notamment). Bon, après, je vous en veux pas trop (vous m’avez quand même fait découvrir Daniel Blumberg, Hater, Yndi Halda et Peter Silberman, et vous lire est un immense plaisir), et je reviendrai probablement à l’assaut lors de votre chronique, mais voilà, c’était juste le petit courroux d’un gars de 15 ans qui aime bien l’adult rock…bon…
Merci pour vos articles qui sont toujours remarquables.
L’article est probablement un poil trop incisif. Chiant,c’est un bien grand mot car The National évolue toujours à des divisions au dessus de la plupart des autres groupes. Je trouve toutefois que les mécanismes de composition qui consistent à démarrer lentement puis à aller chercher un mini-crescendo émotionnel à 3 minutes, avant d’enchaîner sur un grand plateau plus ou moins travaillés, sont lassants et un poil moins intéressants que le côté volcanique d’il y a 10 ans. Le son s’étoffe avec de l’électro mais ça sonne toujours un peu pareil.